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RDC-RWANDA : historique d’une diplomatie délicate

La République Démocratique du Congo, ce pays à la superficie continentale de 2 345 410 Km2, est assurément un des plus grands d’Afrique, deuxième après l’Algérie et le plus grand de l’Afrique centrale.
Elle partage ses frontières avec 9 pays du nord au sud et de l’Est à l’Ouest, cependant, ses frontières de l’Est restent les plus problématiques suite à la succession des guerres et conflits successifs dans cette région.
Les relations diplomatiques dans cette partie sont à la fois fluides et délicates avec quelques voisins dont le Rwanda dont l’histoire commune attire l’attention du Magazine Heshima.

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Congo-Ruanda-Urundi !

D’aucuns le connaissent sous le nom de l’Université de Lubumbashi, cependant, ses étudiants d’autrefois l’ont appelée l’Université officielle du Congo belge et du Ruanda-Urundi, premier établissement d’enseignement supérieur commun à trois pays, à savoir une partie du Congo, le Rwanda et l’Urundi, actuellement la République du Burundi.

Entre 1956, l’année du lancement de la formation et 1960 marquant la migration nominale de ladite université, des milliers d’étudiants ont fréquenté les rues de Lubumbashi pour y être formés, parmi lesquels des diplomates, des politiques de renom encore en fonction dans les pays concernés. A cette époque, congolais, rwandais, burundais se mélangeaient sans se gêner ni se regarder en chiens de faïence, certains s’étant mariés dans les pays de leur accointance. Cette expérience universitaire a également été la genèse d’un flux migratoire entre le Congo et le Ruanda auquel beaucoup d’analystes rattachent la création d’une génération d’apatrides, rejetés des deux pays.

Mobutu-Habyarimana : des frères des parents différents !

Lorsque le Maréchal Mobutu, président de la République du Zaïre apprend la nouvelle de l’assassinat de Juvénal Habyarimana, son ami, il passait un week-end dans la résidence d’Honoré Ngbanda en pleine forêt équatoriale. Il a poussé un cri que sa garde a crû que leur guide faisait une crise de panique suite à l’irruption d’un serpent venimeux.

Honoré, ils l’ont tué, lance-t-il à son hôte. Quelques heures plus tôt, le président rwandais avait rendu visite à son homologue zaïrois pour demander son soutien lors d’une réunion de l’Union Africaine devant statuer sur la crise au Rwanda. Les services de renseignements zaïrois, peu sûrs du dispositif sécuritaire empêchent Mobutu d’accompagner son frère, lui demandant de trouver un subterfuge.

Habyarimana prendra son hélicoptère pour se rendre à ladite réunion, et à son retour alors qu’il survole Kigali, son appareil est abattu par des missiles sol-air.

C’est une catastrophe pour Mobutu, il a perdu un ami, un compagnon, un frère avec qui il partageait des convictions et des parrains français.

Le président du Zaïre sait que son dernier rempart contre une entrée massive des troupes de Kagame sur le sol congolais vient d’être démantelé. Et même si grâce à l’opération turquoise qui a offert l’asile zaïrois aux réfugiés hutus, limite l’action des rebelles du FPR, le sursis ne durera pas longtemps lorsque lassés d’un Mobutu malade, incapable de gérer son pays qui sombre dans la misère, les occidentaux décident de lever le verrou et laisser Laurent-Désiré Kabila évincer le vieux léopard, un ami-ennemi.

Afdl-Rwanda : de l’amour à la haine !

Aidé par ses alliés rwandais, burundais et ougandais, Kabila parvient à chasser Mobutu et commence progressivement à instaurer sa politique quand surgissent en 1998, les premières plaintes concernant les exactions perpétrées par des officiers étrangers. Ils sont accusés de trafic des matières premières sans que Kinshasa en soit informé. Cela provoque la colère Kabila qui s’envole pour Kigala afin d’annoncer la rupture de la collaboration. En même temps à Kinshasa, des autorités rwandaises en postes sont poussés vers la sortie, ils s’en vont en catastrophe avant de revenir pour en finir avec Kabila.

