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Kinshasa : Daniel Bumba face à une ambition confrontée à la réalité
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La redaction
En juin 2024, Daniel Bumba Lubaki, cadre du parti au pouvoir l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), prend officiellement ses fonctions comme gouverneur de Kinshasa, succédant à Gentiny Ngobila Mbaka. Élu avec une large avance en avril 2024, il hérite d’une capitale congolaise asphyxiée par des problèmes structurels : routes dégradées, insécurité incarnée par les bandes de “Kuluna”, insalubrité chronique, chômage endémique et, plus récemment, des inondations dévastatrices. Son programme “Kin Ezo Bonga”, dévoilé en août 2024, promet une transformation radicale de la ville à travers des investissements massifs dans les infrastructures, la sécurité, l’assainissement et le développement économique. À l’approche de juin 2025, après un an de mandat, ce bilan dresse un portrait nuancé de sa gestion, s’appuyant sur des témoignages, des analyses et des données disponibles, tout en explorant les avancées et les obstacles qui ont marqué cette période.
Gestion des inondations : une réponse controversée
Les inondations, fléau récurrent à Kinshasa, ont durement frappé la ville entre 2024 et 2025. Fin 2024, de fortes pluies avaient déjà submergé Limete, Ngaliema et Masina. L’administration Bumba avait alors lancé des curages de caniveaux et mobilisé des aides d’urgence. Mais la saison des pluies 2025 a encore aggravé la situation. Entre mars et avril, plus de 500 000 personnes ont été affectées, 78 décès recensés, et des milliers de déplacés abrités dans les stades Tata Raphaël, des Martyrs ou Bandalungwa. Le gouverneur a visité les sinistrés, ordonné la désinfection des quartiers inondés et accéléré la réhabilitation des voiries. Le projet Topetola, en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), a été lancé pour renforcer le drainage à Masina et Limete. Mais l’ampleur des dégâts montre que les mesures structurelles manquent toujours.
Face à la gravité des crues, l’exécutif provincial a aussi procédé à des démolitions ciblées dans les zones à haut risque. Plusieurs constructions illégales le long des rivières et emprises ferroviaires ont été rasées, notamment à Ngaliema. Ces opérations ont suscité des protestations : absence de concertation, relogement inexistant, méthodes brutales. Certains dénoncent l’arbitraire des interventions, certaines zones à risque ayant été épargnées. Des voix de la société civile ont également accusé le gouvernement de mauvaise gestion des fonds alloués à l’assainissement. Malgré les curages intensifs, les travaux de drainage restent ponctuels. Aucune alerte précoce n’a été mise en place, et aucun plan directeur d’urbanisme n’a été publié. En l’état, les réponses de la ville apparaissent plus réactives que préventives, révélant une incapacité à encadrer durablement l’urbanisation et à anticiper les risques climatiques.
Kinshasa ne dispose toujours pas de plan d’aménagement actualisé ni d’infrastructures comme des bassins de rétention, stations de pompage ou grands canaux. Le programme de “civisme écologique” lancé par Bumba reste limité à la sensibilisation, sans véritable appropriation par les citoyens. Les centres d’hébergement sont improvisés, surpeuplés, et les enfants déplacés sont privés d’école. Les ONG recommandent la création de lotissements sécurisés pour reloger les sinistrés et la réquisition de sites publics en cas de crise. Malgré sa volonté affichée, l’administration Bumba peine à rassurer. Pour rompre le cycle des catastrophes, elle devra aller au-delà des opérations visibles et enclencher une transformation profonde du territoire urbain, articulée à une gouvernance transparente et résolument tournée vers la résilience.
Embouteillages : un défi persistant
À Kinshasa, les embouteillages restent une plaie ouverte. Le quotidien des habitants est rythmé par des heures perdues dans la circulation, notamment sur les grands axes comme le boulevard Lumumba ou l’avenue de Libération. L’urbanisation galopante, l’insuffisance de routes secondaires et l’état de dégradation avancée du réseau routier accentuent cette crise. Malgré les promesses de modernisation, la saturation du trafic freine l’activité économique et nuit à la qualité de vie. La croissance incontrôlée du parc automobile, les parkings anarchiques et l’absence de transports en commun fiables entretiennent ce chaos urbain. Pour les Kinois, circuler est devenu un parcours du combattant. L’administration provinciale, dirigée par Daniel Bumba, a reconnu l’ampleur du problème et tenté de réagir, mais les actions entreprises tardent encore à produire des effets concrets sur le terrain.
Depuis 2024, l’équipe de Daniel Bumba a lancé plusieurs chantiers pour désengorger la capitale. Des avenues stratégiques comme Kwilu, Kimwenza ou Colonel Ebeya font l’objet de réhabilitations, mais les travaux avancent lentement, retardés par les pluies, le manque de financements et des litiges contractuels. La province prévoit aussi la création de parkings modernes et d’aires de stationnement, avec un budget spécifique voté en 2025. Dans la Gombe, des constructions anarchiques ont été démolies pour libérer l’espace public, notamment autour de la gare ONATRA. Par ailleurs, une tentative de réguler les taxis-motos a échoué, faute d’alternatives viables pour les usagers. Si les intentions affichées sont ambitieuses, leur mise en œuvre reste incomplète. À ce jour, les effets sur la circulation sont encore minimes, et la population exprime un désenchantement croissant face à l’absence de résultats visibles.
Un projet phare a été annoncé fin 2024 : le lancement d’un système de bus à haut niveau de service (métrobus), en partenariat avec une entreprise turque. Ce réseau, censé révolutionner les déplacements à Kinshasa, n’a pour l’instant pas dépassé la phase d’étude. D’autres propositions comme le BRT (Bus à haut niveau de service) ou des lignes ferroviaires urbaines sont évoquées, mais rien de concret n’a encore émergé. En parallèle, certaines mesures, comme la circulation alternée ou l’interdiction des motos dans la Gombe, ont suscité critiques et incompréhension. Faute d’offre de transport public solide, ces décisions apparaissent déconnectées des réalités vécues par les Kinois. Un an après l’arrivée de Bumba, les attentes restent fortes. Les habitants réclament non plus des plans mais des résultats. La province est à la croisée des chemins : entre continuité des blocages ou transition réelle vers une ville fluide et fonctionnelle.
Infrastructures : des chantiers prometteurs mais inachevés
Sur les quelque 4 000 km de routes recensées à Kinshasa, seuls 1 006 sont revêtus, dont la majorité en mauvais état. Pour corriger ce déséquilibre, le gouvernement provincial consacre près de 25 % de son budget à la mobilité et à l’aménagement urbain. Depuis fin 2024, 17 chantiers majeurs ont été lancés, notamment autour du marché central, dans l’objectif de moderniser les axes clés et désengorger la capitale. Le gouverneur s’est fixé comme ambition de porter à 2 000 km le linéaire de routes réhabilitées d’ici la fin de son mandat. Cette stratégie vise à doter Kinshasa d’une voirie résiliente, apte à supporter le climat et l’urbanisation croissante.
