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AFC/M23 : Corneille Nangaa entre enchères et désespoir
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6 mois agoon
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La redaction
Le processus de paix enclenché par l’administration Trump entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda n’est visiblement pas du goût du coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), plateforme politico-militaire comprenant le Mouvement du 23 mars (M23) soutenu par Kigali. Nangaa affirme vouloir continuer la guerre jusqu’au départ du président Félix Tshisekedi et rejette les discussions sur un deal minier entre la RDC et Washington. Une enchère qui peut traduire la frustration d’un homme qui rêvait grand.
La région de l’Est de la RDC est le théâtre de conflits armés depuis des décennies, marquée par des tensions persistantes entre la RDC et le Rwanda. Ces affrontements trouvent leurs racines dans les séquelles des guerres des années 1990, notamment le génocide rwandais de 1994, qui a entraîné des flux de réfugiés et des luttes pour le contrôle des ressources dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Le M23, apparu en 2012 et relancé ces dernières années avec le soutien de Kigali, est l’un des nombreux groupes armés impliqués dans des violences ayant causé des déplacements massifs de populations. Les négociations de paix actuelles entre la RDC et le Rwanda s’inscrivent dans une tentative de mettre fin à ces cycles de conflits et de stabiliser une région riche en minerais mais fragilisée par l’insécurité.
Devant le miroir, dans son QG de Goma, Corneille Nangaa se serait déjà fait une image de lui, puissant et conquérant le pouvoir à Kinshasa. Mais les négociations de Doha et de Washington ont refroidi ses ardeurs, d’où sa colère suivie d’une surenchère guerrière. Sa dernière interview accordée au média britannique The Telegraph illustre un homme partagé entre deux extrêmes : la témérité pour une conquête de l’impérium et un désespoir d’avoir loupé ce coche. Cela, au point de se dresser sur le chemin de l’administration américaine en refusant les accords de paix en cours de préparation mais aussi le deal minier en vue entre Kinshasa et Washington.
En scrutant ses propos, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) n’arrive toujours pas à se départir du présumé « deal » signé entre le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila après l’élection présidentielle de 2018. Pour Nangaa, l’actuel chef de l’État ne peut rien signer au nom de la RDC, ne respectant pas, selon lui, des engagements. « Il n’est pas fiable », a-t-il lancé. « Tout ce qu’il acceptera aujourd’hui sera vite oublié », enchaîne Nangaa. Même si Kinshasa et Washington signent un accord, « le peuple congolais s’y opposera ». Corneille Nangaa estime par ailleurs que les Américains ont le droit de conclure ce genre d’accord, mais « ils doivent s’adresser aux bonnes personnes et aujourd’hui, les bonnes personnes à qui s’adresser sont les membres de l’Alliance Fleuve Congo ». Puisque ce n’est pas lui qui signe avec Washington, Nangaa a rejeté les appels à la fin des violences et promet de continuer sa rébellion jusqu’à Kinshasa.
Une surenchère pour négocier en position de force ?
Une autre lecture de la sortie médiatique de Corneille Nangaa suggère que son refus des négociations pourrait être une stratégie délibérée de surenchère. En rejetant publiquement les pourparlers, Nangaa pourrait chercher à faire pression sur Kinshasa et ses partenaires internationaux pour obtenir des concessions plus avantageuses. Le contrôle de villes stratégiques comme Goma et Bukavu, ainsi que des territoires riches en ressources minières, confère à l’AFC/M23 un levier économique et politique significatif. En laissant entendre qu’il pourrait se contenter de maintenir ces territoires sous son emprise, une sorte de « proto-État » autonome, Nangaa envoie un message clair : déposer les armes a un prix, et ce prix doit être à la hauteur des gains économiques et politiques que représente le statu quo. Cette posture pourrait viser à forcer le gouvernement congolais à offrir des garanties substantielles, comme une amnistie élargie, une intégration politique ou militaire, un poste politique de premier plan, voire une reconnaissance de certains acquis territoriaux, pour convaincre l’AFC/M23 de renoncer à la lutte armée. Une telle stratégie, bien que risquée, reflète la volonté de Nangaa de négocier en position de force, tout en capitalisant sur les ressources et l’influence que son mouvement tire des zones sous son contrôle.
