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Rupture de la coalition CACH-FCC : retour sur une implosion qui a fragilisé la RDC

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Le 24 janvier 2019, Félix Tshisekedi accède à la présidence, marquant une alternance historique. Mais l’alliance qu’il forme avec le FCC de Joseph Kabila, censée garantir la stabilité, se transforme rapidement en un champ de tensions. Blocages institutionnels, luttes d’influence et sabotages politiques minent la coalition. De mars 2019 à décembre 2020, la rupture devient inévitable. Cette fracture, en libérant Tshisekedi de la tutelle du FCC, bouleverse durablement l’équilibre politique. Elle ouvre aussi la voie à des secousses sécuritaires majeures, dont la résurgence du M23, évoquée par Kabila lui-même dans une tribune publiée en février 2025 dans le Sunday Times. Heshima Magazine remonte le fil d’une crise qui a redéfini le pouvoir à Kinshasa et fragilisé le pays dans une certaine mesure.

24 janvier 2019 : la capitale Kinshasa est en ébullition. Au Palais de la Nation, pour la première fois dans l’histoire du pays, le Congo vit sa première passation pacifique du pouvoir. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo prête serment devant la Cour constitutionnelle. Son prédécesseur, Joseph Kabila, assiste à la cérémonie, marquant ainsi un moment historique : la toute première passation pacifique du pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1960. Les deux présidents, assis côte à côte, sourient, échangent des regards complices et semblent unis dans une volonté commune de stabiliser le pays. Ce jour-là, la scène projette l’image d’un Congo apaisé, brièvement tourné vers l’avenir. »

Les premiers mois du mandat de Tshisekedi renforcent cette impression d’entente cordiale. En 2019, une vidéo virale sur les réseaux sociaux montre Félix Tshisekedi accueillant Joseph Kabila dans sa résidence privée de Nsele. Le déjeuner qu’ils partagent, en présence de certains de leurs proches collaborateurs (Antoine Ghonda, Kazadi Nyembo, Néhémie Mwilanya et François Beya) illustre une entente parfaite et une volonté manifeste de maintenir une collaboration étroite entre les deux sphères du pouvoir. Ce moment, largement relayé par la presse congolaise, est perçu comme un signe de détente politique, voire de partenariat assumé. En apparence, tout est soigné ; mais en profondeur, un équilibre délicat semble s’installer entre l’ancien et le nouveau président.

Pourtant, cette harmonie repose sur des bases institutionnelles fragiles. L’élection de décembre 2018, qui voit Tshisekedi proclamé vainqueur avec 38,57 % des voix par la CENI, est vivement contestée par le clan Martin Fayulu, qui revendique la victoire avec plus de 60 % des suffrages. Beaucoup suspectent alors un accord secret entre Tshisekedi et Kabila, destiné à garantir une transition sans heurts et la préservation des intérêts de ce dernier.

Le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme dirigée par Kabila, a assuré une mainmise sur les institutions : 342 des 500 sièges à l’Assemblée nationale, une domination dans les assemblées provinciales, et un contrôle important du Sénat. Ce déséquilibre politique contraint Félix Tshisekedi à gouverner en coalition avec sa plateforme CACH (Cap pour le changement), fondée avec Vital Kamerhe, dans une cohabitation plus subie que réellement choisie. Avant de quitter ses fonctions, Kabila nomme 26 ambassadeurs, verrouille certains postes clés et maintient ses réseaux dans les services de sécurité et la justice. Comme le souligne le chercheur Roger-Claude Liwanga dans Jeune Afrique, cette stratégie relève de la « tactique du salami » : céder symboliquement le pouvoir tout en conservant les leviers réels du contrôle.

Dans ce contexte, l’apparente complicité entre Tshisekedi et Kabila dissimule des lignes de fracture profondes qui ne tarderont pas à resurgir.

Les premières fissures : élections sénatoriales et gouverneurs

En mars 2019, une rencontre à Kinshasa scelle l’accord de coalition CACH-FCC, censé unir les deux camps. Mais les élections sénatoriales du même mois révèlent des tensions profondes. Le FCC s’adjuge 91 des 108 sièges, consolidant son emprise, mais des accusations de corruption massive éclatent. Le média congolais en ligne, Politico.cd, rapporte des achats de votes à 50 000 dollars, provoquant le retrait de candidats indignés. À Goma, un indépendant dénonce une offre similaire, soulignant l’ampleur des pratiques.

Simultanément, les élections des gouverneurs provinciaux exacerbent les fractures. Dans le Haut-Katanga et le Lualaba, des fraudes similaires provoquent des manifestations. À Lubumbashi, des militants UDPS vandalisent des bureaux de vote, dénonçant des gouverneurs FCC élus par corruption, selon Radio Okapi. Ces incidents, reflétant la mainmise du FCC sur les provinces, amplifient la méfiance de CACH.

Le 18 mars, Tshisekedi suspend l’installation des sénateurs et reporte les élections des gouverneurs, invoquant des enquêtes sur la fraude. Cette décision, saluée par la société civile, déclenche une tempête. Deux jours plus tard, des manifestations UDPS à Kinshasa dégénèrent, causant la mort d’un militant de 24 ans. Les images de pneus brûlés et de gaz lacrymogènes, diffusées sur les réseaux sociaux, illustrent un climat explosif. Le FCC, via Néhémie Mwilanya, rejette toute remise en question des scrutins, amplifiant les tensions. Sous pression, Tshisekedi lève la suspension début avril, un recul perçu comme une concession forcée. Jean-Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS, dénonce un « système corrompu hérité de Kabila ».

Un discours qui secoue Kinshasa

En avril 2019, Tshisekedi s’envole pour Washington, où il prononce un discours retentissant au Council on Foreign Relations. “Je suis là pour déboulonner le système dictatorial qui était en place”, déclare-t-il, accusant le régime de Kabila d’avoir “retardé le pays avec la corruption, la gabegie et l’impunité”. Ce message, applaudi par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, positionne Tshisekedi comme un réformateur audacieux sur la scène internationale. À Kinshasa, cependant, il déclenche une tempête. Le FCC, par la voix de Néhémie Mwilanya, condamne des propos “militants” et “irresponsables” qui, selon lui, rompent l’esprit de la coalition. Le PPRD (parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), parti phare du FCC, va plus loin, accusant Tshisekedi de rallier des soutiens étrangers, notamment américains, pour marginaliser Kabila. Cette critique trahit la crainte du FCC de voir Tshisekedi s’émanciper grâce à des alliances internationales, d’autant que les États-Unis avaient imposé des sanctions à des proches de Kabila sous l’administration Trump.

Dans les rangs de l’UDPS, le discours est accueilli comme une bouffée d’oxygène. Jean-Marc Kabund déclare : “Le président a dit la vérité que tout le monde connaît. La corruption sous Kabila a asphyxié le Congo.” À Limete, fief historique de l’UDPS, les militants se rassemblent, brandissant des portraits de Tshisekedi et scandant des slogans contre l’héritage kabiliste. Mais cette ferveur accentue la méfiance du FCC, qui y voit une déclaration de guerre implicite. Moins de trois mois après l’investiture, la coalition révèle son incapacité à réconcilier deux visions opposées : Tshisekedi, porté par un élan de rupture, et le FCC, arc-bouté sur la préservation du statu quo.

Une guerre des nominations et tensions économiques

La désignation d’Albert Yuma par Joseph Kabila comme Premier ministre en avril 2019 est rejetée par Félix Tshisekedi. Ce veto, influencé par des pressions internationales dénonçant la gestion opaque de Yuma, entraîne une crise politique. Mwilanya accuse Tshisekedi de céder aux intérêts étrangers, tandis que le PPRD rompt les négociations. À Kinshasa, des militants de l’UDPS manifestent en scandant : « Yuma, dehors ! »  L’UDPS soutient fermement Tshisekedi, Kabund questionnant publiquement pourquoi le Premier ministre ne pourrait pas provenir de CACH. Après des semaines de négociations, Kabila recule, proposant Sylvestre Ilunga, un autre fidèle du FCC, comme Premier ministre. Ce compromis tactique ne masque pas la volonté du FCC de dominer le futur gouvernement.

Parallèlement, des tensions émergent autour des contrats miniers. Tshisekedi pousse pour renégocier les accords signés sous Kabila, notamment avec des firmes chinoises, selon Global Witness (2020). Le FCC, défendant les intérêts de l’élite kabiliste, s’oppose, arguant que ces révisions menacent la stabilité économique. Ces désaccords, bien que moins visibles, alimentent la méfiance.

L’imposition de Jeanine Mabunda à la présidence de l’Assemblée nationale, sans concertation avec CACH, est un autre affront. Mabunda ralentit les réformes, notamment sur la transparence financière, renforçant l’image d’un Tshisekedi entravé. Kabund questionne pourquoi le Premier ministre ne vient pas de CACH, reflétant les frustrations de l’UDPS.