Plusieurs axes stratégiques sont en réhabilitation sous l’impulsion provinciale : les avenues Kwilu, Kimwenza et Colonel Ebeya figurent parmi les plus avancées. À Bandalungwa, la modernisation de l’avenue Kisangani est confiée à Moderne Construction, avec près de 500 mètres de bitume déjà posés. Autour du marché central, des routes comme Rwakadingi et Plateau font l’objet d’un bétonnage confié à Safrimex. Jin Jin International exécute quant à elle la boucle Wangata–Usoke–Hôpital. En parallèle, le gouvernement a entrepris le dragage de la rivière Kalamu et le curage de la Mososo pour prévenir les inondations récurrentes. Ces efforts conjoints visent une amélioration tangible de la mobilité et de l’assainissement. Toutefois, la lenteur de certains chantiers interroge, malgré l’ampleur des moyens mobilisés et la pression politique croissante pour obtenir des résultats visibles.
Malgré l’élan affiché, les retards se multiplient sur plusieurs sites. Le ministre provincial des Infrastructures, Alain Tshilungu, a reconnu la lenteur d’exécution et a exigé un calendrier précis de chaque entreprise. La Première ministre Judith Suminwa, en visite à Kinshasa, a exhorté le gouvernement provincial à respecter les délais. Mais les obstacles sont nombreux : pluies prolongées, lenteurs administratives, tensions avec certains prestataires. Dans les quartiers concernés, les habitants dénoncent les désagréments quotidiens causés par les chantiers à ciel ouvert. En l’absence d’un système d’entretien efficace, beaucoup redoutent que les nouvelles routes se dégradent aussi vite qu’elles sont livrées. Le manque de communication officielle sur les échéances et les budgets entretient une méfiance grandissante. Pour convaincre, Daniel Bumba devra transformer ses ambitions en ouvrages durables, visibles et entretenus.
Sécurité : une lutte contre les “Kuluna” aux résultats mitigés
Daniel Bumba a fait de la sécurité l’un des piliers de son action provinciale, avec un accent particulier sur le phénomène des « Kuluna », ces gangs urbains qui sèment la terreur dans plusieurs communes. Dès ses premières semaines de gouvernance, il a renforcé les patrouilles policières et ordonné la création d’une unité spéciale pour contrer ces bandes violentes. Cette stratégie a culminé avec le lancement des opérations « Zéro Kuluna » et « Ndobo » à partir de décembre 2024. Ces campagnes ont ciblé les zones sensibles et se sont appuyées sur des bouclages nocturnes, notamment dans les communes de N’djili, Selembao ou encore Ngaliema, où les habitants réclamaient des actions concrètes face à la recrudescence des agressions.
L’opération spéciale menée durant les fêtes de fin d’année 2024-2025 a marqué un tournant. Plus de 450 présumés Kuluna ont été arrêtés entre le 31 décembre et le 1er janvier, puis transférés devant les tribunaux militaires de garnison. Dès le 8 janvier, des audiences foraines ont été organisées dans plusieurs sites, traduisant la volonté de juger rapidement ces jeunes délinquants. En parallèle, les autorités provinciales ont repris les patrouilles de nuit et intensifié les contrôles dans les coins réputés dangereux. Cette stratégie de répression a permis une amélioration temporaire du climat sécuritaire, particulièrement dans des communes comme la Gombe ou Masina. Toutefois, elle a aussi suscité des inquiétudes sur le respect des droits des détenus et la légitimité de certaines arrestations.
Malgré cette réponse musclée, les critiques ne manquent pas. Aucun programme concret de réinsertion sociale n’a été mis en place par le gouvernement provincial, malgré des déclarations initiales du gouverneur. De nombreuses voix s’élèvent pour souligner que la répression seule ne suffit pas à éradiquer un phénomène profondément enraciné dans la pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale. Le mouvement Lucha a dénoncé le recours à la peine de mort et l’absence de garanties judiciaires. Par ailleurs, aucune campagne éducative ni initiative communautaire de prévention n’a été lancée par la province. En l’absence d’une stratégie intégrée mêlant répression, réinsertion et sensibilisation, l’impact des opérations anti-Kuluna, aussi spectaculaires soient-elles, risque de rester éphémère.
Assainissement : une ambition freinée par des lacunes structurelles
Le gouvernement provincial de Kinshasa a fait de l’assainissement une priorité. Le 10 août 2024, il a officiellement lancé l’opération « Coup de poing », une vaste campagne de salubrité publique censée durer 45 jours. Soutenue par le génie militaire et coordonnée avec l’Office des voiries et drainage (OVD), cette initiative a commencé dans la commune de la Gombe avec le curage des caniveaux et l’évacuation de milliers de tonnes de déchets. Lors de cette opération, le gouverneur a sollicité l’appui actif des bourgmestres des 24 communes de la capitale. D’après le média Actualité.cd, Bumba voulait inscrire cette opération dans une logique de discipline collective. Le site 7sur7.cd a, de son côté, relayé les attentes élevées d’une population lasse de vivre dans l’insalubrité chronique.
Parallèlement, le gouverneur s’est intéressé à la transformation des déchets plastiques. En novembre 2024, il a visité l’usine de recyclage Kintoko, aux côtés de la société française Suez, pour soutenir la valorisation des ordures ménagères. Selon le site Actualité.cd, Bumba a insisté sur la nécessité d’une meilleure rémunération des ramasseurs de déchets, souvent négligés dans les politiques publiques. Peu après, il a également apporté son soutien au groupe industriel Angel, qui opère dans le recyclage local, en promettant de renforcer les moyens logistiques de l’entreprise. Radio Okapi a souligné que cette démarche visait à multiplier par trois le volume de plastique recyclé chaque mois. Ces actions traduisent une volonté politique d’intégrer l’économie circulaire dans la gouvernance urbaine de Kinshasa.
Pourtant, malgré ces signaux encourageants, les résultats concrets restent limités. En décembre 2024, quatre mois après le lancement de l’opération « Coup de poing », le média Congoquotidien.com constatait que les tas d’ordures avaient refait surface dans plusieurs communes. L’absence de centres de tri, de décharges contrôlées et de mécanismes durables de collecte affaiblit l’impact de chaque initiative. D’après une enquête d’Actualité.cd publiée en avril 2025, le gouverneur Daniel Bumba reconnaît lui-même que des lacunes structurelles entravent l’efficacité des efforts engagés. Le manque de coordination entre services provinciaux et municipalités, conjugué à une faible sensibilisation des citoyens, freine la mise en œuvre d’une politique d’assainissement cohérente et continue. Kinshasa reste confrontée à un défi colossal : transformer une ambition en changement durable.
Développement économique : des projets ambitieux mais flous
Le programme « Kin Ezo Bonga », présenté par le gouverneur Daniel Bumba en août 2024 comme la nouvelle boussole du développement provincial, s’appuie fortement sur le projet d’extension de Kinshasa vers Maluku. D’après Thierry Katembwe Mbala, coordonnateur du Comité stratégique pour la supervision du projet d’extension de la Ville de Kinshasa (CSSPEVK), cette future zone urbaine et industrielle s’étendra sur 486 km² et devrait générer 10 000 emplois directs dans sa phase initiale. Plusieurs missions ont été dépêchées sur le terrain depuis novembre 2024, en partenariat avec China State Construction Engineering Corporation, pour mener des études topographiques et initier les premiers dégagements. Pourtant, en mai 2025, aucun chantier majeur n’a encore démarré, ce qui alimente les doutes sur la faisabilité réelle de ce projet, pourtant présenté comme le socle du renouveau économique kinois.