Les derniers soubresauts de la mort de l’AFC ?
La réaction de Corneille Nangaa pourrait aussi traduire un malaise. Son avenir politique après la rébellion ne semble pas toujours pris en compte. Sa réaction pourrait être perçue comme les derniers soubresauts de la mort programmée de son mouvement insurrectionnel, l’AFC. Des négociations en cours à Doha et à Washington n’ont visiblement pas encore répondu à ses ambitions personnelles. Si les accords de paix entre la RDC et le Rwanda aboutissent, l’AFC n’aura plus de soutien militaire. Ce qui rend ce mouvement fragile. Le M23, comparativement à l’AFC, a des revendications identitaires. Les hommes de Sultani Makenga n’ont jamais rêvé de prendre le pouvoir à Kinshasa, avant leur alliance avec Corneille Nangaa. Ce qui pourrait provoquer un schisme entre l’AFC et le M23 au cas où ce dernier trouve des réponses à ses revendications identitaires.
Qu’est-ce que Nangaa peut gagner dans ces négociations ?
Condamné à mort le 8 août 2024 par la Cour militaire de Kinshasa-Gombe, le coordonnateur de l’AFC/M23 a été reconnu coupable de crimes de guerre, de trahison et de participation à un mouvement insurrectionnel. Parmi les autres personnes condamnées, il y a notamment Sultani Makenga et Bertrand Bisimwa, respectivement responsables militaire et civil de la branche M23. La justice militaire avait également ordonné « l’arrestation immédiate » de Nangaa, jugé par contumace, et la « confiscation de ses biens ».
Ces condamnations à mort pourraient être utilisées par le gouvernement comme monnaie d’échange dans les discussions en cours à Doha, au Qatar. Kinshasa, qui négocie également en position de faiblesse après avoir perdu le contrôle des villes clés comme Goma et Bukavu, pourrait faire d’énormes concessions aux rebelles. Une loi d’amnistie pourrait être votée au Parlement afin de disculper Corneille Nangaa et les autres cadres de l’AFC/M23 sous sanctions judiciaires. Mais une telle concession risque de ne pas être suffisante pour les rebelles. La prime à l’impunité pourrait aller jusqu’à les intégrer au sein du gouvernement en ce qui concerne des rebelles civils et au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour des combattants du M23. Cependant, de telles concessions pourraient susciter un tollé au sein de l’opinion congolaise.
Implications des négociations de paix pour les acteurs impliqués
Les pourparlers entre la RDC et le Rwanda portent des enjeux majeurs pour les différentes parties. Pour la RDC, un accord pourrait mettre fin aux violences dans l’Est et permettre une reconstruction économique et sociale. Pour le Rwanda, qui soutient toujours des groupes comme le M23 pour maintenir son influence régionale, un accord pourrait signifier une réduction de cette emprise, mais aussi une normalisation des relations avec son voisin. Pour le M23 et l’AFC, la fin du soutien rwandais risquerait d’affaiblir leurs capacités militaires et politiques, les obligeant à revoir leurs stratégies. Les populations locales, principales victimes des violences, pourraient enfin espérer une accalmie, bien que la mise en œuvre d’un tel accord reste incertaine face aux rivalités historiques et aux intérêts économiques en jeu.
Possible récupération de ses biens confisqués
Au-delà d’un éventuel gain politique, Corneille Nangaa pourrait d’abord militer pour la récupération de ses innombrables biens dont la majorité ont été confisqués par la justice. Il s’agit de plusieurs villas situées sur le Boulevard Tshatshi à Gombe ou à Ma Campagne (Ngaliema), des concessions et des appartements situés dans d’autres quartiers huppés de Kinshasa, y compris l’hôtel Castelo, sur Pince de Liège, à Gombe. Tous ces biens ont d’abord été mis en vente avant d’être placés finalement sous la responsabilité du ministère de la Justice.