Blocages des ordonnances et gratuité de l’éducation

En juillet 2019, Tshisekedi signe des ordonnances nommant de nouveaux dirigeants à la SNCC et à la Gécamines, dont Gabriel Kyungu wa Kumwanza, proche de Moïse Katumbi. La ministre FCC du Portefeuille, Wivine Mumba, refuse de notifier ces nominations, arguant qu’elles nécessitent le contreseing d’Ilunga. Le PPRD déclare les ordonnances « nulles », humiliant Tshisekedi. Kabund dénonce un « coup contre la Constitution », et des manifestations UDPS éclatent à Kinshasa.

Simultanément, la gratuité de l’éducation, promesse phare de Tshisekedi, rencontre des résistances. Des gouverneurs FCC, notamment dans le Kasaï et le Katanga, critiquent son financement, selon Jeune Afrique (septembre 2019). À Mbuji-Mayi, des grèves d’enseignants non payés dégénèrent en affrontements, reflétant l’incapacité de la coalition à concilier ses priorités. Ces tensions, exacerbées par le contrôle FCC des budgets provinciaux, fragilisent la réforme.

Un gouvernement sous domination FCC et crises régionales

En août 2019, le gouvernement Ilunga est formé, avec le FCC s’arrogeant les ministères stratégiques (défense, justice, finances, mines). Kabund dénonce un « gouvernement FCC déguisé ». À Lubumbashi, des militants CACH manifestent, exigeant un partage équitable. À Kingakati, Kabila appelle ses cadres à préserver ses « acquis », selon Politico.cd.

Dans le Kasaï, des violences intercommunautaires à Kamuesha font des dizaines de morts en juin-juillet 2019. L’UDPS accuse des gouverneurs FCC de manipuler les milices, tandis que le FCC pointe la désorganisation de CACH. Ces conflits, bien que régionaux, illustrent l’échec de la coalition à pacifier le pays.

Les massacres de Beni par les ADF, tuant plus de 600 civils en 2019-2020 (Human Rights Watch), amplifient les tensions. L’UDPS accuse les réseaux FCC dans l’armée de passivité, voire de complicité. Alexis Thambwe Mwamba rejette ces allégations, accusant Tshisekedi de politiser la tragédie. Ces querelles sécuritaires renforcent la méfiance sur le contrôle des FARDC.

Violences, rivalités internes et mobilisations citoyennes

En novembre 2019, Kabund menace de « fouiner » dans les affaires du FCC, déclenchant des violences. À Kolwezi, des manifestants brûlent des effigies de Tshisekedi, dénonçant les retards dans le financement de la gratuité de l’éducation. À Kinshasa, les sièges de l’UDPS et du PPRD sont vandalisés. Ces affrontements traduisent l’échec de la coalition.

Des mouvements citoyens comme Filimbi et Éveil Patriotique, absents des négociations CACH-FCC, organisent des sit-ins à Goma et Bukavu, dénonçant la corruption du FCC et la passivité de Tshisekedi. Réprimées par la police, ces actions amplifient la pression sociale.

Au sein du FCC, des rivalités émergent. Évariste Boshab et Emmanuel Ramazani Shadary critiquent Mwilanya pour sa gestion autoritaire, selon un article de Jeune Afrique publié en octobre 2020,  ces fissures, bien que discrètes, fragilisent le FCC face aux consultations futures de Tshisekedi.

Menace de dissolution et budget 2020

En janvier 2020, lors d’un discours à Londres devant la diaspora congolaise, Tshisekedi lance un ultimatum : il dissoudra l’Assemblée nationale si les ministres FCC continuent de saper son autorité. Cette menace, prononcée alors que le FCC bloque des dossiers comme le financement de l’éducation, reflète sa frustration. Jeanine Mabunda contre-attaque en agitant le spectre d’une “haute trahison”, menaçant à demi-mot une mise en accusation du président Tshisekedi, dans une manœuvre rarissime qui aurait nécessité l’aval des deux chambres du Parlement. De son côté, Alexis Thambwe Mwamba, président du Sénat et figure clé du FCC, balaie la menace d’un revers, la qualifiant de “provocation inutile”. Le PPRD, pilier du camp Kabila, entre en ordre de bataille, mobilisant ses cadres et dénonçant ce qu’il considère comme une “dérive autoritaire” du chef de l’État. À l’opposé, l’UDPS monte en pression, organisant des manifestations dans les rues de Kinshasa, au cri de “Dissolution maintenant !”, galvanisée par la perspective de renverser l’équilibre institutionnel hérité de l’accord FCC-CACH.
Si la dissolution de l’Assemblée nationale ne se matérialise pas immédiatement, l’effet est psychologique : Tshisekedi brise un tabou et montre qu’il est prêt à utiliser toutes les prérogatives présidentielles, y compris les plus explosives, pour desserrer l’étau du FCC. Ce moment marque un tournant : le président n’est plus seulement en cohabitation, il amorce une confrontation.

Le budget 2020, retardé par Mabunda, devient un autre point de friction. Le FCC exige des fonds pour ses provinces, provoquant des manifestations UDPS à Kinshasa en décembre 2019. Kabund dénonce un « sabotage économique », reflétant l’incapacité de la coalition à aligner ses priorités.

La crise du Covid-19 : une bataille politique

En mars 2020, Tshisekedi décrète l’état d’urgence face à la pandémie de COVID-19, isolant Kinshasa et interdisant les rassemblements. Cette mesure, initialement consensuelle, devient un point de friction lorsque Tshisekedi propose de prolonger l’état d’urgence, nécessitant l’approbation du Congrès. Jean-Marc Kabund s’oppose à la convocation du Congrès, estimant son coût à 7 millions de dollars, une somme exorbitante en temps de crise. Le FCC, qui contrôle le Congrès, insiste pour une réunion, voyant une opportunité de réaffirmer son influence. La fermeture temporaire du siège du parlement par le ministre CACH de l’Intérieur et sécurité, justifiée par des motifs sanitaires, est dénoncée par le FCC comme une “atteinte à la démocratie” tendant à l’empêcher de convoquer le congrès. Jeanine Mabunda qualifie la mesure de “tentative de museler le Parlement”, tandis que Kabund rétorque que “la santé des Congolais prime sur les calculs politiques”. Cette crise transforme une urgence sanitaire en bataille institutionnelle.

Destitution de Kabund et grèves publiques

En mai 2020, une pétition déposée par le député Jean-Jacques Mamba, soutenu par le FCC, vise Jean-Marc Kabund, accusé d’avoir terni l’image de l’Assemblée par ses déclarations sur le coût du Congrès. La destitution de Kabund, votée par une majorité écrasante et confirmée par une Cour constitutionnelle proche du FCC, est célébrée par le FCC comme une “victoire de la démocratie”. L’UDPS dénonce un “complot politique” pour affaiblir Tshisekedi. À Kinshasa, des militants de l’UDPS brûlent des pneus et bloquent des artères, dénonçant un “coup parlementaire”. L’arrestation de Mamba pour “faux et usage de faux” dans la collecte des signatures de ladite pétition attise les tensions, chaque camp accusant l’autre d’instrumentaliser la justice.

La même période des grèves de magistrats et de médecins, protestant contre leurs conditions et le blocage des budgets par le FCC, paralysent Kinshasa et Mbuji-Mayi (Radio Okapi, octobre 2019-mai 2020). Ces mouvements, bien que périphériques, reflètent l’incapacité de la coalition à répondre aux attentes sociales.

Justice sous pression et bataille pour le contrôle de la BCC

En juin 2020, alors que la coalition FCC-CACH tangue déjà sur des désaccords profonds, une violente tempête politique s’abat sur le pays autour d’un sujet explosif : l’indépendance de la justice. Le dépôt à l’Assemblée nationale de trois propositions de lois par les députés FCC Aubin Minaku et Gary Sakata, visant à renforcer les pouvoirs du ministre de la Justice sur les magistrats du parquet, met le feu aux poudres. La société civile, le Syndicat autonome des magistrats, la CENCO et des mouvements comme la LUCHA dénoncent unanimement une tentative de mainmise politique, une résurgence rampante de l’autoritarisme kabiliste. Kinshasa s’embrase. À Goma également, des manifestations spontanées se tiennent aux abords du Palais de justice, dans une atmosphère de défi populaire. Des effigies d’Aubin Minaku sont brûlées, des résidences de cadres du FCC ciblées.

Au sein du gouvernement, la tension est électrique. Le 26 juin, lors d’un Conseil des ministres, les membres découvrent, stupéfaits, que le vice-Premier ministre en charge de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, a déjà transmis un avis favorable sur ces propositions de lois, sans en référer au préalable au gouvernement. Un acte qualifié d’« initiative personnelle » par la Présidence, qui dénonce alors un « manque de sincérité » du ministre. Le chef de l’État, visiblement ulcéré, quitte la réunion pour une conférence de l’Union africaine, mais laisse derrière lui une atmosphère plombée.