 Le 02 août 1998, c’est la date officielle marquant le début de la guerre d’agression du Congo par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Kabila devra son salut à la bravoure des habitants de Kinshasa qui ont tué les rwandais à mains nues, mais grâce à l’intervention de nouveaux alliés zimbabwéens et zambiens, venus aider leur nouveau compagnon. Laurent-Désiré Kabila restera au pouvoir trois ans de plus, avant d’être sauvagement abattu, le 16 janvier 2001, dans son bureau du Palais de Marbre à Kinshasa.

2009 : l’union fait la force !

Les provinces du nord et du sud Kivu donnent directement sur le Rwanda, elles sont considérées comme une zone très sensible pour le Congo et pour le Rwanda, d’où la nécessité d’une implication des deux côtés pour éviter toute indélicatesse. C’est dans cette logique qu’en 2009, le président congolais Joseph Kabila et Paul Kagame du Rwanda décident de créer une force militaire commune afin d’endiguer toutes formes d’instabilité entretenue par des groupes rebelles. Alors que cette opération sera couronnée de succès, elle n’aura pas l’approbation de tous les congolais, certains ayant même exprimé clairement leurs avis, le cas de Vital Kamerhe, à l’époque, Président de l’Assemblée nationale : « Tout ce que je sais c’est que l’Assemblée nationale avait adopté un plan de sortie de crise en octobre 2008, soumis au gouvernement sous forme des recommandations. Ce plan avait tracé le cadre de la normalisation de nos relations avec le Rwanda. Ce plan avait aussi le volet politique. Ce qui était en train de se faire donc à Nairobi. Mais nous avons aussi retenu dans ce plan qu’il faut absolument arriver d’une manière ou d’une autre à éradiquer les ex FAR Interahamwe», explique Vital Kamerhe.

« Maintenant vous me dites que les troupes rwandaises viennent d’entrer au Congo, je préfère croire que c’est faux, puisque si c’est vrai, c’est tout simplement grave, parce que cela va soulever un certain nombre de questions. Nous nous posons la question de savoir dans quel état d’esprit se trouvent nos populations qui viennent à peine de sortir de l’agression rwandaise».

2013, Accord-cadre d’Addis-Abeba : le bout du tunnel !

Février 2013, un accord est signé à Addis-Abeba entre 13 pays, sous l’égide de Ban-Ki-Moon, Secrétaire Générale des Nations Unies. Le Kenya, le Mozambique, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Congo, l’Angola, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, la Zambie, la RCA, le Soudan du Sud et la RDC. Le contenu de cet accord est un ensemble d’arrangements entre Etats dépendant de la stabilité de la RDC ; il stipule donc la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, ne pas soutenir ou fournir un appui à des groupes rebelles, etc.

Pour la RDC et le Rwanda, l’impossibilité de vivre en conflit s’avère plausible et depuis, les accusations récurrentes des forces rwandaises s’éclipsent donc pour une meilleure coopération des services des renseignements dans le cadre du Mécanisme Régional de Suivi.

Félix Tshisekedi et sa diplomatie agissante !

Rencontrés pour la première fois en février 2019 lors du premier sommet de l’Union africaine pour Félix Tshisekedi, le cinquième président de la RDC et son homologue rwandais ont discuté quelques minutes à la grande joie de certains et au grand étonnement des autres. Pour Félix Tshisekedi, la politique de bon voisinage s’impose afin d’échanger avec  les pays limitrophes autour du désir de pacifier et de développer les pays africains en leur évitant les guerres et conflits.

Les tensions latentes existant autrefois entre Kigali et Kinshasa ont complètement disparu à raison de l’intense activité diplomatique de Félix Tshisekedi qui a effectué plusieurs déplacements pour Kigali, laissant la place à des séances de travail. La dernière en date est, à n’en point douter, le Mini-Sommet organisé, par visoconférence, par Kinshasa réunissant autour de la RDC, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, l’Angola afin de discuter de la sécurité, la coopération, la gestion de la pandémie covid-19 et des activités commerciales.

De quoi conclure sur la bonne santé des relations diplomatiques entre la RDC et le Rwanda, à la grande joie des populations longtemps meurtrie de ces deux pays.