Dans une dynamique parallèle, l’administration provinciale a lancé des projets de modernisation des marchés, notamment autour du marché central de Kinshasa. Le 7 novembre 2024, Daniel Bumba annonçait, depuis l’avenue Rwakadingi, la réhabilitation de cinq axes stratégiques : Rwakadingi, Marché, Marais, Plateau et École, dans le but de désenclaver cette zone commerciale névralgique. Les travaux, confiés à l’entreprise SAFRIMEX, visent à fluidifier l’accès au marché modernisé. Malgré cette ambition, le manque de transparence dans la passation des marchés publics inquiète. Des commerçants et entrepreneurs, interrogés par Heshima Magazine, se plaignent de ne pas être suffisamment associés aux appels d’offres et dénoncent une gestion opaque des ressources allouées, ce qui freine l’adhésion du secteur privé local au projet global.
Le programme quinquennal « Kin Ezo Bonga » est structuré autour de onze axes prioritaires, allant de l’assainissement à la sécurité, en passant par l’emploi, la mobilité ou encore la planification urbaine. Selon le gouverneur Bumba, ce programme dispose d’un budget prévisionnel de 11 milliards de dollars pour la période 2024-2028, financé par des partenariats publics-privés et l’appui d’organismes internationaux. Cependant, comme l’ont relevé plusieurs analystes, l’absence de calendrier détaillé, de rapports périodiques et d’indicateurs de performance rend difficile le suivi des avancées réelles. Dans la population, l’impatience grandit : les Kinois espèrent des résultats concrets au-delà des annonces. Car sans changements visibles, la crédibilité du gouverneur pourrait vite s’effriter.
Services sociaux : santé et éducation en attente de réformes
En matière de santé, un plan d’action a été élaboré en partenariat avec l’agence belge Enabel pour améliorer les infrastructures sanitaires. Cependant, à ce jour, aucun hôpital ou centre de santé n’a été inauguré sous son mandat. Les Kinois continuent de déplorer la vétusté des structures existantes, comme l’a souligné Radio Okapi dans un reportage récent. Cette situation met en lumière le décalage entre les annonces officielles et la réalité sur le terrain, alimentant le scepticisme de la population quant à la capacité de l’administration à concrétiser ses promesses.
Dans le domaine de l’éducation, les engagements pris par le gouverneur Bumba, tels que la construction de nouvelles salles de classe et la distribution de matériel scolaire, peinent également à se matérialiser. Les enseignants et les parents expriment leur frustration face à des conditions d’apprentissage souvent indignes, soulignant le manque de ressources et d’infrastructures adéquates. Le site Actualité.cd a rapporté que, malgré les annonces, peu de progrès tangibles ont été réalisés, laissant les écoles dans un état de délabrement avancé. Cette situation compromet la qualité de l’enseignement et l’avenir des jeunes Kinois, qui sont les premières victimes de ces carences.
Face à ces défis, l’administration provinciale est appelée à intensifier ses efforts pour traduire ses ambitions en actions concrètes. La mise en œuvre effective des projets annoncés, accompagnée d’une communication transparente sur l’état d’avancement des travaux, est essentielle pour restaurer la confiance des citoyens. Les partenaires internationaux, tels qu’Enabel, attendent également des résultats probants pour poursuivre leur soutien. Il est impératif que le gouverneur Bumba et son équipe adoptent une approche plus proactive et inclusive pour répondre aux besoins urgents de la population en matière de santé et d’éducation.
Contrats signés : un manque de transparence ?
Daniel Bumba a multiplié la signature de contrats censés soutenir ses projets en matière d’infrastructures, d’assainissement et de logement. En août 2024, il a ainsi annoncé un ambitieux plan d’investissement de 2,7 milliards de dollars sur cinq ans pour la modernisation de Kinshasa, dans le cadre du programme « Kinshasa Ezo Bonga », un projet présenté officiellement lors d’une conférence de presse relayée par Actualité.cd. Ce programme prévoit notamment la construction de logements sociaux et de nouvelles voiries. Mais sur le terrain, peu de détails ont filtré sur les contrats eux-mêmes, sur les entreprises attributaires ou encore sur les modalités de financement. Cette opacité nourrit une méfiance croissante au sein de la population et d’une partie de la société civile, qui réclame plus de transparence.
Le cas du contrat de collecte des déchets avec l’entreprise turque Albayrak illustre bien ce manque de clarté. Conclu en 2022 sous l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, l’accord imposait à la ville de verser entre 500 000 et 1 million de dollars par mois, selon une enquête menée par le journal AfricaNews. En août 2024, Daniel Bumba a décidé de résilier ce contrat, le qualifiant de « léonin » et dénonçant l’utilisation d’équipements achetés par la ville sans retour sur investissement suffisant. Si cette décision a été saluée par certains comme un acte de rupture, elle a également mis en lumière l’absence d’un nouveau cadre clair pour la gestion des déchets. Depuis, aucun appel d’offres public ou partenariat structuré n’a été rendu public, laissant planer des doutes sur les orientations futures.
Dans le secteur de la santé, le protocole d’accord signé en janvier 2025 avec l’entreprise marocaine TGCC prévoit la construction d’un hôpital moderne à Maluku, avec une capacité de plus de 100 lits. Ce projet a été dévoilé à la presse lors d’une cérémonie officielle, selon les précisions d’Actu30.cd, qui a suivi les étapes de cette collaboration. Bien qu’il s’inscrive dans le programme de développement de la zone Est de Kinshasa, aucune information n’a été fournie sur le budget alloué, les sources de financement ou les délais d’exécution. Par ailleurs, certains observateurs s’interrogent sur la répartition des responsabilités entre les parties prenantes. Dans un contexte marqué par de fortes attentes, cette absence de communication renforce les soupçons de favoritisme et de gestion peu rigoureuse des deniers publics.
Kinshasa face à ses défis urbains majeurs
Gouverner Kinshasa, une ville en pleine expansion démographique, représente un défi colossal. La croissance urbaine rapide, conjuguée aux effets du changement climatique, impose la mise en œuvre de solutions innovantes et durables. Le Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo alerte sur l’exacerbation des inondations due à une urbanisation informelle accélérée et à des infrastructures insuffisantes, soulignant la nécessité d’investissements massifs dans des systèmes de drainage performants et un plan d’urbanisme rigoureux.
Les embouteillages, quant à eux, réclament une réforme profonde du système de transport urbain. Des études publiées par l’Institut Africain des Politiques Urbaines insistent sur le fait que le recours majoritaire aux minibus et taxis traditionnels, dépassés par l’essor démographique, freine la mobilité et nuit à l’activité économique. Il devient urgent de développer un réseau de transport public moderne et efficace.