Le lendemain, l’affaire prend une tournure spectaculaire. Aux alentours de 14h, des policiers lourdement armés se présentent au domicile de Tunda avec un mandat d’amener. Le ministre résiste, s’enferme chez lui, multiplie les appels. Puis finit par se rendre, après avoir été, selon ses propres mots, « rassuré par la hiérarchie ». Dans la soirée, devant les cadres du PPRD, Tunda confie : « Yemeyi [lui-même] m’a dit : il ne faut pas avoir peur de quoi que ce soit. » Il sera libéré après quelques heures d’audition.

Cette interpellation, très médiatisée, provoque une levée de boucliers dans les rangs du FCC. Emmanuel Ramazani Shadary, furieux, s’adresse à la presse : « Personne ne peut nous intimider. Parce qu’il a défendu sa position de manière démocratique, on l’a traité comme un malfrat. La police a encerclé sa maison, comme si c’était un assassin ! Où allons-nous dans ce pays ? On veut instaurer une dictature plus forte que celle de Mobutu. Mais au PPRD, nous disons non ! »

La réaction du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, fidèle au Front Commun pour le Congo (FCC), ne s’est pas fait attendre. Dans une déclaration ferme, il condamne une arrestation jugée « brutale et arbitraire » de son vice-Premier ministre, Célestin Tunda Ya Kasende. Il en appelle directement au président Félix Tshisekedi, l’invitant à veiller scrupuleusement au respect du secret entourant les délibérations du Conseil des ministres. À ses yeux, aucun membre du gouvernement ne devrait être inquiété pour des opinions exprimées dans ce cadre, protégé par le principe de collégialité.

Le chef du gouvernement va plus loin, exigeant l’ouverture d’une action disciplinaire contre les magistrats à l’origine de l’interpellation de Tunda, signe d’un malaise institutionnel profond entre les deux pôles du pouvoir exécutif.

Face à la tempête politique, Célestin Tunda choisit la porte de sortie. Le 11 juillet, il présente sa démission, invoquant la nécessité de « préserver la sérénité » des institutions. Mais derrière cette formulation diplomatique, peu se laissent tromper : ce départ ressemble à une sanction déguisée, infligée après une véritable mise en scène d’humiliation publique.

Quelques jours plus tôt, une déclaration maladroite de Tunda à la télévision avait déjà semé le trouble. En qualifiant le président de la République de « Boss » et de « coach », ses propos avaient suscité des remous au sein de la Présidence, perçus comme une ironie mal placée, voire une provocation à peine voilée.

Dans l’opinion, cet épisode révèle au grand jour les lignes de fracture au sein de la coalition. Le bras de fer autour de la justice devient le symbole d’un affrontement plus large : celui d’un président qui veut marquer son autorité face à un allié devenu encombrant. La fracture est désormais béante.

Parallèlement, la Banque centrale devient un autre champ de bataille. Tshisekedi tente de nommer un gouverneur aligné sur CACH, mais le FCC défend Déogratias Mutombo, retardant les réformes monétaires et exacerbant l’inflation. Ces querelles économiques soulignent les enjeux financiers de la coalition.

Nominations dans l’armée : une lutte pour le contrôle sécuritaire

En juillet 2020, Félix Tshisekedi signe une série d’ordonnances présidentielles procédant à un remaniement majeur au sein des Forces armées de la RDC (FARDC), des services de renseignement et de la police nationale, dans une tentative audacieuse de reprendre le contrôle du secteur sécuritaire, longtemps dominé par les loyalistes de Joseph Kabila. Annoncées le 17 juillet à la télévision nationale, ces nominations incluent des figures clés : le général Gabriel Amisi, surnommé « Tango Four », remplace le général John Numbi, proche de Kabila et sous sanctions internationales pour violations des droits humains, au poste d’inspecteur général des FARDC. Le général Fall Sikabwe Asinda est promu chef d’état-major de l’armée de terre, tandis que Michel Mandiangu prend la tête des renseignements militaires, succédant au général Delphin Kahimbi, décédé dans des circonstances troubles. D’autres officiers, comme le général Jean-Claude Yav, sont placés à des postes stratégiques au sein de la maison militaire du président.

Ces décisions, saluées par des partenaires internationaux comme les États-Unis, Tibor Nagy, assistant du secrétaire d’État, y voyant un engagement pour les droits humains, visent à réduire l’influence des réseaux kabilistes dans l’appareil sécuritaire, tout en consolidant l’autorité de Tshisekedi en tant que commandant suprême des FARDC. Cependant, elles déclenchent une crise institutionnelle majeure du fait qu’elles ne sont pas contresignées par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, membre du FCC. À la place, elles portent la signature du vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde Malamba, membre de l’UDPS (CACH), qui assure l’intérim d’Ilunga, alors en mission à Lubumbashi du 16 au 19 juillet.

Le recours à Kankonde s’appuie sur une lettre d’Ilunga datée du 16 juillet, confiant l’intérim à Kankonde pour les affaires courantes. Cependant, le FCC conteste la légalité de ce contreseing, arguant que les nominations dans l’armée et les services de sécurité, en raison de leur portée stratégique, requièrent l’aval explicite du Premier ministre titulaire. Le 21 juillet, Ilunga, par la voix de son porte-parole Albert Lieke Milay, exprime sa « stupéfaction » face à des ordonnances qu’il découvre via les médias. Il dénonce une « violation de la Constitution » et demande une rencontre urgente avec Tshisekedi pour « clarifier cette situation préoccupante », soulignant que le contreseing garantit l’équilibre des pouvoirs au sein de la coalition.

Le FCC, par l’entremise de son coordinateur Néhémie Mwilanya, va plus loin, accusant CACH d’avoir orchestré ces nominations dans le dos d’Ilunga, en profitant de son absence pour marginaliser les intérêts du FCC. Dans une conférence de presse à Kinshasa, Mwilanya déclare : « Ces ordonnances, préparées en catimini, sont une tentative de s’emparer des leviers sécuritaires par la force ». Le PPRD, fer de lance du FCC, mobilise ses cadres, dénonçant une « dérive autoritaire » de Tshisekedi, tandis que Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe Mwamba, respectivement présidente de l’Assemblée nationale et président du Sénat, boycottent les cérémonies liées aux nominations judiciaires concomitantes, en signe de protestation.

CACH, de son côté, défend la légalité et la nécessité des ordonnances. Gilbert Kankonde affirme avoir agi dans le cadre de son intérim, invoquant un précédent de 2018 où un ministre avait contresigné pour Kabila sans controverse. L’UDPS présente les nominations comme une étape cruciale pour réformer un appareil sécuritaire gangréné par la corruption et l’allégeance à l’ancien régime. Jean-Marc Kabund, soutient l’éviction de figures comme John Numbi, symbole de l’héritage kabiliste. À Kinshasa, des militants de l’UDPS organisent des rassemblements spontanés, scandant « Fatshi, libère l’armée ! », voyant dans ces nominations une affirmation de l’autorité présidentielle.

La crise amplifie les frictions au sein de la coalition. Le FCC perçoit l’éviction de Numbi et le choix de figures comme Amisi comme une tentative de Tshisekedi de construire une base loyale dans l’armée, au détriment des équilibres de la coalition. La non-réunion entre Ilunga et Tshisekedi, malgré les demandes du Premier ministre, traduit une rupture du dialogue. Un conseiller présidentiel, cité par Jeune Afrique, confirme qu’« aucun tête-à-tête hors Conseil des ministres n’est envisagé », signe d’un fossé irréparable. Cette crise, survenant juste avant les nominations controversées à la Cour constitutionnelle, renforce la détermination de Tshisekedi à s’émanciper du FCC, préparant le terrain pour les consultations de l’Union Sacrée lancées en novembre 2020.

La bataille pour la CENI

En juillet 2020, la désignation de Ronsard Malonda, proche de Kabila, à la tête de la CENI par l’Assemblée nationale, alors dominée par le FCC, attise les craintes de manipulation électorale pour 2023. CACH accuse le FCC et la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda de vouloir verrouiller le processus électoral. Tshisekedi retarde l’entérinement, provoquant des manifestations violentes à Kinshasa et Lubumbashi. Le FCC défend Malonda comme un “choix technique”, mais cette justification peine à convaincre. Kabund évoque alors la possibilité de mobiliser la base militante pour empêcher cette nomination, ce qui se traduit par des manifestations massives à Kinshasa et Lubumbashi. Ces manifestations, qui prennent rapidement une tournure violente, sont marquées par des affrontements avec la police, et font plusieurs blessés. La situation dégénère, illustrant la gravité de la crise politique en cours.

Cette crise illustre la lutte pour le contrôle des élections, un enjeu crucial dans un pays où les scrutins sont souvent contestés.

Une Cour constitutionnelle contestée

La crise institutionnelle qui éclate en juillet 2020 autour de la Cour constitutionnelle trouve son origine dans un épisode aussi discret que déterminant : la démission controversée de son président, Benoît Lwamba. En poste depuis plusieurs années et perçu comme proche du Front Commun pour le Congo (FCC), Lwamba est reçu en toute discrétion par le président Félix Tshisekedi au Palais de la Nation, à la surprise générale. Quelques jours plus tard, une lettre de démission de Lwamba est rendue publique, officiellement pour des raisons de santé. Mais le timing intrigue, tout comme les circonstances opaques de cette démarche. Très vite, des voix s’élèvent au sein du FCC pour contester l’authenticité de cette démission, accusant la Présidence d’avoir exercé des pressions pour obtenir le retrait du magistrat. Lwamba lui-même, dans un courrier ambigu adressé à ses collègues, affirme n’avoir pas encore formellement quitté ses fonctions, semant le doute sur la validité du processus.