ATEM

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Neutralisation des FDLR : un accord, mais deux récits entre Rwandais et Congolais

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La sempiternelle question des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) en République Démocratique du Congo (RDC) est au cœur d’une controverse après l’engagement pris par le gouvernement congolais, dans le cadre de l’Accord de paix de Washington, pour neutraliser ce groupe armé hostile au régime de Kigali. Malgré la signature de l’accord, l’incrédulité règne à Kinshasa par rapport au succès d’une telle opération.

Dans l’accord de paix signé le 27 juin à Washington, aux États-Unis, la RDC et le Rwanda ont convenu de mettre en œuvre le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et de désengagement des forces ou la levée des mesures défensives du Rwanda (CONOPS). Un plan négocié le 31 octobre 2024, à Luanda, et qui constitue une annexe de cet accord de paix. Si le document signé par les deux parties a été salué en RDC, la question de la neutralisation des FDLR continue de susciter des controverses au sein de la classe politique congolaise et même dans la société civile. Pour l’opposant Martin Fayulu, la question des FDLR devient pour le Rwanda « un prétexte permanent ». La question des FDLR « ne doit pas être indéfiniment imputée au Congo », affirme-t-il.

Les FDLR constituent un groupe armé issu d’anciens génocidaires rwandais, présent dans l’est de la RDC depuis 1994, après la chute du régime du président rwandais Juvénal Habyarimana. Portant des armes et accompagnés des réfugiés civils rwandais, ils sont entrés au Congo avec l’autorisation de la communauté internationale. Ils ont été plusieurs fois neutralisés par l’armée congolaise (FARDC) ou souvent dans le cadre des opérations conjointes avec l’armée rwandaise (RDF). Mais malgré ces opérations, la présence de ce groupe constitue toujours une épine sous le pied de la RDC.

Malgré des opérations militaires conjointes, le Rwanda continue d’accuser la RDC de collaborer avec ces rebelles et de mettre en danger la sécurité du Rwanda. En septembre 2022, lors d’une interview accordée à France 24 et RFI, le président de la RDC, Félix Tshisekedi qualifiait ce groupe armé d’une « force résiduelle réduite au banditisme qui ne constitue plus une menace pour le Rwanda ». En mai 2023, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation au Congo (MONUSCO) avait affirmé avoir rapatrié 30 000 combattants des FDLR depuis 2014. Cette mission onusienne estimait à moins de 1 000 le nombre de ceux qui restaient encore sur le sol congolais.

Un piège sans fin pour la RDC ?

Depuis 30 ans, la RDC reste dans ce piège sans fin. Le Rwanda accuse régulièrement le pays de Félix Tshisekedi d’héberger ces rebelles en dépit des opérations militaires conjointes, notamment celle dénommée « Umoja wetu » menée par les armées congolaise et rwandaise en 2009. Cette opération qui avait duré deux mois avait permis de tuer quelque 153 combattants FDLR, d’après le bilan officiel. En 2020, l’ambassadeur du Rwanda en RDC avait affirmé que cette force négative ne représentait plus un danger pour le Rwanda.

Mais avec cet accord de paix de Washington, le Rwanda a réussi à imposer au gouvernement congolais l’engagement de neutraliser à nouveau cette force négative. « Les FDLR, ce sont des forces qui sont soutenues par le gouvernement congolais, qui sont même intégrées dans les FARDC. Même les rapports des Nations unies le disent. Donc ce n’est pas seulement le Rwanda qui le dit », a déclaré le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe.

Pourtant, les zones habituellement occupées par les FDLR sont aujourd’hui entre les mains de l’armée rwandaise et des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Un fait que réfute le chef de la diplomatie rwandaise qui affirme que les FDLR ne se trouvent pas sur le territoire contrôlé par le M23 ; « elles sont intégrées dans l’armée du Congo et collaborent avec l’armée congolaise ». « Le gouvernement congolais admet que les FDLR sont un problème à neutraliser, ce qui va offrir la voie à la levée de nos mesures de défense », a-t-il ajouté. Cette lecture de l’accord de paix inquiète plusieurs Congolais en RDC.