Une source encore non authentifiée évoque une « note confidentielle » transmise par Corneille Nangaa au ministre des Affaires étrangères rwandais, Olivier Nduhungirehe, en prévision de la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda aux États-Unis. Corneille Nangaa voudrait savoir le sort qui lui est réservé dans ces discussions interétatiques. Cette note porterait notamment sur la récupération de ses biens et l’abandon des charges judiciaires qui pèsent sur lui.
Nangaa, le basculement de la vie d’un technocrate
Né en 1970 à Bagboya, dans la province du Haut-Uele, Corneille Nangaa Yobeluo a eu une trajectoire politique insoupçonnée. Le basculement vers l’extrême est arrivé en décembre 2023, lorsqu’il annonce la création de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) depuis Nairobi, au Kenya. « Tout le monde est un peu pris de court : on a connu le Corneille Nangaa expert électoral, le Corneille Nangaa opposant politique, on découvre aujourd’hui le Corneille Nangaa rebelle, même s’il réfute l’usage de ce terme et préfère se présenter comme un “révolutionnaire” », rappelle Jeune Afrique dans un décryptage vidéo consacré à cet homme politique proche de Joseph Kabila.
Ce technocrate formé à la faculté de l’économie de l’Université de Kinshasa a joué un rôle dans l’organisation des élections de 2018, marquées par de multiples accusations de fraude, faisant de lui déjà une figure controversée. C’est au terme de ces élections qu’il se rapproche du nouveau président élu, Félix Tshisekedi, dont il devient un allié éphémère avant de se retourner contre lui.
En sa qualité de président de la CENI, Corneille Nangaa avait proclamé M. Tshisekedi vainqueur de cette présidentielle. La page électorale tournée, l’homme s’attendait visiblement à plus de récompense de la part du successeur de Joseph Kabila. La raison : il se vante d’avoir été dans les secrets des dieux au moment de la signature d’un « deal » entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Ce dernier aurait été préféré à Martin Fayulu supposé vrai vainqueur de la présidentielle mais qui ne présentait aucune garantie de sécurité pour le régime sortant. Depuis Goma, Nangaa a confirmé qu’il y a bien eu un accord entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur. D’ailleurs, il ne cessait de le répéter depuis son départ du pays pour l’exil. « Monsieur Tshisekedi devrait se regarder dans un miroir avant de parler de l’accord qui le lie à son prédécesseur. Il s’agit d’un acte d’État qui ne peut être remis en cause par des simples sautes d’humeur. En politique, nier sa signature est extrêmement dangereux. Tout ce que je déplore, c’est cette superficialité avec laquelle le président Tshisekedi répond de ses engagements », avait-il expliqué avant de formaliser sa rébellion en décembre 2023. Une frustration qui démontre qu’il a rejoint la rébellion du M23 pour se venger d’un « deal » non respecté.
Nangaa et son rêve de remplacer Tshisekedi
Après avoir été séduit par l’avancée fulgurante du M23 dans les Kivu, menaçant la ville de Kisangani, Corneille Nangaa ne faisait plus mystère de son rêve : atteindre Kinshasa et détruire le « monstre » qu’il aurait lui-même créé. Galvanisé par des thuriféraires comme Henry Magie Walifetu – membre du PPRD de Joseph Kabila ayant rejoint également la rébellion – Corneille Nangaa pensait déjà prendre le pouvoir à Kinshasa. Ce rêve est en passe de tomber à l’eau après les discussions entamées entre la RDC et le Rwanda à Washington, aux États-Unis. Le pays de « Mille collines », qui a été le principal artificier dans cette crise qui embrase l’Est de la RDC, pourrait tourner le dos à Nangaa, un allié de circonstance pour Kigali. Voir le Rwanda conclure un accord de paix avec la RDC, autour du 2 mai prochain, constitue la fin d’un soutien politique et militaire à l’AFC/M23. Et, peut-être, la fin d’un rêve. Félix Tshisekedi, qui a finalement tendu la main aux rebelles, restera aux commandes de ce pays-continent encore pendant 3 ans et 7 mois. Sauf un coup de théâtre contre la République !