Enfin, la question de l’insalubrité demeure critique. Selon un rapport de l’Agence Congolaise de l’Environnement, la gestion des déchets solides est insuffisante, avec une collecte partielle et l’absence de centres de traitement ou de recyclage adaptés. La pollution engendrée impacte négativement la santé publique. Le gouvernement provincial doit impérativement renforcer les infrastructures de traitement des déchets et lancer des campagnes de sensibilisation citoyenne pour assurer la pérennité des résultats.
Bilan d’un an de gouvernance : ambitions affichées, résultats attendus
La première année de Daniel Bumba à la tête de Kinshasa révèle une ambition réelle, comme le souligne Jeune Afrique dans sa publication d’avril 2025, mais cette volonté se heurte à des obstacles majeurs. Les chantiers routiers, les opérations sécuritaires et les efforts d’assainissement, rapportés par Radio Okapi, témoignent d’une volonté de changement, mais leur impact demeure limité en raison de retards, de contraintes financières évoquées par le Ministère provincial des Finances, et d’un manque de transparence relevé par des observateurs locaux. Par ailleurs, les inondations et les démolitions, analysées par la presse congolaise en février 2025, ont mis en lumière des tensions entre impératifs sécuritaires et considérations sociales. Enfin, les secteurs essentiels de la santé et de l’éducation, décrits par l’ONG Enabel dans son dernier rapport, attendent toujours des réformes concrètes. Pour transformer Kinshasa, Daniel Bumba devra non seulement achever les projets en cours, mais aussi restaurer la confiance d’une population devenue exigeante, comme le résume un habitant de Ngaliema interrogé par Heshima Magazine : « Nous voulons des actions, pas seulement des paroles. Kinshasa mérite une vraie transformation. C’est la vitrine de la RDC.»
Heshima Magazine
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Du Budget au Perchoir : le parcours insoupçonné de Boji Sangara
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7 jours agoon
novembre 20, 2025By
La redaction
Économiste de formation britannique, réservé mais d’une méthode implacable, Aimé Boji Sangara a gravi les échelons de la politique congolaise loin des projecteurs et des coups d’éclat. Son élection à la présidence de l’Assemblée nationale marque le couronnement d’un parcours où rigueur académique, loyauté stratégique et sens aigu du détail ont façonné un personnage rarement bruyant, mais dont l’influence est désormais centrale. Portrait d’un homme qui, loin de l’ostentation, privilégie l’efficacité structurelle et le travail de fond.
Le jour de son élection, le 13 novembre 2025, Aimé Boji Sangara n’a pas cédé à l’euphorie. Là où d’autres auraient levé les bras en signe de triomphe, il s’est simplement avancé vers le pupitre. Il affichait une concentration presque austère, révélant plus l’homme d’État mesuré que le vainqueur exubérant. Chez lui, la retenue n’est pas un artifice tactique : elle est l’expression profonde d’un trait de caractère qui est devenu sa marque de fabrique dans l’arène politique.
Lors de son discours d’investiture à la tête de la chambre basse, Boji a immédiatement cherché à rassurer et à projeter une image de réformateur pragmatique. Il a promis de transformer l’institution parlementaire en « un parlement plus fort, plus crédible et plus proche du peuple », des objectifs qui nécessiteront une refonte interne des méthodes de travail et une collaboration renforcée, mais équilibrée, avec les autres institutions républicaines. Il a ainsi posé d’emblée les bases d’un mandat axé sur la rationalisation de l’action législative.
L’héritage politique du Kivu et l’exil académique
Né en 1968 dans le territoire de Walungu, au Sud-Kivu, Aimé Boji a été bercé par l’atmosphère du service public et de la politique. Son père, Dieudonné Boji, fut une figure respectée, notamment en tant que gouverneur du Kivu avant son éclatement en plusieurs provinces. Cette immersion précoce dans le sérail du pouvoir, loin d’engendrer une ambition politique prématurée, l’a plutôt orienté vers l’exigence de la méthode. Il s’est d’abord passionné pour la discipline des chiffres et la logique du raisonnement structuré. Après un diplôme de math-physique obtenu à Bukavu, il choisit de s’éloigner du tumulte national et de l’héritage familial pour poursuivre sa formation au Royaume-Uni.
Son voyage académique le mène d’abord à Oxford Brookes, puis à l’éminente Université d’East Anglia. Ces années passées outre-manche sont décisives. Il y acquiert non seulement un master en économie du développement, mais aussi un rapport au travail singulier : un culte de la méthode, de la recherche approfondie et de la gestion publique axée sur les résultats. Il s’engage ensuite dans des projets académiques et associatifs à Londres, se forgeant une réputation de professionnel sérieux, dont la rigueur et la précision, presque obsessionnelle, sont incontestables. Ces fondations jetées loin de Kinshasa expliquent sans doute sa capacité à rester serein et analytique face aux turbulences politiques.
Le technocrate au cœur de l’État
Lorsque Boji revient au pays au milieu des années 2000, c’est avec la conviction que son expertise doit servir l’appareil d’État. Élu député national en 2006, il est réélu sans discontinuer à chaque cycle électoral jusqu’à celui de 2023, faisant de son mandat parlementaire le socle de sa carrière.
Cependant, c’est au sein de l’Exécutif qu’il va véritablement affirmer son profil de technocrate fiable. Ses passages successifs aux portefeuilles du Commerce extérieur, du Budget et de l’Industrie sont remarqués par leur sérieux. Chaque nomination renforce l’image d’un homme capable d’écouter, d’analyser et de produire des résultats concrets, souvent mieux préparé sur le fond des dossiers que la moyenne de ses homologues.
Son mandat de quatre ans comme ministre du Budget est particulièrement éclairant. Il lui a permis d’acquérir une compréhension microscopique du fonctionnement de l’État, des rouages de la gestion des finances publiques et des impératifs de la transparence budgétaire. Malgré son passage prolongé au gouvernement, il n’a jamais renié ses années de parlementaire. « J’ai eu le privilège de siéger 13 ans durant dans cet hémicycle », a-t-il rappelé aux députés, soulignant qu’il y a appris la « noblesse du débat démocratique » et la valeur inestimable du consensus. Boji compte bien s’appuyer sur cette expérience bicéphale pour régénérer l’Assemblée. Il a clairement affiché sa volonté de replacer le député au centre de l’action parlementaire en privilégiant le travail de terrain et la proximité avec les réalités locales. Il souhaite notamment exploiter de manière plus systématique les rapports issus des vacances parlementaires pour identifier les besoins réels des circonscriptions et proposer au gouvernement des projets d’urgence concrets à financer en faveur des populations.
L’ascension stratégique : l’ancre de Tshisekedi
Dans un environnement politique souvent dominé par la théâtralité, les joutes oratoires et l’agitation, Boji incarne une forme de politique posée, presque administrativement efficace, qui tranche singulièrement. Ses collaborateurs le décrivent comme un homme qui « travaille en silence ». Le député Michel Moto, son camarade du parti politique Union pour la nation congolaise (UNC), le dépeint comme « un homme posé, conciliant et surtout un homme de dialogue », soulignant la dimension consensuelle de son leadership. Même ses détracteurs, en coulisse, concèdent volontiers qu’il « ne fait pas de vagues, mais il avance avec une détermination tranquille et méthodologique ».