Un étudiant de l’université de Kinshasa, Joël Basta, s’interroge : « Si les FDLR ne se trouvent pas dans les territoires contrôlés par le M23 et l’armée rwandaise, que font-ils là-bas, dans ce cas, si l’on s’en tient aux raisons avancées par le Rwanda pour justifier son invasion de l’Est du pays ? Et pourquoi les troupes rwandaises opèrent-elles si loin de l’endroit où sont censés être les FDLR ? Les traquent-ils là où ils ne se trouvent pas ? Cela démontre à suffisance que le Rwanda exploite cette question pour piller les richesses minières de la RDC tout en massacrant notre population. »

Pour Mukwege, il y a une possible prolongation du conflit…

Prix Nobel de la paix 2018, le docteur Denis Mukwege reste sceptique et pense que cet accord sème les graines d’une prolongation du conflit. « Nos craintes semblent avoir été fondées car cet accord ne se base pas sur la reconnaissance par le médiateur américain qu’il y a un État agresseur, le Rwanda, qui défie chaque jour le droit international en totale impunité, et un pays agressé, la RDC qui subit de plein fouet les effets néfastes d’une géopolitique cynique », a-t-il déclaré en marge d’un concert pour la paix en RDC livré depuis la Belgique. « Si en apparence, l’accord semble se baser sur le respect de l’intégrité territoriale, diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées », a-t-il fait savoir.

Pour le ministre du Commerce extérieur et ancien gouverneur de la province du Nord-Kivu pendant douze ans, cette rhétorique du Rwanda sur les FDLR a aveuglé le monde depuis 30 ans, accusant Kigali de désinformation. « Depuis 30 ans, les Rwandais ont occupé l’Est de la RDC pendant huit ans, principalement le lieu où était supposé être ce mouvement des FDLR : de 1998 à 2003 (cinq ans), de 2022 à 2025 (trois ans). Seuls, les Rwandais y ont été ou y sont », a indiqué Julien Paluku. Il note que tous les rapports des experts de l’ONU indiquent qu’il ne reste plus qu’un millier de combattants, « constitués en majorité des FDLR recyclés par le régime de Kigali ». « Maintenant que nous avons tout expliqué au monde entier comme acteurs de terrain, la rhétorique des FDLR, la haine tribale, la stigmatisation ne passent plus », rétorque Paluku.

En 2022, Félix Tshisekedi qualifiait ces accusations de « fausse excuse » de la part du Rwanda qui poursuit des intérêts économiques sur le sol congolais. « Je trouve que le Rwanda est de mauvaise foi et qu’il utilise souvent ce prétexte pour justifier ses incursions en République démocratique du Congo. Depuis que je suis à la tête de mon pays, nous avons rapatrié à deux reprises des centaines de combattants des FDLR. C’est même une preuve de bonne foi », avait-il expliqué.

Risque d’une coalition des armées rwandaise et congolaise

Dans ce piège sans fin, Kigali risque de dire que Kinshasa manque de volonté pour traquer ces FDLR. En revanche, le gouvernement congolais pourrait autoriser une nouvelle opération conjointe entre l’armée rwandaise et celle de la RDC pour rechercher ensemble les combattants FDLR à neutraliser. « Le gouvernement congolais cherchera à démontrer sa bonne foi dans l’application de l’accord de paix de Washington en autorisant l’entrée officielle des troupes rwandaises sur le sol congolais pour traquer ces FDLR », explique Edgar Mavungu, analyste des questions sécuritaires en RDC. Malgré l’accord de paix, les deux gouvernements continuent d’avoir un entendement contraire quant à l’application des engagements pris à Washington.