Les motivations de Nangaa et les conséquences possibles
Les motivations de Corneille Nangaa semblent multiples. Elles pourraient mêler des ambitions politiques personnelles à un désir de revanche contre Félix Tshisekedi, qu’il accuse d’avoir trahi un accord passé et de lui avoir pris ses carrés miniers. Certains observateurs estiment également que Nangaa chercherait à défendre les intérêts de ses partisans au sein de l’AFC, dans un contexte où sa condamnation à mort limite ses options. Ses actions, notamment son rejet des négociations de paix, pourraient prolonger les violences dans l’Est de la RDC et compliquer les efforts de stabilisation. Cependant, si les pourparlers aboutissent et que le Rwanda retire son soutien, Nangaa risque de se retrouver isolé, fragilisant davantage son mouvement et ses aspirations.
Heshima
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DGI : focus sur la réforme de la fiscalité directe lancée en RDC
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4 jours agoon
novembre 4, 2025By
La redaction
Depuis le 11 septembre 2025, le gouvernement congolais mène une vaste campagne nationale de sensibilisation et de vulgarisation autour de la réforme de la fiscalité directe. Adoptée par la loi n°25/035 du 30 novembre 2023, cette réforme entrera en application le 1er janvier 2026.Conçue dans une logique de modernisation et de transparence, elle s’inscrit dans la même dynamique que la mise en œuvre de la facture normalisée, qui vise à renforcer l’efficacité du recouvrement de la TVA. Ces deux chantiers stratégiques sont placés sous la conduite de la Direction générale des impôts (DGI). Mais en quoi cette réforme de la fiscalité directe diffère-t-elle réellement de l’ancien système ?
Le système fiscal congolais, longtemps critiqué pour sa complexité et sa fragmentation, s’apprête à connaître une transformation majeure dans deux mois. La République démocratique du Congo mettra en œuvre la réforme issue des lois n° 23/052 et n° 23/053 du 30 novembre 2023, qui réorganisent en profondeur la fiscalité directe.
Au cœur de cette réforme figure un changement de paradigme : le pays abandonne le système d’imposition cédulaire, où chaque catégorie de revenu était taxée séparément selon des règles propres, pour adopter un système global d’imposition. Désormais, l’ensemble des revenus d’un contribuable sera agrégé afin de constituer une base unique soumise à l’impôt, marquant ainsi une étape décisive vers une fiscalité plus cohérente et équitable.
Deux impôts introduits par la réforme
Dans cette nouvelle architecture fiscale, la réforme instaure deux impôts majeurs : l’Impôt sur les sociétés (IS) et l’Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Ces deux prélèvements se substituent à plusieurs taxes existantes, notamment l’impôt sur les revenus locatifs, celui sur les capitaux mobiliers ainsi que l’impôt sur les revenus professionnels couvrant les rémunérations, profits et bénéfices. Selon la DGI, il s’agit d’« une fiscalité plus juste et mieux adaptée à la réalité économique congolaise ».
L’IS portera sur l’ensemble des bénéfices réalisés par les entreprises et autres personnes morales, tandis que l’IRPP concernera le revenu net global de chaque contribuable. Ce dernier correspond à la somme des revenus nets catégoriels perçus par une personne physique au cours d’une année d’imposition.
L’IS vise quelle catégorie d’entreprises ?
D’après la DGI, cette nouvelle fiscalité s’applique aux sociétés anonymes (SA), aux sociétés à responsabilité limitée (SARL) et aux sociétés par actions simplifiées (SAS), en raison de leur forme juridique. Sur le plan de l’activité, elle concerne également les sociétés coopératives, les personnes morales de droit public exerçant une activité lucrative, les sociétés de fait ou créées de fait, les associations momentanées, ainsi que les sociétés civiles menant une activité économique.
Le taux d’imposition est fixé à 30 % des bénéfices nets imposables, avec un minimum de perception de 1 % du chiffre d’affaires déclaré en cas de déficit ou de bénéfices insuffisants. La réforme introduit aussi un encadrement plus rigoureux des charges déductibles, notamment en subordonnant la déductibilité des rémunérations du personnel à leur imposition effective à l’IRPP.
En matière de plus-values, le taux est désormais fixé à 20 % en cas de réévaluation libre et à 5 % en cas de réévaluation légale. Quant au report des pertes, il est désormais limité à trois exercices consécutifs, conformément aux nouvelles dispositions légales.