Dans ce climat d’incertitude, Tshisekedi prend acte du départ de Lwamba et, sans attendre le contreseing du Premier ministre Sylvestre Ilunga, nomme un nouveau juge en remplacement, ainsi que deux autres magistrats censés combler des postes vacants. Ces ordonnances présidentielles, non contresignées comme l’exige la Constitution, déclenchent une tempête politique. Le FCC y voit un passage en force et parle d’un “coup constitutionnel” destiné à remodeler la Cour pour la rendre favorable à Tshisekedi en prévision des futurs arbitrages politiques et électoraux. Le Premier ministre Ilunga, fidèle à Joseph Kabila, dénonce des actes “nuls et de nul effet” et alerte sur un grave précédent qui remettrait en cause l’équilibre des institutions.

Côté CACH, la défense est tout aussi frontale : les nouvelles nominations sont présentées comme un acte de rupture salutaire avec une justice longtemps inféodée au régime précédent. Jean-Marc Kabund, alors vice-président de l’Assemblée nationale, estime que « la Cour constitutionnelle, sous l’emprise du FCC, n’a cessé de servir les intérêts d’un seul homme ». Pour l’UDPS, il s’agit d’un moment clé dans la refondation de l’État, où le pouvoir judiciaire doit enfin s’émanciper des chaînes politiques.

Le 21 octobre, les trois nouveaux juges prêtent serment lors d’une cérémonie solennelle au Palais du peuple. Les parlementaires FCC boycottent l’événement, dénonçant une “violation flagrante de la Constitution” et une “dérive autoritaire”. Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe Mwamba, à l’époque respectivement présidente de l’Assemblée nationale et président du Sénat, publient une déclaration conjointe appelant à une “résistance institutionnelle” face à ce qu’ils perçoivent comme un accaparement des leviers de pouvoir par Tshisekedi.

Dans la rue pourtant, le climat est tout autre. Des partisans du chef de l’État se rassemblent à Kinshasa pour célébrer ce qu’ils considèrent comme une victoire symbolique contre le système Kabila. Les slogans “Justice libre, justice forte” se répandent comme un mot d’ordre populaire. Pour beaucoup, cette recomposition de la Cour constitutionnelle représente l’un des actes fondateurs du tournant post-Kabila. Mais pour l’opposition, elle symbolise une entorse grave à la légalité républicaine, et marque le début d’une concentration inquiétante des pouvoirs autour du président Tshisekedi.

La chute des piliers du FCC

En novembre 2020, la coalition CACH-FCC, minée par deux années de luttes intestines, s’effondre sous le poids de ses contradictions. Félix Tshisekedi, lassé des blocages orchestrés par le FCC de Joseph Kabila, lance les consultations nationales pour l’Union Sacrée de la Nation, une initiative visant à recomposer une majorité sans son ancien partenaire. Ce tournant, préparé par une vague de mécontentement populaire contre l’inertie institutionnelle, s’appuie sur la frustration des Congolais face à la corruption, l’insécurité dans l’est et l’incapacité du gouvernement à concrétiser les promesses de réformes, comme la gratuité de l’éducation. Les consultations, menées avec des leaders politiques, religieux et sociaux, dont l’archevêque Fridolin Ambongo et Moïse Katumbi, fracturent le FCC, attirant des dissidents séduits par la perspective d’un nouveau partage du pouvoir. Dans ce contexte explosif, trois figures emblématiques du FCC Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale, Alexis Thambwe Mwamba, président du Sénat, et Sylvestre Ilunga, Premier ministre, sont balayées entre décembre 2020 et février 2021, marquant la fin de l’hégémonie kabiliste et l’ascension de Tshisekedi comme maître du jeu politique à Kinshasa.

Jeanine Mabunda : la chute d’un symbole kabiliste

Jeanine Mabunda, élue présidente de l’Assemblée nationale en avril 2019, incarne la mainmise du FCC sur le pouvoir législatif. Fidèle de Kabila et ancienne ministre, elle est perçue par CACH comme un obstacle aux réformes de Tshisekedi, notamment sur la transparence financière et la gratuité de l’éducation. Son boycott des nominations judiciaires de Tshisekedi en juillet 2020, aux côtés du Sénat, exacerbe les tensions, tandis que sa gestion autoritaire de l’Assemblée aliène même certains députés FCC. À l’automne 2020, les consultations de l’Union Sacrée, lancées le 2 novembre, ébranlent la majorité FCC, avec des défections de poids comme celle de Didi Manara, président du groupe parlementaire PPRD à l’époque et ancien gouverneur du Maniema. La grogne populaire, alimentée par des mouvements citoyens comme la LUCHA, s’intensifie, dénonçant une Assemblée inféodée à Kabila et déconnectée des aspirations du peuple.

Le 7 décembre 2020, une pétition pour la destitution de Mabunda soutenue par 237 signatures, dépassant largement les 125 requises, est déposée. Ce document, fruit d’intenses tractations menées par l’Union Sacrée, accuse Mabunda de « gestion opaque », « incompétence » et « sabotage des initiatives présidentielles ». Les dissidents du FCC, jouent un rôle clé, rejoints par des alliés de Katumbi et de Bemba. Le 10 décembre, la session plénière au Palais du Peuple se déroule dans un climat électrique. Des militants de l’UDPS, massés aux abords, scandent « Mabunda, dégage ! », tandis que des échauffourées avec la police éclatent, faisant plusieurs blessés selon Radio Okapi. À l’intérieur, les débats sont houleux : les députés FCC, menés par Néhémie Mwilanya, dénoncent un « coup de force anticonstitutionnel », mais leur camp, miné par les défections, s’effrite. Le vote, retransmis en direct, voit 281 députés, sur 483 présents, approuver la destitution, un résultat écrasant qui sidère le FCC. Mabunda, évincée, quitte l’hémicycle sous les huées des pro-Tshisekedi.

La chute de Mabunda, relayée par Politico.cd comme une « victoire historique » pour Tshisekedi, démantèle le contrôle du FCC sur l’Assemblée. Christophe Mboso, un transfuge du FCC rallié à l’Union Sacrée, doyen des députés, dirige le bureau provisoire dès le 11 décembre, avant d’être élu en février 2021 président de l’Assemblée nationale en remplacement de Mabunda. Cette transition galvanise les militants de l’UDPS, qui organisent des cortèges à Limete, brandissant des portraits de Tshisekedi. Cependant, le FCC, par la voix de Raymond Tshibanda, condamne une « chasse aux sorcières » et accuse Tshisekedi de manipuler les institutions. La destitution, bien que saluée comme un pas vers la réforme, accentue la polarisation, les cadres FCC menaçant de « résister par tous les moyens ».

Alexis Thambwe Mwamba : le Sénat cède sous la pression

Alexis Thambwe Mwamba, président du Sénat depuis juillet 2019, est un pilier du FCC, connu pour son passé de ministre sous Kabila et son rôle dans la consolidation de l’influence kabiliste. Son boycott des nominations judiciaires de Tshisekedi en juillet 2020, aux côtés de Mabunda, et ses déclarations provocatrices, qualifiant la menace de dissolution de Tshisekedi de « provocation inutile », attisent l’hostilité de CACH. En janvier 2021, la chute de Mabunda et la motion contre Ilunga fragilisent le Sénat, dernier bastion du FCC. Les consultations de l’Union Sacrée, prolongées après décembre, attirent des sénateurs FCC, comme Modeste Bahati Lukwebo, séduits par des promesses de pouvoir. La pression populaire s’intensifie, avec des manifestations à Goma et Bukavu dénonçant un Sénat « au service de Kabila ».

Le 2 février 2021, une motion de censure est déposée contre Thambwe Mwamba par 54 sénateurs, dont des dissidents du FCC et des alliés de l’Union Sacrée. La pétition, initiée par le sénateur MLC Valentin Gerengo, reproche à Thambwe Mwamba une « gestion autoritaire », des « irrégularités financières » et un « manque de collaboration » avec les réformes de Tshisekedi. Les débats, prévus pour le 5 février, sont précédés d’une mobilisation massive. À Kinshasa, des jeunes de la LUCHA brûlent des effigies de Thambwe Mwamba, tandis que des vidéos virales sur les réseaux sociaux montrent des pancartes proclamant « Le Sénat au peuple ! ». Conscient de son isolement, Thambwe Mwamba, conseillé par ses proches, anticipe l’humiliation d’un vote défavorable. Le 5 février, il annonce sa démission dans une lettre aux sénateurs, invoquant le besoin de « préserver la dignité du Sénat » face à une « campagne d’acharnement ». Cette capitulation, annoncée sans débat, surprend même ses adversaires, qui s’attendaient à une bataille parlementaire.