Lors d’une conférence de presse organisée quelques heures après la signature de l’accord à la Maison Blanche, le chef de la diplomatie rwandaise avait laissé entendre que le retrait des troupes de son pays était subordonné à la neutralisation préalable des FDLR. Une interprétation que la ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, a catégoriquement rejetée, rappelant que l’accord signé ne souffre d’aucune ambiguïté. Plus tard, dans un entretien accordé à la télévision publique, la RTNC, elle a expliqué que le retrait des troupes rwandaises était une priorité dans l’application de l’accord. « Le premier volet, c’est le désengagement des forces, à savoir les forces armées rwandaises qui sont sur le territoire congolais. Et le deuxième volet, la neutralisation des FDLR, donc la préoccupation principale en termes de sécurité du Rwanda. Et l’accord est très clair là-dessus », avait-elle affirmé. Mais pour son homologue rwandais, ce « désengagement » dont l’accord fait allusion concerne les groupes armés non étatiques.

Les récits sur cet accord restent irréconciliables. Ce qui augure des possibles tensions dans l’avenir. L’administration Trump, artisan de cette médiation américaine pour la signature de l’accord de paix, s’est félicitée d’un succès obtenu « dans un temps record ». Mais l’application de ces engagements risque de ne pas être un long fleuve tranquille.

Heshima

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RDC : pourquoi Tshisekedi conserve son partenariat avec l’Ouganda

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En conflit ouvert avec le Rwanda malgré la désescalade en cours à Washington, la République démocratique du Congo (RDC) a fait l’étrange choix de conserver à tout prix ses relations avec l’Ouganda pourtant accusé de soutenir tacitement les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Ce choix opéré par Félix Tshisekedi paraît stratégique et lui a permis notamment de limiter la zone d’occupation du M23 dans l’est du pays.

Le 21 juin 2025, le président congolais Félix Tshisekedi a reçu à la Cité de l’Union africaine, à Kinshasa, le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président Yoweri Kaguta Museveni et commandant des forces terrestres de l’armée ougandaise (Uganda People’s Defence Force, UPDF). La veille de cette rencontre, le 20 juin, les chefs des armées des deux pays ont signé un accord pour poursuivre leur opération militaire conjointe contre les rebelles Forces démocratiques alliées (FDA).

L’opération, baptisée « Shujaa », vise officiellement les FDA dans le nord de la province du Nord-Kivu ainsi que dans certains territoires de la province de l’Ituri. Cette présence ougandaise à Lubero, Beni et Butembo n’a pas permis la progression du M23 dans cette zone. Il en est de même en Ituri où les armées congolaise et ougandaise mènent des opérations conjointes. « En dehors du Rwanda, les responsables du M23 ont une allégeance sans faille vis-à-vis du président Yoweri Museveni. La rébellion ne pouvait en aucun cas conquérir une zone où l’armée ougandaise est présente, c’est impossible. Félix Tshisekedi a sûrement exploité cet aspect pour limiter la progression du M23 », analyse Etienne Kasereka, spécialiste dans la dynamique des conflits dans la région des Grands Lacs. En conservant cette collaboration militaire, Félix Tshisekedi lie en quelque sorte les mains de Kampala pour l’empêcher de prendre ouvertement parti au conflit en s’alignant officiellement aux côtés de Kigali.

Sécuriser les infrastructures routières

Au-delà de la question du M23, la RDC et l’Ouganda font face à des menaces communes, notamment de la part de groupes armés comme les FDA ou la Armée de résistance du Seigneur (ARS) du seigneur de guerre ougandais Joseph Kony. Cette coopération sécuritaire permet des opérations militaires conjointes pour stabiliser les zones frontalières. L’armée ougandaise combat par moments des rebelles de CODECO (Coopérative pour le développement du Congo). En travaillant ensemble, les deux pays peuvent mieux contrôler leurs frontières, réduire les incursions armées et les trafics illégaux (armes, minerais, etc.). Mais la RDC et l’Ouganda ont également un précieux projet à préserver ensemble : les routes transfrontalières.

En 2021, Félix Tshisekedi et Yoweri Kaguta Museveni avaient signé un protocole d’accord pour la construction et la modernisation de la route transafricaine de Mpondwe-Kasindi en passant par Beni, puis Bunagana jusqu’à Goma, dans la cité frontalière de Lubiriha Kasindi. L’Ouganda a investi dans la construction de routes dans l’est de la RDC pour faciliter le commerce bilatéral, ce qui va désenclaver ces régions congolaises tout en boostant le commerce local. Ces routes permettent surtout à l’Ouganda d’avoir un meilleur accès aux ressources congolaises (bois, minerais, produits agricoles), et à la RDC de mieux exporter via les ports ougandais.