Lorsque l’Union Sacrée de la Nation (USN) le désigne candidat au perchoir en septembre 2025, le choix n’est pas perçu comme audacieux, mais comme éminemment stratégique. Certains observateurs y voient un geste de prudence visant à installer une figure non clivante capable de gérer les dossiers techniques. D’autres y lisent une manœuvre pour stabiliser une institution qui a connu des périodes de crises internes et de vives tensions. Fidèle à lui-même, Boji mène sa campagne loin de l’agitation : il consulte, écoute, prend des notes méticuleuses et propose un programme centré sur la modernisation de l’institution. Son score, 413 voix sur les 423 votants, est un plébiscite qui témoigne de sa capacité à rallier un large consensus au-delà des chapelles politiques.
Un secret de polichinelle : la loyauté au Président
Le rapprochement entre Aimé Boji et le chef de l’État, Félix Tshisekedi, est l’élément fondamental qui explique cette ascension. Longtemps discret, il est devenu un secret de polichinelle au lendemain de sa démission du ministère de l’Industrie pour se présenter au Perchoir.
Un politologue souligne l’évidence de la stratégie : « Personne ne risque de quitter un portefeuille ministériel, surtout d’État, s’il n’a pas la certitude absolue d’avoir le soutien total du chef de l’État pour le Perchoir. Le fait qu’il ait quitté ses fonctions était le signe irréfutable de l’aval présidentiel. » Boji est l’homme clé chargé de garantir la cohésion et la productivité du pouvoir législatif au service de la vision présidentielle. Cette nouvelle proximité a d’ailleurs éclipsé l’influence de son mentor politique historique, Vital Kamerhe (VK), chef de l’UNC. Pressenti pour succéder à VK qui avait démissionné du Perchoir, Boji a réussi, depuis 2019, à gagner la confiance durable de Félix Tshisekedi, se positionnant comme un pilier fiable et loyal au sein de l’USN, essentiel à la matérialisation des ambitions de la majorité.
Des dossiers explosifs et un leadership à affirmer
Aimé Boji arrive à la tête de l’Assemblée nationale à un moment charnière. Les défis qui l’attendent sont considérables :
Il devra d’abord œuvrer en étroite collaboration avec l’Exécutif pour soutenir les efforts visant au rétablissement urgent de la paix et de la sécurité dans l’Est du pays. C’est la priorité nationale absolue qui pèsera sur tous les travaux législatifs. Au-delà, l’examen du budget 2026 est un travail technique colossal qui attend immédiatement la chambre basse pour garantir un budget réaliste, social et transparent, conforme aux promesses de l’Union Sacrée.
Enfin, un dossier potentiellement explosif pourrait faire un retour remarqué dans le débat parlementaire : la modification ou le changement de la Constitution. Dans son premier discours, Boji a déjà fixé un cap, sans éclats, mais avec une conviction de fer : moderniser l’institution et renforcer le dialogue constructif avec l’Exécutif. S’il réussit à créer un environnement de travail serein et à mettre les députés à l’aise par son style non conflictuel, un projet sensible comme celui de la révision constitutionnelle pourrait être abordé au sein de l’Union Sacrée avec moins de friction et plus de consensus technique.
En attendant, l’homme a fait des promesses sobres, presque techniciennes, mais parfaitement cohérentes avec sa personnalité. Aimé Boji n’est pas de ceux qui cherchent la lumière. Pourtant, le voici propulsé au cœur battant de la scène politique congolaise. Son défi majeur sera d’imposer son style : calme, méthodique, et parfois déroutant de discrétion, mais d’une efficacité que l’on dit redoutable. Reste à savoir si cette ascension tranquille saura se transformer en un leadership audacieux et assumé face aux enjeux colossaux qui attendent la République. Le Congo, lui, n’attend que de voir.
Heshima
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RDC : Les forces et les faiblesses de l’Accord-cadre signé entre Kinshasa et l’AFC/M23 à Doha
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1 semaine agoon
novembre 17, 2025By
La redaction
Réunis sous l’égide du Qatar, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et les représentants de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC-M23) ont signé le 15 novembre 2025 un Accord-cadre inédit visant à ouvrir la voie à un cessez-le-feu durable dans l’est du pays. Ce texte, qualifié de « première étape décisive » par les médiateurs, doit maintenant être suivi de discussions techniques sur la démobilisation et le retrait des combattants. Heshima Magazine explore les différents points de ces protocoles.
Après plusieurs sessions de discussions sans issue, les autorités congolaises et les rebelles de l’AFC/M23 ont finalement franchi une nouvelle étape dans le processus de paix que pilote le Qatar depuis le mois de mars. Cet Accord-cadre comporte 8 protocoles qui déterminent les matières à traiter et les modalités de leur mise en œuvre afin d’aboutir à un accord de paix définitif. Heshima Magazine explore chaque engagement souscrit par les parties dans cet accord-cadre.
Échange de prisonniers sous supervision internationale
Bien que toutes les négociations impliquent des concessions de la part des parties, l’engagement sur l’échange des prisonniers est délicat pour le gouvernement. La plus grande préoccupation sur ce point réside dans la nature des prisonniers à échanger. Si le gouvernement peut s’attendre à la libération des militaires arrêtés par la rébellion lors des combats, l’AFC/M23, de son côté, pourrait élargir la liste à des individus auteurs de crimes graves. Certaines sources évoquaient même des personnalités comme le député Edouard Mwangachuchu, condamné notamment pour détention d’armes à feu. Pour le gouvernement, il est hors de question que tous les individus soient libérés dans ce cadre. « Nous allons nous assurer qu’on applique les critères d’exclusion sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves selon le droit international », avait déclaré le nouveau ministre de la Justice, Guillaume Ngefa.
En septembre, Kinshasa et l’AFC/M23 ont signé ce « mécanisme d’échange de prisonniers ». Dans le cadre de ce dispositif, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) jouera le rôle d’intermédiaire neutre pour l’identification, la vérification et la libération sécurisée des détenus des deux camps. Le mouvement rebelle évoque environ 700 personnes arrêtées par Kinshasa. La mise en œuvre du mécanisme implique l’établissement et la certification des listes de prisonniers, avec l’aval de toutes les parties.
Si l’AFC/M23 s’attend à des têtes couronnées telles que Éric Nkuba alias Malembe, arrêté en Tanzanie puis condamné à mort à Kinshasa notamment pour participation à un mouvement insurrectionnel, le gouvernement, quant à lui, s’attend à la libération d’environ 1500 militaires congolais capturés et envoyés par la rébellion en janvier et février derniers au camp militaire de Rumangabo pour un « reconditionnement ». Même si plus d’une centaine d’entre eux ont réussi à s’échapper des mains de la rébellion, certains restent encore captifs. D’autres combattants cantonnés au quartier général de la MONUSCO avaient déjà été transférés de Goma à Kinshasa en avril grâce à la médiation du CICR. Sur ce point de libération des prisonniers, il reste à savoir si le gouvernement s’en tiendra toujours à son caractère « rigoureux » dans le choix des prisonniers à libérer en faveur de l’AFC/M23.