La démission de Thambwe Mwamba, couverte par Jeune Afrique comme un « séisme institutionnel », consacre la mainmise de l’Union Sacrée sur le Parlement. Le 2 mars 2021, Modeste Bahati Lukwebo, un ex-FCC rallié à Tshisekedi, est élu président du Sénat avec 78 voix sur 108, confirmant le basculement de la chambre haute. À Lubumbashi, des militants pro-Tshisekedi célèbrent, voyant dans ce changement la fin d’un Sénat « verrouillé par Kabila ». Le FCC, par la voix d’Emmanuel Ramazani Shadary, dénonce une « instrumentalisation des institutions » et appelle à une « résistance légale ». Pour les analystes, comme le politologue congolais Pierre Mbuyi, la chute de Thambwe Mwamba illustre la stratégie de Tshisekedi : exploiter les rivalités internes du FCC pour recomposer les équilibres de pouvoir.

Sylvestre Ilunga : la motion qui brise le gouvernement FCC

Sylvestre Ilunga Ilunkamba, Premier ministre depuis août 2019, est un fidèle de Kabila, imposé par le FCC pour limiter l’influence de Tshisekedi. Son gouvernement, dominé par le FCC, est accusé par CACH de saboter les réformes présidentielles, notamment sur l’éducation et la lutte contre la corruption. Les tensions culminent en 2020 avec le refus d’Ilunga de contresigner les ordonnances de Tshisekedi sur l’armée et la justice, perçu comme une tentative de préserver l’emprise kabiliste. La formation de l’Union Sacrée, qui prive le FCC de sa majorité parlementaire, place Ilunga dans une position intenable. En janvier 2021, la destitution de Mabunda et la défection de dizaines de députés FCC, attirés par les promesses de Tshisekedi, scellent son sort. La crise économique, marquée par l’inflation et l’insécurité croissante dans l’est, alimente la colère populaire contre son gouvernement.

Le 25 janvier 2021, une motion de censure est déposée contre Ilunga par le député Chérubin Okende de Ensemble pour la République de Katumbi, soutenue par 301 signatures, reflet de la nouvelle majorité de l’Union Sacrée. La motion accuse Ilunga d’« incompétence », de « blocage des réformes » et de « mauvaise gestion » face à la crise économique et sécuritaire. Ilunga tente de contrer l’offensive en dénonçant l’illégalité de la session extraordinaire, convoquée hors période parlementaire régulière. Dans une lettre adressée à Tshisekedi le 26 janvier, il argue que la motion viole la Constitution et refuse de se présenter à l’Assemblée. Mais la pression est irrésistible : le 27 janvier, la session plénière, présidée par Christophe Mboso, se tient sous haute tension. À l’extérieur, des milliers de militants de l’UDPS et de mouvements citoyens, rassemblés près du Palais du Peuple, scandent « Ilunga, dehors ! », tandis que la police déploie des gaz lacrymogènes pour disperser la foule. Le vote, retransmis en direct, est sans appel : 367 députés, sur 382 votants, approuvent la censure, un score écrasant qui humilie le FCC. Ilunga, acculé, présente sa démission le 29 janvier, dans une allocution où il défend son bilan tout en fustigeant une « chasse aux sorcières ».

La chute d’Ilunga, relayée par Heshima Magazine comme la « fin du joug FCC », marque la fin du gouvernement kabiliste. Le 15 février 2021, Jean-Michel Sama Lukonde, un jeune cadre du Katanga et membre de l’Union Sacrée, est nommé Premier ministre, incarnant un renouveau aligné sur les priorités de Tshisekedi. À Kinshasa, des scènes de liesse envahissent Gombe et Limete, avec des pancartes proclamant « Fatshi libère le Congo ! ». Le FCC, par la voix de Néhémie Mwilanya, dénonce un « coup d’État parlementaire » et appelle à une mobilisation de ses bases, mais ces appels, relayés timidement, trahissent son affaiblissement. La transition vers un gouvernement Lukonde, formé en avril 2021, ouvre la voie à des réformes, mais la persistance de l’insécurité dans l’est, avec la résurgence du M23, rappelle les limites de cette victoire institutionnelle.

Rupture et création de l’Union sacrée de la nation

Face à l’escalade des tensions entre les deux coalitions alliées, Tshisekedi initie, en novembre 2020, des consultations nationales dans le but de constituer l’Union Sacrée de la Nation, une nouvelle majorité excluant le FCC. À travers des rencontres avec des leaders politiques, religieux et sociaux, tels que l’archevêque Fridolin Ambongo, le représentant légal de l’église Kimbaguiste,… il s’efforce de rallier à sa cause des dissidents FCC et PPRD et des figures de l’opposition, dont Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba.

Le 6 décembre 2020, dans un discours retransmis en direct par plusieurs médias et face à l’indignation grandissante, Tshisekedi, le regard déterminé et le ton ferme, annonce la fin de la coalition CACH-FCC, dénonçant les “blocages systématiques” du FCC. S’adressant ensuite à la population congolaise dans les quatre langues nationales, il l’appelle à l’accompagner dans cette nouvelle décision pour un avenir meilleur. À l’issue de son discours, tel un scénario digne d’un film, sans un regard en arrière, il tourne le dos aux caméras avec une démarche assurée, un homme qui s’affirme et prend ses distances avec la coalition. Ce geste, puissant autant que son discours, marque une rupture nette. Sa décision, perçue comme un acte audacieux, déclenche une tempête politique déjà en gestation. Le FCC riposte, qualifiant la décision de “coup d’État constitutionnel”, mais une grande partie de la population, épuisée par la paralysie, soutient Tshisekedi. La même nuit, des scènes de liesse éclatent partout dans le pays : automobilistes et motards klaxonnent pour manifester leur joie, tandis que d’autres s’entassent dans les rues, chantant la fin de la coalition. « Tshisekedi a courageusement mis fin à une coalition paralysante. Ce vent de renouveau redonne espoir au peuple », a déclaré Léon Vitho wa Vitho, habitant de Kinshasa/Upn.   

Le camp Tshisekedi aboutit à un nouveau gouvernement en 2021, dirigé par Jean-Michel Sama Lukonde, marquant ainsi la fin de l’hégémonie du FCC.

La résurgence du M23, une revanche de Kabila ?

La rupture, bien que libératrice, fragilise l’appareil sécuritaire. Cette instabilité est exploitée par le M23, qui réémerge fin 2021 dans le Nord-Kivu. Soutenu par le Rwanda, selon les rapports de l’ONU, le groupe profite des faiblesses de l’appareil sécuritaire, miné par l’obstructionnisme du FCC sous la coalition. Le contrôle du FCC sur la défense et les services de renseignement avait entravé les réformes de Tshisekedi, laissant l’est vulnérable. La transition vers l’Union Sacrée, bien que nécessaire, crée un vide institutionnel que le M23 exploite, s’emparant de territoires et déplaçant des millions de civils.

Dans sa tribune de février 2025, Kabila lie la crise du M23 à son exclusion du pouvoir, suggérant que son régime maintenait une stabilité fragile via des arrangements opaques avec des acteurs régionaux comme le Rwanda. Cette affirmation, tout en critiquant Tshisekedi, soulève des questions sur son propre rôle. Les liens historiques de Kabila avec le Rwanda, forgés durant la deuxième guerre du Congo, alimentent les soupçons de complicité tacite dans la résurgence du M23. En suggérant que son exclusion a déstabilisé la RDC, Kabila admet implicitement une influence sur les dynamiques rebelles, une admission troublante qui jette une ombre sur son héritage.

Un séisme politique aux conséquences durables

La destitution de Mabunda, Thambwe Mwamba et Ilunga consacre la fin de l’hégémonie du FCC, mais à un coût élevé. Ces événements, orchestrés par l’Union Sacrée et soutenus par une mobilisation populaire sans précédent, permettent à Tshisekedi de s’émanciper de l’ombre de Kabila, mais ils alimentent les accusations de « dérive autoritaire » portées par le FCC. Dans sa tribune de février 2025, publiée dans le Sunday Times, Kabila lie ces bouleversements à une « instabilité institutionnelle » ayant favorisé la résurgence du M23, une affirmation qui, tout en critiquant Tshisekedi, trahit son propre rôle dans l’obstructionnisme passé. Pour la RDC, ce séisme politique ouvre une ère de réformes, mais aussi de vulnérabilités, dans un pays où la quête de pouvoir à Kinshasa se paie souvent au prix du chaos dans l’Est.