Tshisekedi ne devrait pas opposer Kigali et Kampala

Selon le député national Eliezer Ntambwe, la RDC et l’Ouganda seraient en train de créer une nouvelle opération qui consiste à traquer les rebelles du M23 de Bunagana à Goma. « En d’autres termes, l’Ouganda veut affronter le M23 aux côtés des FARDC », explique ce député élu de Kinshasa. Mais plusieurs analyses démentent cette option. Kinshasa ne devrait pas opposer Kampala à Kigali, c’est quasiment impossible. « Kinshasa commettrait une erreur majeure en tentant de s’immiscer directement dans la relation organique, émotionnelle et opaque qui lie Kampala à Kigali », pense The Mwami, analyste politique sur X. Ce dernier, sur son compte X, explique que ce lien entre Kigali et Kampala ne repose ni sur les traités, ni sur des échanges économiques, ni sur les institutions officielles ; mais sur des alliances supposées de sang, de loyauté clanique, de perception raciale partagée, de désir hégémonique commun aux deux potentats de part et d’autre de la petite chaîne. Ces éléments sont, selon lui, extra-institutionnels, très affectifs, mais opérants. Pour cet internaute, la RDC ne doit ni séduire ni affronter l’axe Kigali-Kampala sur leur terrain affectif. Elle doit systématiquement déplacer l’échange vers le terrain procédural, diplomatique, celui des codes, des normes, des obligations mutuelles et des dispositifs multilatéraux.

Kampala ne peut s’attaquer au M23

Même s’il est arrivé par le passé que Kampala et Kigali s’affrontent en RDC, notamment lors de la guerre de 6 jours à Kisangani, il est cependant clair que les deux pouvoirs – ayant une origine quasi commune – ne se détestent pas. D’ailleurs, la meilleure illustration de ces relations reste le tweet qui a suivi la visite du controversé général Muhoozi Kainerugaba en RDC, encensant le président rwandais Paul Kagame qu’il qualifie souvent de son « oncle ». Un jour après son départ de Kinshasa, le général Muhoozi a affirmé que les forces ougandaises et congolaises s’attaqueraient aux Wazalendo partout où elles les trouveraient, les qualifiant de “force négative”, au lendemain de son entretien avec le président Félix Tshisekedi. Cette présumée position de Kampala sur les Wazalendo pourrait susciter des tensions, alors que ces milices sont des alliées des FARDC contre la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda.

Le général Muhoozi a aussi menacé le gouverneur militaire de l’Ituri, le lieutenant-général Johnny Luboya. Si certains considèrent les propos tenus par ce général sur les réseaux sociaux comme ne représentant pas la position officielle de l’Ouganda, sa proximité avec le Rwanda et le combat que mène le M23 ne permettent cependant pas à Kampala de combattre ce groupe armé d’obédience ethnique. D’ailleurs, depuis la résurgence de cette crise du M23, le président Yoweri Museveni a toujours appelé son homologue congolais à dialoguer avec les rebelles du M23. Après avoir ouvert les discussions à Doha, au Qatar, il est difficile de revoir une option militaire contre ces rebelles. Sauf si le groupe de Sultani Makenga exigeait l’impossible au gouvernement congolais dans ses revendications à Doha.

Contrairement au Rwanda, l’Ouganda a choisi la voie d’une coopération formelle. Cette collaboration est stratégique pour renforcer la sécurité régionale, développer les infrastructures transfrontalières, dynamiser l’économie locale, et favoriser une stabilité politique durable entre deux pays historiquement liés mais souvent conflictuels. Kigali a souvent été gêné de constater un tel niveau de coopération sécuritaire et économique avec l’Ouganda alors que Félix Tshisekedi lui a refusé le droit de poursuivre sur le sol congolais les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Même si l’accord de paix négocié entre Kinshasa et Kigali à Washington prévoit un renforcement du mécanisme régional de commerce, l’Ouganda, point de sortie majeur de l’or ou du café congolais, souvent issus de la contrebande, pourra toujours jouer sa partition.