Mise en place d’un mécanisme conjoint de surveillance du cessez-le-feu
Depuis le 14 octobre, le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC-M23 ont signé ce « mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu » dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Ce mécanisme institue un comité constitué d’un nombre égal de représentants du gouvernement congolais et de l’AFC/M23 afin d’enquêter sur les violations signalées. Les membres de ce comité devraient se réunir à la demande de l’une des deux parties en cas de violations signalées. Le Qatar, les États-Unis et l’Union africaine pourront y prendre part en tant qu’observateurs et la MONUSCO lui fournira un appui logistique. La première réunion du comité était censée se tenir dans les sept jours suivant son institution.
Lors de la signature de cet engagement, Doha avait qualifié la mise en œuvre de ce comité de suivi d’« étape cruciale vers le renforcement de la confiance et la conclusion d’un accord de paix global ». De son côté, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, avait salué sur le réseau social X « une avancée significative ». Mais sur le terrain, ce mécanisme a accusé des faiblesses. Les deux camps ont continué à s’affronter sans que le mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu ne puisse s’activer. Par communiqué interposé, les deux camps s’accusent mutuellement de violation de ce cessez-le-feu. Tant que l’accord global n’aura pas intervenu, ce mécanisme – sans la bonne foi des parties – aurait du mal à fonctionner.
Restauration progressive de l’autorité de l’État dans les zones occupées
Ce point, qui figure dans l’Accord-cadre qui vient d’être signé, reste le plus difficile à digérer pour les rebelles de l’AFC/M23. Au début des discussions à Doha, cette rébellion voulait obtenir la gestion des zones conquises en collaboration avec le gouvernement à Kinshasa. Une option qui était dénoncée par l’opinion publique, la percevant comme une balkanisation du pays. La restauration de l’autorité de l’État, l’un des points clés de divergence dans les discussions, passe pour un arrêt de mort pour l’AFC/M23 dont l’avenir post-occupation n’est toujours pas décidé à Doha. Sur la question de la restauration de l’autorité de l’État, la Déclaration de principes signée entre les deux parties en juillet dernier notait que cette restauration de l’autorité de l’État allait constituer une conséquence logique du règlement « des causes profondes » du conflit. L’accord de paix global attendu devra préciser les modalités et le calendrier de cette restauration sur l’ensemble du territoire national.
Retour sécurisé et volontaire des réfugiés et déplacés
C’est l’un des sept points de la Déclaration de principe publiée le 19 juillet. Il a été également repris dans l’Accord-cadre du 15 novembre 2025. Les deux parties s’engagent à faciliter le retour sûr, volontaire et digne des réfugiés et des personnes déplacées vers leurs zones ou pays d’origine. Mais combien sont-ils de part et d’autre de la frontière entre la RDC et le Rwanda ? Ce retour, qui doit se faire en conformité avec le droit humanitaire international et dans le cadre des mécanismes tripartites associant la RDC, les pays d’accueil et le HCR, pourrait aussi constituer l’un des problèmes dans la mise en œuvre de l’accord final. Ce sujet est aussi l’un des points les plus sensibles. Le retour des réfugiés congolais fait partie des revendications historiques du M23, déjà présentes dans l’accord de paix signé en 2009 entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’ancêtre du mouvement actuel. Problème : qui est Congolais et qui ne l’est pas ? Ces réfugiés, défendus bec et ongle par le M23, sont-ils en nombre conséquent ? Sur ce point, il faut d’abord régler la question des chiffres. Selon les dernières estimations avancées par RFI, le Rwanda accueille près de 137 000 réfugiés, principalement en provenance de la RDC et du Burundi. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 80 000 Congolais vivraient aujourd’hui au Rwanda. Mais pour Kinshasa, le problème reste l’identification : les autorités congolaises affirment ne pas connaître avec précision ni le nombre, ni l’identité de ces réfugiés. Pour le gouvernement congolais, on ne peut pas rapatrier des réfugiés dans une zone encore en conflit ou sous contrôle des rebelles du M23. Le gouvernement voudrait avoir le pouvoir nécessaire de contrôler l’identité de ceux qui veulent revenir au pays. Le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, Jacquemain Shabani, alertait déjà sur une « transplantation » des populations venues d’ailleurs dans les zones contrôlées par les rebelles du M23.
Ce sujet fait craindre au gouvernement et à l’opinion l’arrivée d’une population compacte qui pourrait, un jour, exiger l’autonomie d’une des régions congolaises. Ainsi donc, Kinshasa insiste : le retour des réfugiés dans les zones aujourd’hui sous administration du M23 ne pourra avoir lieu qu’après le cessez-le-feu, la restauration de l’autorité de l’État et la vérification de la nationalité des candidats au retour. Autrement dit, cette question est loin d’être close. Elle pose aussi d’autres défis : quand ces réfugiés rentreront-ils ? Et où seront-ils installés ? Car il y a parmi eux des individus qui n’ont jamais mis les pieds en RDC. Des questions qui montrent, selon plusieurs experts, qu’il ne suffit pas de régler le volet sécuritaire, il faut un accord global, incluant aussi les aspects sociaux, fonciers et économiques. Les populations congolaises qui avaient fui l’arrivée du M23 dans leur zone avaient trouvé à leur retour des occupants venus d’ailleurs installés dans leurs maisons, cultivant également leurs champs.
Mesures de confiance
Ce point implique entre autres la communication entre parties, la fin de la propagande « haineuse » selon l’AFC/M23 et les libérations des prisonniers. Sur ce point, paradoxalement, rien ne rassure au regard des premières communications faites après la signature de cet Accord-cadre à Doha. « Cet accord ne comporte aucune clause contraignante », déclare Benjamin Mbonimpa, chef de la délégation de l’AFC/M23. Une communication qui annonce déjà que tout peut basculer à n’importe quel moment. « Il n’y a rien qui va changer sur le terrain », estime Bob Kabamba. Selon lui, il y a eu deux signatures qui n’ont pas produit des résultats sur le terrain. « Il faut s’inquiéter pour la suite car les deux parties se sont réarmées, elles se sont réorganisées », a-t-il expliqué, soulignant la mise en place par le M23 d’une administration parallèle qui fonctionne comme un État.
La relance économique et les services sociaux
Ce point du protocole de l’Accord-cadre est étroitement lié à la restauration de l’autorité de l’État. Un point qui reste parmi les plus difficiles à obtenir à Doha. Les rebelles ne veulent pas encore céder les zones sous leur contrôle sans connaître au préalable leur avenir politique et sécuritaire.
La justice, la vérité et la réconciliation
Alors que les combats se poursuivent dans l’Est du pays, Kinshasa et les rebelles laissent entrevoir, malgré des positions opposées, quelques signaux de réconciliation. Mais la méfiance reste profonde, et les conditions d’une véritable réconciliation demeurent toujours fragiles. La part de la justice dans cette démarche est essentielle pour ne pas laisser les bourreaux côtoyer les victimes. Cette réconciliation entre le gouvernement congolais et les rebelles AFC/M23 n’est pas impossible ; elle est simplement suspendue à une constellation de facteurs politiques, militaires et diplomatiques encore instables. Dans un conflit où chaque camp cherche une position de force, la paix reste pour l’instant un horizon plus qu’une réalité, mais un horizon que beaucoup, épuisés par des années de guerre, espèrent voir enfin se rapprocher.