Un chapitre clos, des blessures béantes

L’implosion de la coalition CACH-FCC demeure un tournant majeur dans la saga politique tumultueuse de la RDC. La rupture audacieuse de Félix Tshisekedi avec le FCC de Joseph Kabila a libéré sa présidence, ouvrant la voie à des réformes telles que la gratuité de l’éducation et une justice en quête d’indépendance. Mais cette émancipation a eu un coût élevé. Les batailles institutionnelles marquées par des fraudes électorales, des guerres de nominations et des affrontements parlementaires ont révélé la fragilité d’une nation tiraillée entre un élan réformateur et des structures de pouvoir enracinées. La chute des piliers du FCC, comme Jeanine Mabunda, Alexis Thambwe Mwamba et Sylvestre Ilunga, a scellé le triomphe de Tshisekedi, mais les cicatrices de cette fracture persistent. La tribune de Kabila en février 2025 dans le Sunday Times, liant son exclusion à la résurgence du M23, jette une ombre sur son héritage tout en suggérant des liens troubles avec des acteurs régionaux. Alors que la RDC lutte contre l’instabilité persistante dans l’Est, l’épopée CACH-FCC rappelle une vérité amère : le pouvoir conquis dans l’arène politique de Kinshasa se paie souvent au prix du chaos aux frontières fragiles du pays, rendant la quête de stabilité particulièrement ardue dans un pays fracturé.

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Du papier aux projecteurs : HESHIMA ouvre la scène aux artistes congolais  

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Depuis plusieurs années, HESHIMA Magazine valorise les parcours inspirants des politiciens, économistes, bâtisseurs, artistes, entrepreneurs et penseurs congolais à travers des portraits documentés et dossiers spéciaux.

Aujourd’hui, cette vision prend un nouveau souffle. HESHIMA passe de la plume à la scène, et ouvre un espace inédit d’expression et de révélation avec le lancement de HESHIMA Talent — une télé-réalité musicale inédite, mais surtout, la porte d’entrée vers le tout nouveau label HESHIMA Music Group.

Pour ce faire, HESHIMA annonce la première édition du concours de musique intitulé « Heshima Talent » qui démarre du 1er  au 15 Juillet 2025.

HESHIMA Talent : du média au label, un projet de transmission et d’élévation

HESHIMA Talent est bien plus qu’une émission musicale. C’est une plateforme de détection des artistes de demain, un média vivant, et surtout le canal de lancement officiel du label HESHIMA.

Créé pour propulser les jeunes talents congolais sur le devant de la scène, le label HESHIMA incarne la volonté de professionnaliser et structurer l’industrie musicale locale, avec une vision moderne, ancrée dans la culture urbaine et les valeurs panafricaines.

Le casting HESHIMA Talent est donc une opportunité unique : celle de faire partie de la première génération d’artistes accompagnés par le label HESHIMA.

Cet événement sans précédent au regard de son format vise à promouvoir les jeunes talents musicaux à travers la République démocratique du Congo et sa diaspora en trasformant des destins dans ce secteur. Les candidats intéressés sont appelés à postuler en ligne du 1er au 15 juillet 2025. Ce concours, ouvert aux artistes amateurs et semi-professionnels entre 14 et 33 ans, se veut une vitrine de la richesse musicale congolaise, centrée sur divers styles.

Le label HESHIMA : produire, encadrer, faire rayonner

À l’issue du programme, le/la gagnant(e) de HESHIMA Talent bénéficiera d’un contrat de production complet au sein du label HESHIMA : enregistrement, clip, accompagnement artistique, stratégie image et distribution, une tournée nationale et internationale.

Mais au-delà du gagnant, le label HESHIMA souhaite constituer une véritable pépinière de talents, incluant aussi des profils issus de la diaspora, afin de faire rayonner la musique congolaise au-delà des frontières.

Une vision 360°, fidèle à l’ADN HESHIMA

Du magazine au label, HESHIMA suit une seule ligne : valoriser ce que le Congo a de meilleur.

Après avoir mis en avant les décideurs, les créateurs, les bâtisseurs, il est temps de révéler ceux qui font vibrer le pays à travers la musique.

HESHIMA Talent est donc la continuité naturelle de cette mission, mais aussi un acte fondateur pour ce qui devient aujourd’hui une marque culturelle à part entière.

Comment participer ?

1. Suivre @heshima_mag et @heshima_talent2025 sur Instagram, TikTok, Facebook.

2. Envoyer une vidéo a cappella (prénom + ville + âge) à : 📱 WhatsApp : +243 81 081 82 83

📧 Email : info@heshimardc.net.com

3. Attendre la réponse du comité. Si présélectionné(e), une date pour se présenter au casting final à Kinshasa sera communiquée.

Clôture des candidatures vidéos (RDC + diaspora) : 15 juillet 2025.

Les artistes vont être sélectionnés par des coachs vocaux et les différentes primes connaîtront la participation des grands noms de la musique congolaise. Ces primes seront également diffusées en ligne (YouTube, TikTok Live, Facebook Watch) avec une large couverture assurée par des chaînes de télévision congolaises. Cet événement, haut en couleur, consacrera également le lancement officiel du label « HESHIMA MUSIC GROUP » (HMG).

Un appel aux sponsors et partenaires engagés pour la culture

HESHIMA Talent est plus qu’un programme télévisé : c’est un projet culturel, social et entrepreneurial. Il vise à valoriser les talents congolais, à promouvoir une image positive de la jeunesse et à renforcer les industries créatives locales.

Nous lançons un appel à tous les partenaires, marques, institutions ou mécènes désireux de s’associer à une initiative porteuse de sens, d’impact et de visibilité.

Sponsoring, co-branding, soutien logistique, dotations ou diffusion : toutes les formes de partenariat sont les bienvenues.

En rejoignant l’aventure HESHIMA Talent, vous vous associez à une vision moderne, panafricaine et ambitieuse du divertissement culturel.

Contact partenariat : info@heshimardc.net| 📱 WhatsApp : +243 81 0818283

📌 Hashtag :

#heshimatalent2025

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Polémique en RDC : les mandats des juges de la Cour constitutionnelle sont-ils illégaux ?

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En République démocratique du Congo (RDC), la Cour constitutionnelle, instituée par la Constitution du 18 février 2006, est au cœur d’une controverse persistante qui menace son rôle de gardienne de l’État de droit. Chargée de veiller à la conformité des lois, de trancher les contentieux électoraux et de résoudre les conflits entre institutions, cette juridiction suprême est essentielle à la stabilité démocratique du pays. Pourtant, depuis son installation officielle le 4 avril 2015, elle fait face à des accusations récurrentes de politisation, alimentées par des irrégularités présumées dans la nomination et le renouvellement de ses juges. En 2025, la polémique s’intensifie autour de la légalité des mandats des juges actuellement en place, suscitant des débats sur leur légitimité et l’indépendance de l’institution.

La Constitution de 2006, dans son article 157, établit la Cour constitutionnelle comme la plus haute autorité en matière de contrôle constitutionnel. Selon l’article 158 et la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013, la Cour est composée de neuf juges nommés par le Président de la République : trois sur son initiative, trois désignés par le Parlement réuni en congrès, et trois par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Deux tiers des membres doivent être des juristes issus de la magistrature, du barreau ou de l’enseignement universitaire, avec au moins 15 ans d’expérience professionnelle. Les juges bénéficient d’un mandat de neuf ans non renouvelable, avec un renouvellement par tiers tous les trois ans. Pour les membres initiaux, les deux premiers renouvellements (2018 et 2021) devaient se faire par tirage au sort pour déterminer quels juges quitteraient leur poste après trois, six ou neuf ans.

Le président de la Cour, élu par ses pairs pour un mandat de trois ans renouvelable une fois, est investi par ordonnance présidentielle. La loi impose des incompatibilités strictes : les juges ne peuvent occuper de fonctions gouvernementales, de mandats électifs ou d’activités politiques, bien que l’enseignement supérieur soit autorisé. Ces dispositions visent à garantir l’indépendance et l’impartialité de la Cour, mais leur application a souvent été mise en doute, notamment en raison de nominations perçues comme politiquement motivées.

Les débuts sous Joseph Kabila (2014-2018)

La Cour constitutionnelle a été officiellement installée le 4 avril 2015, marquant le début de son fonctionnement sous le régime de Joseph Kabila. Une ordonnance présidentielle du 7 juillet 2014 nomme les neuf premiers juges : Vunduawe Te Pemako, Luzolo Bambi, Banyaku Luape, Jean-Louis Esambo, Luamba Bindu, Corneille Wasenda, Funga Molima, Kalonda Kele et Kilomba Ngozi Mala. Selon le cadre légal, le premier renouvellement par tiers devait intervenir en 2018, avec un tirage au sort pour sélectionner un juge par groupe (présidentiel, parlementaire, judiciaire).

En 2018, le renouvellement prévu n’a pas suivi la procédure légale. Au lieu d’un tirage au sort, deux juges, Jean-Louis Esambo et Banyaku Luape, ont démissionné, et un troisième, Kalonda Kele, est décédé. Ces départs ont permis le remplacement de trois juges sans tirage au sort, une pratique critiquée pour son opacité. Le 16 mai 2018, trois nouveaux juges, Norbert Nkulu, François Bokona et Jean Ubulu, ont été nommés afin de combler le vide. Ces nominations, impliquant des figures de la majorité présidentielle de Kabila, ont été contestées par l’opposition et la société civile, qui dénonçaient une politisation de la Cour.