Heshima

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Diplomatie RDC vs Rwanda : l’autre grande guerre

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Alors que les combats font rage dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), Kinshasa mène une guerre silencieuse mais décisive : celle des couloirs diplomatiques. Entre 2021 et 2024, face à un Rwanda soutenant le mouvement rebelle M23, la RDC a déployé une stratégie diplomatique audacieuse, transformant sa vulnérabilité en arme stratégique. Sanctions internationales, condamnations multilatérales, rapports accablants de l’ONU, pressions institutionnelles et une ascension remarquée au Conseil de sécurité : Kinshasa a multiplié les victoires, isolant progressivement Kigali sur la scène mondiale. Mais ces succès, aussi retentissants soient-ils, suffisent-ils à apaiser une crise humanitaire qui s’aggrave ?

Si le M23 est un poignard dans le flanc de la RDC, les sanctions internationales sont une tenaille serrant le Rwanda. Depuis 2021, Kinshasa a su mobiliser ses partenaires pour faire reconnaître le rôle déstabilisateur de Kigali. En août 2023, les États-Unis ont frappé fort en sanctionnant le ministre rwandais de l’Intégration régionale, James Kabarebe, le Brigadier Général Andrew Nyamvumba et d’autres responsables militaires rwandais pour leur implication aux côtés du M23. Selon un article de RFI de mars 2024, ces mesures ont gelé 50 millions de dollars d’actifs rwandais liés au conflit, un coup dur pour l’économie de Kigali. L’Union européenne, bien que plus prudente, a emboîté le pas avec des déclarations cinglantes. En décembre 2022, Bruxelles exhortait le Rwanda à cesser tout soutien au M23, menaçant de suspendre des aides cruciales. Ces pressions ont culminé en 2025 avec des sanctions formelles de l’Union européenne, mais c’est l’offensive diplomatique congolaise de 2021 à 2024 qui a préparé le terrain.

Pour Pascal Kalaba, activiste d’une ONG basée à Goma, ces sanctions sont un symbole : « Elles sont un baume pour notre dignité, mais les armes continuent de traverser la frontière. » Les chancelleries occidentales, historiquement proches du Rwanda, commencent à vaciller face aux preuves accumulées. Kinshasa, jadis perçue comme un géant désordonné, a su transformer ces sanctions en levier, obligeant Kigali à justifier ses actions sur la scène internationale.

La CEEAC, champ de bataille institutionnel

La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) est devenue un théâtre inattendu de cette guerre diplomatique. Lors de sa présidence de la CEEAC, de février 2023 à février 2024, la RDC a manœuvré avec habileté pour marginaliser le Rwanda. Kinshasa a dénoncé sans relâche l’instrumentalisation de l’organisation par Kigali, accusé de bloquer les initiatives régionales pour la paix. Ces tensions, documentées dans les communiqués officiels de la CEEAC, ont atteint leur paroxysme en juin 2025, lorsque le Rwanda a annoncé son retrait de l’organisation. Selon Jeune Afrique, ce départ est une « capitulation face à l’offensive diplomatique congolaise », un revers majeur pour Kigali, qui perd ainsi une plateforme d’influence régionale.

Dr. Simone Tenda, chercheuse au Centre d’études stratégiques de Kinshasa, analyse : « La RDC a transformé sa présidence en une arme, montrant que Kigali ne peut plus agir impunément dans les institutions africaines. » Ce succès, fruit d’une diplomatie patiente, illustre la capacité de Kinshasa à rallier ses voisins autour d’une cause commune : la dénonciation du rôle du Rwanda dans l’instabilité régionale.

New York, nouvelle forteresse congolaise

L’élection de la RDC au Conseil de sécurité de l’ONU en juin 2025 en qualité de membre non-permanent, marque un sommet dans cette bataille diplomatique. Obtenue avec 183 voix sur 188, cette victoire reflète les efforts soutenus de Kinshasa pour amplifier la voix des Congolais sur la scène mondiale. Entre 2021 et 2024, la RDC a obtenu le soutien de trois résolutions onusiennes condamnant les violences dans l’Est du pays, un record qui a consolidé sa crédibilité. Ces textes pointent invariablement vers le M23 et, par ricochet, vers son soutien rwandais.