Élaboration d’une feuille de route vers un accord de paix global
L’Accord-cadre de Doha fixe les bases d’un processus destiné à mettre fin aux hostilités, à rétablir l’autorité de l’État et à consolider la stabilité nationale. Il réaffirme la détermination du Gouvernement à placer la paix, la sécurité et la dignité du peuple congolais au centre de son action. C’est dans ce cadre que la protection des populations civiles, en particulier les femmes, les enfants et les personnes déplacées internes, demeure une priorité. Les protocoles qui découleront de cet Accord-cadre permettront notamment de sécuriser les corridors humanitaires, de faciliter l’accès des organisations humanitaires, et d’engager des actions urgentes pour répondre aux besoins essentiels des communautés affectées.
De son côté, le gouvernement précise que les six protocoles, en dehors de ceux relatifs au Mécanisme de libération des prisonniers ainsi qu’au Mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu, feront l’objet de discussions deux semaines après la signature de l’Accord-cadre. Il s’agira de préciser les modalités techniques, les calendriers d’exécution et les engagements respectifs des parties. Dans le communiqué du gouvernement, Kinshasa note qu’aucun statu quo n’est compatible avec cet objectif de paix : le processus engagé vise à créer, dans les plus brefs délais, les conditions d’un changement réel et mesurable pour les populations affectées. Les deux prochaines semaines vont permettre de percevoir les nouveaux efforts entre les deux parties.
Heshima
Nation
Neutralisation des FDLR en RDC : quels résultats en 30 ans ?
Published
2 semaines agoon
novembre 13, 2025By
La redaction
Pour mettre en œuvre l’une des résolutions phares de l’Accord de paix signé à Washington le 30 juillet 2025 entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont lancé, début novembre 2025, une vaste campagne de sensibilisation visant à pousser les combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à déposer volontairement les armes. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie mixte combinant dialogue politique, désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), avec l’appui de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Mais sur le terrain, ces rebelles hutus rwandais semblent bien fantomatiques, leur présence réduite à une ombre résiduelle qui complique la mise en œuvre de ce volet de l’accord.
Depuis leur émergence officielle en 2000, les FDLR, nées des exilés hutus fuyant le Rwanda après le génocide de 1994, ont été au cœur d’une rhétorique rwandaise les présentant comme une menace existentielle, justifiant des décennies d’interventions militaires et d’ingérences. Pourtant, une analyse approfondie révèle que cette menace est largement exagérée, servant avant tout d’alibi à des ambitions économiques et territoriales plus prosaïques.
Walikale : une mission bredouille face à l’absence des FDLR
Le 5 novembre 2025, une délégation des FARDC, conduite par le général Sasa Nzita, chef d’état-major adjoint chargé des renseignements militaires, s’est rendue à Walikale, dans la province du Nord-Kivu, pour un meeting avec la population locale. Ces échanges s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre des résolutions de l’accord de Washington, qui vise une paix durable par la neutralisation de ces rebelles rwandais. L’équation se pose avec acuité pour l’armée congolaise : les combattants FDLR ne sont plus présents sur l’ensemble du territoire de Walikale. D’après les témoignages recueillis auprès des habitants, ces éléments ont totalement disparu de la zone. La population a formellement rejeté l’allégation rwandaise selon laquelle la rive gauche de la rivière Lowa, en plein centre de Walikale, serait encore occupée par les FDLR, une affirmation qui, comme tant d’autres, semble sortie d’un manuel de propagande kigalie.
Le général Sasa Nzita a toutefois appelé les citoyens à s’impliquer activement dans cette campagne pour en assurer le succès, en sensibilisant d’éventuels combattants résiduels, s’ils existaient encore dans des recoins isolés de ce territoire. À l’issue de cette mission, l’officier est rentré bredouille : aucun combattant ne s’est rendu volontairement. Cette absence criante illustre la réalité d’un groupe qui, après trente ans de traque, s’est réduit à une présence sporadique, loin de l’image d’une armée d’invasion brandie par Kigali pour légitimer ses incursions répétées.
Bastions occupés par les RDF et l’AFC/M23 : l’impossible neutralisation
Les combattants résiduels de cette force négative étaient historiquement concentrés dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi, au Nord-Kivu. Pourtant, ces trois entités sont en grande partie occupées, depuis janvier 2022, par les Forces armées rwandaises (RDF) et les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), un groupe armé que les rapports des experts des Nations unies qualifient sans ambiguïté de soutenu par Kigali. En occupant ces territoires avec des moyens militaires largement supérieurs (blindés, artillerie, drones et contingents bien entraînés), le Rwanda et ses supplétifs auraient dû, en toute logique, neutraliser ces éléments FDLR s’ils représentaient une menace réelle et imminente. Cela n’a pas été fait officiellement, et pour cause : les FDLR, dans leur configuration actuelle, ne constituent plus aucun danger militaire pour le Rwanda. Au contraire, ils coexistent ou s’affrontent sporadiquement avec l’AFC/M23 dans des poches isolées, comme à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où des accrochages récents ont été signalés.
Pour jouer pleinement sa partition, le gouvernement congolais, à travers l’armée, promet d’étendre la campagne de sensibilisation à d’autres territoires du Nord-Kivu, notamment Masisi et Rutshuru. L’objectif est clair : inciter la population à se désolidariser des groupes armés étrangers et encourager les combattants rwandais à se rendre volontairement auprès des FARDC ou de la MONUSCO. Mais dans un contexte où les RDF patrouillent ouvertement, cette extension risque de se heurter à la même opacité : comment sensibiliser des fantômes quand les vrais occupants du terrain sont les alliés de Kigali ?
Les FDLR exigent un dialogue inter-rwandais avant tout désarmement
Au cours d’une interview accordée à RFI le 8 novembre 2025, le lieutenant-colonel Octavien Mutimura, porte-parole des FDLR-FOCA (la branche armée du mouvement), a refusé catégoriquement tout désarmement unilatéral. Pour lui, il faut d’abord un dialogue inter-rwandais pour juger les causes profondes de leurs revendications. « On doit juger la cause de notre lutte armée. Nous sommes là pour nous protéger et protéger les réfugiés rwandais abandonnés. Remettre les armes sans que toutes les conditions soient réunies, c’est une utopie », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Nous sommes parmi les cibles de Kigali. Nous résisterons jusqu’à ce que Kigali admette un dialogue inter-rwandais et un retour des réfugiés en toute dignité. » Interrogé sur le nombre de combattants encore actifs en RDC, ce porte-parole est resté évasif, évoquant simplement qu’ils sont la cible des attaques de l’AFC/M23, une rébellion étroitement liée à Kigali. « Nous sommes dans les zones où se mènent les combats.