Pour les entreprises minières soumises au Code minier, la réforme offre deux possibilités : soit appliquer les dispositions du Code minier avec un report des pertes limité à cinq ans, soit opter pour le régime de droit commun instauré par la nouvelle législation fiscale.
La DGI invite désormais les contribuables et opérateurs économiques à s’approprier cette réforme et à participer activement aux sessions de vulgarisation organisées sur l’ensemble du territoire national. Les prochains mois seront déterminants pour la réussite de cette transition, que les autorités considèrent comme un levier essentiel de mobilisation des ressources internes et de renforcement de la gouvernance financière.
En marge de la 10ème édition du Forum ExpoBéton tenue à Kinshasa, le directeur général des impôts, Barnabé Muakadi, a insisté sur la nécessité de mettre en place des régimes fiscaux incitatifs et ciblés afin de stimuler les grands projets structurants, tout en préservant la capacité de l’État à mobiliser des recettes. Il a également profité de cette tribune, en présence de nombreux chefs d’entreprise, pour sensibiliser sur les deux grandes réformes fiscales actuellement mises en œuvre par la DGI : la facture normalisée et la réforme de la fiscalité directe (IS-IRPP), toutes deux destinées à renforcer l’efficacité et l’équité du système fiscal congolais.
Heshima
Nation
RDC : Inga III, le barrage du siècle ou le mirage énergétique ?
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1 semaine agoon
octobre 31, 2025By
La redaction
Annoncé depuis plus de deux décennies comme le projet qui transformera la République démocratique du Congo (RDC) en « géant énergétique de l’Afrique », le barrage Inga III peine à voir le jour. Entre ambitions colossales, retards chroniques, luttes d’intérêts et doutes environnementaux, l’un des plus grands projets hydroélectriques du monde oscille entre rêve de puissance et mirage industriel. Entre-temps, l’Ethiopie concrétise un projet similaire avec le barrage de la Renaissance.
Sur les rives puissantes du fleuve Congo, à 225 kilomètres de Kinshasa, les eaux grondent au pied des chutes d’Inga. C’est ici que devait s’élever Inga III, le plus ambitieux projet hydroélectrique jamais conçu en Afrique. Mais plus de vingt ans après son lancement officiel, le chantier reste une promesse inachevée, symbole des contradictions d’un pays riche en ressources mais pauvre en infrastructures. « Inga III devait changer le destin du Congo », soupire Jean-Pierre Mbayo, ingénieur à la retraite de la Société nationale d’électricité (SNEL). « Aujourd’hui, on parle encore d’études, de financements, de consortiums… mais pas de béton coulé », a-t-il ajouté d’un air dépité.
Un rêve ancien, des promesses répétées
Le complexe hydroélectrique d’Inga ne date pas d’hier. Les deux premiers barrages, Inga I (1972) et Inga II (1982), devaient déjà propulser la RDC dans l’ère de l’électrification continentale. Mais les années de crise politique, de mauvaise gestion et de guerres successives ont freiné toute expansion. L’idée d’Inga III refait surface dans les années 2000, sous Joseph Kabila, avec un objectif colossal : produire 11 000 mégawatts d’électricité, soit de quoi alimenter non seulement la RDC, mais aussi une partie de l’Afrique australe. Le projet est alors rebaptisé « Grand Inga », censé à terme atteindre 40 000 MW, devenant ainsi le plus grand barrage du monde.
« Sur le papier, c’est un Eldorado énergétique », commente Agnès Mboyo, chercheuse à l’Université de Kinshasa. « Mais dans la réalité, la gouvernance, les financements et la planification environnementale n’ont jamais été à la hauteur des ambitions. »
Le projet rencontre également deux types d’opposition : sur le plan environnemental et deuxièmement son intérêt semble limité aux seuls miniers. D’après le reporter d’Africanews télévision, Chris Ocamringa, ce vaste projet hydroélectrique a été critiqué par certains militants de la société civile qui pensent que ce projet répondra plus aux besoins des investisseurs miniers que des Congolais de manière générale. Des populations riveraines craignent également des expropriations mais aussi pour leurs activités champêtres.