Cette ascension au Conseil de sécurité n’est pas un hasard. Elle découle d’une campagne diplomatique méthodique, où Kinshasa a su mobiliser le Groupe des États africains et ses alliés bilatéraux. Pour la RDC, New York est désormais une tribune pour maintenir la pression constante sur Kigali, un atout qui pourrait influencer les futures décisions internationales.

Condamnations multilatérales : l’Afrique s’élève

Au-delà des Nations unies, la RDC a remporté des victoires significatives auprès des organisations africaines. L’Union Africaine (UA), via son Conseil de paix et de sécurité, a adopté en février 2023 un communiqué cinglant, condamnant les abus des groupes armés dans l’Est de la RDC et exigeant leur retrait immédiat. Bien que le Rwanda ne soit pas nommé directement, le message est clair : les soutiens externes, comme ceux dont bénéficie le M23, sont dans la ligne de mire. La SADC, quant à elle, a multiplié les sommets extraordinaires, notamment en novembre 2024, pour condamner les violations du cessez-le-feu par le M23. Ces positions, soutenues par des leaders régionaux, ont renforcé l’isolation de Kigali.

Ces condamnations multilatérales sont le fruit d’une diplomatie congolaise active, capable de transformer une crise locale en enjeu continental. « Le Rwanda se retrouve dos au mur : ses alliés lui tournent le dos », note une analyse du Congo Intelligence Group. Kinshasa a su exploiter ces forums pour construire un consensus africain, un exploit qui, il y a quelques années, semblait hors de portée.

Les rapports de l’ONU : une vérité irréfutable

Rien n’a été plus déterminant que les rapports du Groupe d’experts de l’ONU. En août 2022, un premier document révélait des « preuves solides » du soutien militaire rwandais au M23, confirmant les accusations portées par Kinshasa. Le rapport de décembre 2023 enfonce le clou, présentant des « preuves irréfutables » d’un soutien logistique et financier de Kigali au groupe rebelle. Ces conclusions, basées sur des témoignages, des images satellites et des documents saisis, ont donné à la RDC un atout maître : une validation internationale incontestable.

Ces rapports ont servi de socle à toutes les actions diplomatiques de Kinshasa, des sanctions aux condamnations multilatérales. Ils ont transformé les accusations en faits, obligeant Kigali à se retrancher dans une position défensive. « Ces documents sont notre bouclier, mais aussi notre lance », confie une source diplomatique congolaise restée anonyme. Grâce à eux, la RDC a pu construire un narratif solide, crédibilisant ses revendications sur la scène mondiale.

Une victoire à quel prix ?

Les victoires diplomatiques de la RDC sont indéniables. Le 18 juin, les deux Etats ont paraphé un accord de paix, prélude à la signature prochaine de ce document qui prévoit le retrait des troupes rwandaises du sol congolais. En trois ans, Kinshasa a réussi à transformer sa position de victime en celle d’un acteur géopolitique redoutable, capable d’isoler un Rwanda autrefois intouchable. Les sanctions, le retrait de la CEEAC, l’élection au Conseil de sécurité, les condamnations multilatérales et les rapports de l’ONU forment un arsenal diplomatique impressionnant. Pourtant, une question lancinante demeure : à quoi servent ces succès lorsque des millions de Congolais restent déplacés, pris en étau dans une crise humanitaire sans fin ?

Le paradoxe est cruel. Si les sanctions sont une tenaille et les résolutions un bouclier, elles n’ont pas encore désarmé le M23. Les combats persistent et la souffrance des populations s’aggrave. « Nous savons que Kinshasa gagne des batailles diplomatiques, mais  la dignité ne se mange pas. C’est tout de même un pas vers la paix .», soupire le Dr Simone Tenda. La RDC devra transformer ces victoires en paix concrète, une tâche qui exigera bien plus que des mots et des votes. La guerre silencieuse est un pas, mais le chemin vers la victoire finale reste semé d’embûches.

Heshima Magazine

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