Les tensions sous Félix Tshisekedi (2019-2022)

L’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence en janvier 2019 a exacerbé les tensions autour de la Cour, notamment en raison de la coalition fragile entre sa coalition, Cap pour le changement (CACH), et le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. En juillet 2020, Tshisekedi a nommé trois nouveaux juges : Dieudonné Kaluba Dibwa, Kalume Yasengo et Dieudonné Kamuleta Badibanga. Ces nominations, réalisées sans consultation préalable avec le FCC, majoritaire au Parlement, ont été dénoncées comme anticonstitutionnelles. Le FCC, dans un communiqué publié par de nombreux médias, a qualifié ces ordonnances de violations graves, accusant Tshisekedi de « haute trahison ».

De plus, deux juges, Noël Kilomba et Jean Ubulu, ont refusé leur mutation à la Cour de cassation, arguant que leur mandat de neuf ans à la Cour constitutionnelle n’était pas terminé. Cette résistance a renforcé les accusations de passage en force de Tshisekedi, le FCC dénonçant l’absence de consultation du CSM. Le procureur général près la Cour constitutionnelle a toutefois défendu la légalité des nominations, affirmant leur conformité à la Constitution, comme rapporté par RFI le 15 octobre 2020.

En 2022, un nouveau renouvellement a eu lieu, avec le remplacement de trois juges : Dieudonné Kaluba Dibwa, Evariste-Prince Funga Mwata Molima et Polycarpe Mongulu, ce dernier étant décédé. Christian Bahati Yuma, Sylvain Lumu Mbaya et Mandza Andia Dieudonné ont été nommés pour les remplacer, après un tirage au sort pour Kaluba et Funga, conformément à la loi. Ce renouvellement, bien que plus conforme aux procédures, a été entaché par des soupçons de corruption, notamment dans l’affaire Bukanga-Lonzo, où Kaluba serait impliqué.

La crise de 2024-2025

En avril 2024, la Cour a atteint neuf ans d’exercice, déclenchant un débat sur la légalité des mandats des juges restants. Selon Radio Okapi, dans un article du 6 avril 2024, certains, dont le Centre des recherches et d’étude sur l’état de droit en Afrique (CREEDA), soutiennent que la Cour est devenue illégitime, car elle n’a pas été renouvelée conformément à l’article 7 de la loi organique, qui exige le remplacement des juges un mois au plus tôt ou une semaine au plus tard avant l’expiration de leur mandat. D’autres, comme l’avocat Willy Wenga, estiment qu’il s’agit d’un renouvellement par tiers, citant trois juges en fin de mandat : Corneille Wasenda, Jean-Paul Mavungu et Norbert Nkulu.

Cependant, cette liste pose problème. Norbert Nkulu, nommé en 2018, devrait rester en fonction jusqu’en 2027, tandis que Corneille Wasenda, membre initial de 2015, aurait dû être remplacé plus tôt si le tirage au sort avait été respecté. L’absence de renouvellement en 2021, qui aurait dû être le deuxième cycle, a créé une confusion sur les mandats. En 2025, la polémique s’est intensifiée avec le report de l’élection du président de la Cour, prévue initialement pour le 20 juin 2025. Dieudonné Kamuleta Badibanga, président depuis 2022, reste en fonction, mais des tensions persistent autour de la composition de la Cour.

Une publication sur le réseau social X d’un internaute (@Daddy Kalubi Mukendi) défend l’idée que chaque juge bénéficie d’un mandat plein de neuf ans, sauf en cas de tirage au sort, de démission ou de décès. Cette position contredit l’interprétation selon laquelle un tirage au sort doit avoir lieu tous les trois ans pour renouveler un tiers des juges, suggérant une divergence dans l’interprétation des textes juridiques.

Les nominations de 2020 : Un point de rupture

Les nominations de 2020 par Tshisekedi ont marqué un tournant dans la crise. Selon une publication du journal La Libre du 21 octobre 2020, ces ordonnances, non contresignées par le Premier ministre de l’époque, issu du FCC, ont été perçues comme un passage en force. La prestation de serment des nouveaux juges, dénoncée comme « du théâtre » par Ferdinand Kambere, Secrétaire général adjoint du parti du président honoraire Joseph Kabila, a accentué les tensions. Cette crise a révélé un conflit profond entre les camps de Tshisekedi et Kabila, chacun cherchant à contrôler une institution clé pour les contentieux électoraux. Cette crise est celle qui a provoquée par la suite la rupture entre CACH et FCC.

Les nominations de 2025 : Une nouvelle polémique

En janvier 2025, la nomination de deux nouveaux juges a relancé la controverse. Selon Tv5 Monde, les autorités ont présenté ces nominations comme un moyen de redresser le système judiciaire, mais l’opposition y voit une tentative de Tshisekedi de consolider son influence en vue d’une éventuelle révision constitutionnelle. Cette perception est renforcée par le report de l’élection du président de la Cour en juin 2025, perçu comme une manœuvre pour maintenir des juges proches du pouvoir en place.

Points de vue des experts

Les experts juridiques congolais sont divisés sur la question. Me Jean-Pierre Makasu déclare : « La Cour constitutionnelle est devenue un outil au service du pouvoir exécutif. Les irrégularités dans les nominations et les retards dans les renouvellements sapent sa légitimité et compromettent l’État de droit. » Cette critique reflète un sentiment répandu parmi les opposants, qui accusent la Cour de partialité.

À l’inverse, le professeur Albert Matadila, constitutionnaliste, adopte une position plus mesurée : « Malgré des irrégularités, la Cour continue de remplir ses fonctions. Une réforme du processus de nomination est nécessaire, mais il ne faut pas discréditer l’ensemble de ses décisions. » Cette perspective met l’accent sur la nécessité de réformes structurelles pour renforcer l’indépendance de l’institution.

Paul-Gaspard Ngondankoy, juriste et analyste politique, cité dans un article de l’Agence Congolaise de Presse (ACP) du 5 juin 2025, propose une révision de la loi organique pour clarifier les procédures de renouvellement et limiter les ingérences politiques. Il suggère un dialogue inclusif impliquant les institutions, les partis politiques et la société civile pour restaurer la confiance.

Implications pour la démocratie congolaise

La polémique autour de la Cour constitutionnelle a des répercussions profondes sur la démocratie congolaise. En tant qu’arbitre des contentieux électoraux, la Cour joue un rôle déterminant dans la légitimité des processus électoraux. Les accusations de politisation, comme celles entourant les élections de 2018 et 2023, où la Cour a validé des résultats contestés, ont alimenté la méfiance des citoyens. Selon un rapport du Congolese Research Institute for the Improvement of the Functioning of Institutions, publié en mars 2025, 68 % des Congolais interrogés estiment que la Cour manque d’indépendance.

De plus, les irrégularités dans les renouvellements et les nominations controversées renforcent la perception d’une justice aux ordres. Cela risque de compromettre la stabilité politique, surtout à l’approche des prochaines élections. Comme le souligne Me Marlène Makuba, avocate et militante des droits humains : « Une Cour constitutionnelle perçue comme illégitime ne peut garantir des élections transparentes. Sans réformes, nous risquons une crise institutionnelle majeure. »

Vers des réformes nécessaires

Pour surmonter cette crise, plusieurs réformes sont envisagées. Premièrement, le respect strict du calendrier de renouvellement par tiers, avec un tirage au sort transparent, est essentiel pour dissiper les soupçons d’arbitraire. Deuxièmement, une clarification des dispositions contradictoires entre la Constitution et la loi organique s’impose. Par exemple, l’article 158 de la Constitution stipule un mandat de neuf ans non renouvelable, mais le mécanisme de tirage au sort peut écourter les mandats, créant une ambiguïté exploitée politiquement.

Enfin, une plus grande transparence dans le processus de nomination, avec une consultation effective des parties prenantes (Parlement et CSM), renforcerait la légitimité des juges. Le professeur Mukendi propose la création d’une commission indépendante pour superviser les nominations, une idée soutenue par des organisations comme le CREEDA. Ces réformes, si elles sont mises en œuvre, pourraient restaurer la confiance dans la Cour et consolider l’État de droit en RDC.

Un défi pour l’État de droit

La polémique autour de la Cour Constitutionnelle de la RDC met en lumière les défis structurels auxquels le pays est confronté dans la consolidation de son État de droit. Les irrégularités dans les renouvellements, les nominations controversées et les accusations de politisation compromettent la crédibilité de cette institution essentielle. À l’approche des prochaines échéances électorales, la légitimité de la Cour sera déterminante pour garantir des processus démocratiques transparents et équitables. Des réformes urgentes, combinant transparence, respect des textes juridiques et dialogue inclusif, sont nécessaires pour restaurer la confiance et renforcer l’indépendance judiciaire en RDC.

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65 ans d’indépendance et 30 ans d’instabilité sécuritaire : la RDC à la croisée des chemins

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La République démocratique du Congo (RDC) célèbre, ce 30 juin 2025, 65 ans de son indépendance. Cet anniversaire intervient trois jours après la signature, à Washington DC, d’un important accord de paix entre Kinshasa et Kigali pour tenter de mettre fin aux violences armées qui durent depuis 30 ans dans l’Est du pays. Cet accord pourrait-il marquer un tournant décisif dans la résolution du conflit ? Décryptage. 