Ben Munanga, président du conseil d’administration du géant minier KAMOA Copper S.A, rejette les accusations selon lesquelles la production de l’électricité du projet Inga 3 ira à 100 % aux miniers. « Il est dit nulle part dans le projet que toute la production ira à l’opérateur minier », a-t-il réfuté.
Des partenaires nombreux, mais aucune mise en œuvre concrète
Au fil des ans, Inga III a vu défiler les partenaires : Chine, Espagne, Afrique du Sud, Banque mondiale, Union africaine. Chaque accord semblait marquer un tournant, avant de retomber dans le flou. La Banque mondiale s’est même retirée du projet en 2016, évoquant « un manque de transparence dans la conduite du dossier ». Sous Félix Tshisekedi, les discussions ont repris avec un consortium sino-espagnol, mais les négociations patinent.
Le gouvernement affirme vouloir reconfigurer le projet pour répondre d’abord aux besoins nationaux – un changement stratégique face à l’opinion publique, lassée de voir le courant partir à l’étranger alors que moins de 20 % des Congolais ont accès à l’électricité. « Il est impensable que le Congo exporte l’électricité alors que nos villages vivent encore dans le noir », avait déclaré un coordonnateur d’une ONG de défense de l’environnement. « Inga doit d’abord servir le peuple congolais. »
Un projet pharaonique… et controversé
Derrière les promesses, les critiques se multiplient. Les organisations écologistes redoutent un désastre environnemental sur le fleuve Congo, le deuxième plus puissant du monde après l’Amazone. Les ONG locales, quant à elles, dénoncent un manque de consultation des communautés affectées par les expropriations prévues. « Le discours sur le développement masque souvent la réalité : des familles déplacées, des écosystèmes détruits et des contrats opaques », dénonce Marie-Louise Kebi, militante d’un collectif pour la préservation des eaux du fleuve Congo. « Inga III risque de reproduire les erreurs des grands barrages du passé », estime-t-elle.
Sur le plan financier, les chiffres donnent le vertige : le coût initial, estimé à 12 milliards puis à 14 milliards selon les dernières projections. Dans un contexte de dette publique croissante et de corruption endémique, beaucoup doutent de la viabilité économique du projet.
Le symbole d’un pays à la croisée des chemins
Pour ses défenseurs, Inga III reste une chance historique. « Le Congo ne peut pas renoncer à son rôle de puissance énergétique », plaide Germain Kabeya, économiste. « Si nous réussissons Inga, nous devenons le cœur électrique de l’Afrique. » Mais pour d’autres, ce rêve industriel ne doit pas faire oublier les priorités immédiates : électrification rurale, maintenance des réseaux existants, et lutte contre les pertes massives d’énergie (près de 40 % selon la SNEL).
« L’énergie ne se mesure pas en mégawatts produits, mais en foyers éclairés », rappelle Élodie Manda, une ingénieure électromécanicienne. « Tant que Kinshasa restera éclairée et Kikwit dans le noir, Inga restera un mirage », a-t-elle ajouté. Devant cette réalité amère, l’administration Tshisekedi a changé le fusil d’épaule. En attendant Inga III, le gouvernement a créé ANSER : une Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain. Elle vise à atteindre 30 % d’électrification des milieux ruraux et périurbains en 2025 et 50 % d’ici à 2030. Grâce à l’énergie solaire, cette structure a déjà apporté de l’électricité à Lodja, au Sankuru. Réputé un des trous noirs du pays, ce chef-lieu de la province a été éclairé avec notamment une partie de Lumumbaville, une nouvelle ville créée en hommage à Patrice Emery Lumumba, à Onalua.
Inga III : le barrage du siècle… ou du siècle prochain ?
En 2025, Inga III n’est encore qu’un projet en attente de financement définitif, malgré des décennies d’études et de promesses politiques. Entre tensions géopolitiques, retards administratifs et défi de gouvernance, le barrage du siècle reste suspendu entre deux réalités : celle du rêve national et celle du doute collectif. « Le fleuve, lui, continue de couler », sourit amèrement un ingénieur qui renvoie ce projet aux calendes grecques suite aux nombreux défis qui se dressent au pays.
Pourtant, dans la Corne de l’Afrique, un pays a décidé et s’est donné les moyens d’y parvenir sans trop attendre l’aide extérieure : l’Ethiopie. Démarrés en 2010, les travaux ont duré 14 ans. Le Grand barrage de la Renaissance est aujourd’hui un projet hydroélectrique majeur construit par l’Éthiopie sur le Nil Bleu. Ce barrage est devenu une source de tensions géopolitiques avec les pays en aval du Nil, notamment l’Égypte et le Soudan. Le barrage est officiellement inauguré en septembre 2025, mais des turbines sont opérationnelles depuis 2022, produisant de l’électricité pour l’Éthiopie et ayant pour objectif l’exportation d’énergie dans la région. L’Égypte et le Soudan craignent que le barrage ne réduise leur approvisionnement en eau et cherchent à trouver un accord avec l’Éthiopie.
Heshima
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RDC : face aux embouteillages, comment bâtir une industrie du rail ?
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1 semaine agoon
octobre 29, 2025By
La redaction
Les villes de la République démocratique du Congo sont confrontées à une croissance démographique rapide, entraînant une urbanisation accélérée avec des défis majeurs comme l’insuffisance des infrastructures routières et des services de base. Des villes comme Kinshasa et Matadi font face à des embouteillages monstres, détériorant ainsi la qualité de vie dans ces métropoles. Le gouvernement a relancé, bon gré mal gré, le train urbain. Mais la qualité des rails laisse à désirer, obligeant l’exécutif national à penser à l’implantation d’une usine d’assemblage et de montage de trains au pays.
L’Office national des transports (ONATRA) a réfectionné certains rails pour permettre la reprise du train urbain entre Kinshasa et Matadi. Dans des quartiers comme Mapela, dans la commune de Masina, cette réfection suscite des réactions contrastées. Si certains saluent la reprise du train, d’autres se montrent inquiets par rapport à la mauvaise qualité du travail réalisé lors de la réfection de ces rails. « La réhabilitation du rail est faite de manière précaire et cela peut causer un déraillement du train. Ils ont posé le rail sur des sacs de sable. Avec le soleil et le retour de la pluie, ces sacs peuvent s’user facilement et provoquer des dégâts au passage du train », explique Jérôme Mabeka, habitant non loin de ce chemin de fer.
Implanter une usine de montage de trains
Vieux de plus d’un siècle, le réseau ferroviaire de la RDC nécessite non seulement une réfection approfondie mais également la construction de nouveaux rails. Pour faire face à ces défis du rail et des locomotives, le pays a lancé le 25 octobre 2025 un appel à manifestation d’intérêt international pour la construction d’une usine d’assemblage et de montage de trains. Le document, signé par le ministre des Transports, Voies de communication et Désenclavement, Jean-Pierre Bemba, recherche des partenaires pour la création d’unités d’assemblage capables de produire plusieurs dizaines de locomotives et wagons par an, tout en assurant un transfert de compétences vers les ingénieurs et techniciens locaux. Le projet sera mis en œuvre sous la forme d’un partenariat public-privé (PPP) d’une durée comprise entre 25 et 30 ans. Il prévoit également la création d’un écosystème de maintenance, la production de pièces détachées et la formation professionnelle.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de relance et de modernisation du secteur ferroviaire, en cohérence avec la politique d’industrialisation et d’intégration régionale promue par le gouvernement. Le projet vise aussi à moderniser la voie ferrée congolaise, vieille d’un siècle. Selon le communiqué, la RDC dispose de plus de 5 000 km de voies ferrées, mais son potentiel ferroviaire est sous-exploité en raison du vieillissement du matériel roulant et de l’absence d’industries locales de production ou de réhabilitation. Ce qui a poussé le gouvernement à lancer cet appel à manifestation d’intérêt international afin de trouver des partenaires en mesure d’assurer un réseau ferroviaire local.