De 1960 à 2025, la RDC a connu des avancées, comme des réformes institutionnelles ou des périodes de croissance économique, mais aussi de profondes régressions, marquées par des crises politiques et des conflits armés dans plusieurs secteurs : politique, économique, sociale, sécuritaire et géopolitique. De Joseph Kasa-Vubu à Félix Tshisekedi, en passant par Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila, le pays a connu plusieurs insurrections. Mais l’instabilité sécuritaire s’est aggravée au lendemain du génocide rwandais de 1994. Depuis le milieu des années 1990, l’Est de la RDC est marqu­é par des conflits armés successifs, menés par des groupes comme l’AFDL (1996-1997), le RCD (1998-2003), le MLC (1998-2003), le CNDP (2006-2009) et le M23 (2012-2013 et depuis 2021).

Dans ce pays aux dimensions continentales, Joseph Kasa-Vubu et Lumumba ont fait face à des sécessions (Katanga et le Sud Kasaï), plus tard, le président Mobutu fera face à la rébellion de Pierre Mulele ainsi que de Laurent-Désiré Kabila. Quand ce dernier devient président de la République, il fera face non seulement à des multiples insurrections (RCD, MLC, RCD-KML) mais aussi à une guerre d’agression rwandaise, burundaise et ougandaise en 1998. Son fils, Joseph Kabila, sera confronté au CNDP de Laurent Nkunda, puis le M23 en 2012-2013. A son tour, Félix Tshisekedi est également confronté à une agression rwandaise déguisée en rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition incluant le M23, soutenue par le Rwanda. 

Malgré les ingérences étrangères et toutes ces rébellions, la RDC a résisté à de nombreuses tentatives de balkanisation. Amputé de ses deux capitales provinciales (Goma et Bukavu) depuis plus de cinq mois par la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) soutenue par le Rwanda, le pays est – 65 ans après – à la croisée des chemins pour tenter de refaire encore son unité. L’accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington DC, sous la médiation américaine, pourrait être un début de solution à ces 30 années de violence. 

L’Accord signé est-il différent des autres traités avec le Rwanda ?

Le texte signé à Washington énonce le respect de l’intégrité territoriale de deux pays, la RDC et le Rwanda, il prévoit l’arrêt des hostilités, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés, ainsi qu’un mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité. Mais l’élément central de l’accord est le retrait des troupes rwandaises du sol congolais, un point particulièrement sensible. En effet, les rebelles de l’AFC/M23 n’ont pas agi seuls dans la conquête du vaste espace congolais qu’ils occupent actuellement dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Ils ont bénéficié du commandement, appui logistique et en hommes de l’armée rwandaise selon un rapport des experts des Nations unies publié en 2024. L’accord prévoit donc le retrait ou le désengagement de ces troupes rwandaises du sol congolais. Mais ce retrait devrait se faire concomitamment avec la neutralisation par le gouvernement congolais des rebelles des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) formées par d’anciens responsables du génocide rwandais après 1994, présentes dans l’Est de la RDC depuis les années 1990. Kigali considère ce mouvement créé par d’anciens génocidaires comme une menace « existentielle » à la sécurité du Rwanda. 

L’accord prévoit aussi une coopération autour des richesses naturelles, notamment la gestion des parcs nationaux et des ressources transfrontalières. Dans l’ensemble, ce document a repris des points classiques que Kinshasa et Kigali revendiquent souvent. Mais la seule nouveauté, c’est l’implication active des Etats-Unis comme médiateurs de dernière minute dans cette crise. Peut-être que cela pourrait aider enfin à la mise en œuvre de cet accord. C’est le seul point de différence avec les accords signés précédemment, notamment l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix en RDC et dans la région des Grands Lacs. 

Le gouvernement trouvera-t-il les FDLR à neutraliser ?

Dans ce document, l’engagement pris par le gouvernement congolais de neutraliser les rebelles des FDLR représente un défi majeur. Le premier couac pourrait venir de cette incise qui est d’ailleurs liée au désengagement des forces rwandaises du sol congolais. Les deux séquences sont liées, ce qui met un coup de pression sur le gouvernement congolais pour mettre rapidement la main sur les FDLR.

Mais le problème, c’est que la zone de localisation de ces rebelles est celle occupée actuellement par l’armée rwandaise et les rebelles de l’AFC/M23. Pourquoi n’ont-ils pas eux-mêmes neutralisé ces rebelles ? En acceptant ce pari, le gouvernement congolais va-t-il trouver cette force résiduelle dans quel autre coin du pays ? Dans le Maniema ou dans le Kasaï ? Le quartier général des FDLR étant souvent à Rutshuru ou à Masisi, deux territoires congolais actuellement sous contrôle de l’armée rwandaise et des rebelles du M23.

L’autre incertitude, c’est que depuis 20 ans la lutte contre les FDLR n’a jamais définitivement abouti malgré les opérations conjointes menées avec l’armée rwandaise notamment dans l’opération « Kimia II » en 2005 et « Amani leo » en 2009. Sous Félix Tshisekedi en 2020, l’armée a remis au Rwanda des centaines des FLDR et leurs dépendants. Certaines affirmations qui ne sont pas sourcées, certains rebelles des FDLR capturés et extradés vers le Rwanda sont revenus sur le sol congolais. Cet engagement visant à neutraliser les FDLR pourrait donc être une épine sous le pied du gouvernement. Il risque de se transformer en opération conjointe entre les armées congolaise et rwandaise. Outre les défis liés aux FDLR, l’accord de paix a également des répercussions sur les acteurs locaux, notamment Corneille Nangaa, leader de l’AFC/M23.

Conquête de Kinshasa, Corneille Nangaa abdique ? 

Après la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, le coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23), Corneille Nangaa a été obligé de changer de langage. L’homme qui rêvait de « défaire le monstre » (Félix Tshisekedi) qu’il disait avoir lui-même créé, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) semble perdre cette ambition. Dans une allocution à l’occasion du 30 juin, fête de l’indépendance, Corneille Nangaa a quasiment renié cet agenda subversif en affirmant que son mouvement ne poursuivait ni la gloire ni le pouvoir. « Nous ne poursuivons ni la gloire, ni le pouvoir : notre engagement vise à sortir la RDC du cycle d’insécurité, de pauvreté, d’exclusion, de discriminations, de médiocrité, de l’arbitraire, de la dictature et des injustices. Nous sommes un peuple debout, uni dans sa diversité, mû par la volonté de vivre ensemble dans la dignité », a-t-il déclaré. 

En réalité, le M23 n’a jamais eu des revendications de nature à renverser le pouvoir à Kinshasa. Corneille Nangaa semblait plutôt se servir de ce mouvement pour assouvir sa soif de vageance politique contre Félix Tshisekedi après la rupture des liens politiques entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Selon une analyse de François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, publiée en 2024, « dans le jeu de Kigali, Joseph Kabila apparaît comme une carte pour faire pression sur Félix Tshisekedi, rien de plus. » 

D’après Pierre Boisselet, directeur du pilier violence de l’institut congolais Ebuteli, si le Rwanda retire son soutien à l’AFC/M23, rien ne prouve la capacité de cette rébellion à défaire les FARDC malgré le recrutement et la formation en cours des nouveaux combattants. « Lors de toutes les campagnes qui ont permis de gagner du territoire, c’était, à priori, toute l’armée rwandaise qui était en première ligne. Donc, le M23 n’a pas forcément non plus démontré sa capacité à soutenir un conflit contre les FARDC », a-t-il analysé sur les antennes de RFI. 

Avec cet accord de paix signé à Washington, il pourrait être de plus en plus difficile pour Nangaa ou Kabila de réaliser la chute du régime Tshisekedi. Mais cela n’est pas non plus un gage de retour de la paix dans l’ensemble du pays. Il faudrait maintenant pointer le curseur sur Doha, au Qatar, pour régler la question de l’AFC/M23 et projeter – peut-être – l’organisation d’un dialogue national au pays avec l’initiative de la CENCO-ECC. 

Cet accord de paix obtenu avec une grande implication des Etats-Unis – un médiateur qui a les moyens de faire pression sur Kigali et Kinshasa – cela peut être un élément majeur dans le début de la résolution de cette crise qui date. « Mais pour que l’accord se concrétise sur le terrain, il faudra que la pression américaine soit maximale, et surtout, s’inscrive dans la durée. La paix ne reviendra pas d’un coup de baguette magique, car les difficultés ne manquent pas pour mettre fin à une guerre de 30 ans », estime le journaliste français Christophe Rigaud. 

L’accord de Washington représente une opportunité historique pour la RDC, mais sa réussite dépendra de la volonté politique, de la pression internationale et d’une stratégie globale pour désarmer les groupes armés, réintégrer les ex-combattants et promouvoir un dialogue national inclusif. 

Heshima 

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