Les entités intéressées, telles que des constructeurs ferroviaires, sociétés d’ingénierie, entreprises BTP, investisseurs institutionnels et centres de formation, ont jusqu’au 5 décembre 2025 à 15h00 (heure de Kinshasa) pour soumettre leurs dossiers. Des visites de sites sont prévues à Matadi et Kalemie avant le 25 novembre 2025. Ces deux villes ont été choisies par le gouvernement pour abriter ces usines.
Une fois mis en œuvre, cette usine pourrait renforcer la souveraineté industrielle du pays et réduire la dépendance aux importations de locomotives et wagons, relancer la production locale du matériel roulant adapté aux besoins nationaux et régionaux et créer des emplois qualifiés. Il s’agit également de favoriser le transfert de technologies et de développer un centre de formation ferroviaire national, de soutenir la relance de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) et de l’Office national des transports (ONATRA) ainsi que les projets PPP ferroviaires (Corridor de Lobito, Corridor Est-Centre, Kinshasa-Matadi-Banana).
Face aux embouteillages, relancer le train
Pour combattre les embouteillages chroniques en RDC, et plus spécifiquement à Kinshasa, le pays prévoit des projets de train urbain pour réduire ces congestions du trafic. Ce projet, appelé Métrokin, a pour objectif de désengorger la capitale en offrant un transport de masse, même si des investissements colossaux et une réhabilitation du réseau sont nécessaires. Le gouverneur de Kinshasa avait annoncé la construction d’une ligne de métro aérien avec un partenaire malaisien, et des études ont été menées pour sa réalisation. Mais jusqu’ici, les signaux pour concrétiser ce projet restent encore faibles.
Par contre, en septembre 2025, le gouvernement a relancé la ligne Kinshasa-Matadi, longue de 366 km. Cette ligne relie la capitale au principal port maritime du pays, tout en acquérant de nouveaux matériels roulants. À terme, cette ligne doit être prolongée jusqu’au futur port en eau profonde de Banana, actuellement en construction, dans le cadre d’un plan visant à fluidifier les échanges intérieurs et extérieurs. Si ces projets de l’industrie du rail se concrétisent, ils devraient réduire les défis de mobilité dans un contexte où le réseau routier national et le transport fluvial font face à de nombreuses contraintes : routes dégradées, congestion urbaine, embarcations vétustes, voies de navigation non balisées et accidents fréquents. Autant de facteurs qui pèsent sur les coûts logistiques et affectent la compétitivité économique du pays.
Éviter les erreurs du passé
En juin 2015, la RDC avait réhabilité certains tronçons de ses chemins de fer et avait réceptionné 18 locomotives neuves sur 38 commandées. À cette époque, la dernière acquisition d’une locomotive neuve datait de 40 ans. Après environ 15 ans d’interruption, le trafic passager sur la ligne ferroviaire Matadi-Kinshasa avait été inauguré le 2 juillet 2015. Mais faute de maintenance dans une ligne ferroviaire vétuste et de locomotives parfois inadaptées, le trafic Kinshasa-Matadi n’avait pas fait long feu sous Joseph Kabila. En relançant cette ligne sous Félix Tshisekedi, le gouvernement devrait éviter les erreurs du passé en travaillant sur la modernisation du rail congolais afin de pérenniser ce trafic en ajoutant des nouveaux rails sur des lignes existantes. Le sénateur Jean-Bamanisa, qui travaille depuis des années dans le secteur de la construction, conseille au gouvernement d’ajouter des rails modernes sur des servitudes ferroviaires existantes afin de permettre le trafic des locomotives de technologie récente. Sans cette modernisation, l’industrie du rail ne saurait redécoller en RDC.
Avec la réhabilitation des corridors ferroviaires régionaux, notamment celui de Lobito (Angola – Zambie – RDC) et celui du Tanganyika vers la Tanzanie, l’industrie du rail pourrait être boostée. Ce qui augure peut-être un nouveau départ, à condition de remédier à l’absence d’un écosystème industriel complémentaire tel que des sous-traitants locaux, une logistique intégrée et la maintenance. Il faut également résoudre un goulot d’étranglement persistant dans les domaines de l’énergie, des infrastructures ou de la connectivité numérique, facteurs qui risquent aussi de freiner les gains de productivité attendus.
Heshima Magazine
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