L’AFC/M23 nous attaque et menace nos réfugiés. Nous sommes dans l’obligation de les protéger », a-t-il ajouté. Selon lui, les FDLR se trouvent actuellement dans des zones contrôlées par l’AFC/M23, notamment à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où elles affrontent régulièrement leurs adversaires. Pendant ce temps, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) poursuit le rapatriement de réfugiés rwandais vers le Rwanda, une procédure qui n’enchante guère les FDLR. « Les réfugiés, ce sont nos parents, nos enfants. On ne peut pas séparer une famille rwandaise comme ça. Certains des gens envoyés au Rwanda avec l’aide du HCR sont des Congolais. Et d’autres sont capturés, puis renvoyés de force. Nous accusons le HCR de jouer le jeu du Rwanda », a tonné Octavien Mutimura. Ces accusations soulignent une fracture profonde : les FDLR ne se voient plus comme une force offensive, mais comme un bouclier pour une communauté exilée, majoritairement composée de descendants de réfugiés hutus arrivés en RDC (alors Zaïre) après la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994. Parmi ces exilés se trouvaient à la fois des responsables du génocide, des militaires des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, mais aussi des centaines de milliers de civils fuyant la répression. C’est dans les camps du Kivu que ces groupes se sont organisés, donnant naissance à l’Armée de libération du Rwanda (ALiR) en 1998, puis aux FDLR en 2000. Aujourd’hui, après trois décennies, le mouvement est bien loin de ses origines : ses rares tentatives d’attaque contre le Rwanda ont été insignifiantes et rapidement neutralisées, et ses activités se limitent à une survie précaire en RDC, marquée par des exactions contre les civils congolais : pillages, viols, enrôlement d’enfants soldats et exploitation illégale des ressources minières.
Trente ans d’opérations militaires : un bilan d’échecs répétés
En cas de refus de reddition, une neutralisation par la force ? Selon l’agenda décidé à Washington entre Kinshasa et Kigali, après la phase de sensibilisation à la reddition volontaire, il faudrait passer à des opérations militaires pour neutraliser ceux qui ne se rendront pas. Reste à savoir si ces opérations seront menées conjointement entre les FARDC et les RDF dans le cadre du concept d’opérations (CONOPS) défini à Washington. L’expérience des trois dernières décennies démontre que tant que les causes profondes ne sont pas traitées du côté du Rwanda notamment l’absence de dialogue politique inclusif et l’instrumentalisation persistante de la « menace FDLR », ces groupes parviennent toujours à se refaire comme une hydre.
Depuis deux décennies, plusieurs initiatives ont tenté de régler cette question sans succès majeur. En 2001, un premier processus avait conduit au désarmement et au cantonnement des combattants à Kamina, dans le Katanga, ainsi qu’à la destruction publique d’armes à Kinshasa, en présence de la communauté internationale, sous l’égide de la MONUSCO et de ses prédécesseurs. En 2014, plus de 1 500 combattants avaient remis leurs armes à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et à la MONUSCO, avant d’être cantonnés, avec leurs familles, dans les camps de Kisangani, Kanyabayonga et Walungu, toujours sous supervision internationale. De 2009 à 2015, plusieurs autres opérations militaires conjointes entre les FARDC, les RDF et la MONUSCO ont été lancées dans l’Est de la RDC, conjointement ou impliquant seulement les FARDC. Parmi elles : Umoja Wetu en 2009, une offensive transfrontalière qui a visé les FDLR dans le Nord-Kivu mais78 a provoqué des déplacements massifs de population ; Kimia I et II en 2009-2010, qui ont ciblé les bastions des FDLR au Sud-Kivu, avec un bilan lourd en victimes civiles ; Amani Leo en 2010, une opération plus focalisée sur la protection des civils mais qui n’a pas éradiqué le groupe ; Amani Kamilifu en 2012, une extension de la précédente avec un accent sur le DDR ; et enfin Sokola II en 2014-2015, qui a tenté une approche mixte mais s’est heurtée à la résilience des FDLR.
Ces offensives ont provoqué des centaines de milliers de déplacés internes, plus de 1,2 million rien qu’entre 2009 et 2012, selon les estimations de l’OCHA et de nombreuses pertes civiles, estimées à des milliers, sans jamais régler définitivement la question. Pourquoi cet échec récurrent ? Parce que ces opérations n’ont jamais abordé les racines du problème : l’exil forcé post-1994, le refus de Kigali d’intégrer les Hutus dans un dialogue national, et surtout l’utilisation des FDLR comme prétexte pour des interventions qui masquent des intérêts bien plus tangibles. Comme quoi la solution pourrait passer aussi par des discussions avec Kigali autant qu’on impose des discussions entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais. « Il faut qu’ils mettent la pression sur Paul Kagame pour avoir un dialogue inclusif entre Rwandais. La solution en Afrique centrale, c’est que les présidents s’assoient et se parlent en toute franchise, pour que les peuples de la région vivent en paix et en symbiose », estime le porte-parole des FDLR. Visiblement, sans engagement sincère et suivi des promesses de réinsertion, incluant des garanties de sécurité pour les ex-combattants et un retour volontaire des réfugiés, la campagne de reddition des FDLR risque de rester une opération symbolique face à une crise qui, depuis 30 ans, ensanglante l’Est du Congo.
Une menace fantôme au service du pillage des ressources
Cette crise trouve ses origines dans l’exode massif de près d’un million de Hutus vers le Zaïre après la victoire du FPR en juillet 1994. Les camps de réfugiés au Kivu, comme ceux de Mugungu ou Kibua, sont devenus des foyers de réorganisation pour les ex-FAR et les Interahamwe, qui y recrutaient et s’entraînaient pour un retour armé au Rwanda. La première guerre du Congo (1996-1997), menée par le Rwanda et l’Ouganda, a dispersé ces camps, mais les survivants se sont repliés dans les forêts du Kivu, formant l’ALiR puis les FDLR.
Kigali a depuis systématiquement présenté ces groupes comme une menace génocidaire persistante, justifiant ses alliances avec des rebelles du RCD (1998-2003) au CNDP (2006-2009), en passant par le M23 (2012-2013 et depuis 2022) qui ont contrôlé les mêmes zones sans jamais lancer d’opérations décisives contre les FDLR. Le RCD, par exemple, a dominé les provinces du Nord et du Sud-Kivu pendant près de cinq ans avec des contingents RDF intégrés, disposant de moyens militaires écrasants. Pourtant, aucune offensive d’envergure n’a été menée contre les FDLR, suggérant que leur survie servait d’alibi idéal pour prolonger l’occupation rwandaise. Une contradiction flagrante émerge aussi de l’intégration d’anciens membres des FDLR au sein des institutions rwandaises : Paul Rwarakabije, ancien commandant en chef des FDLR, a été promu général dans l’armée rwandaise après sa reddition en 2012, et d’autres officiers ont suivi un parcours similaire. Comment un groupe peut-il être à la fois une « menace existentielle » et source de recrutement pour l’armée adverse ? Cette instrumentalisation est patente : après trente ans, il est hautement improbable que les ex-FAR impliqués dans le génocide de 1994 soient encore actifs. La majorité ont été tués, capturés, jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou ont simplement vieilli. Les FDLR actuelles sont composées en grande partie de jeunes recrues nées en RDC, sans lien direct avec 1994, perpétuant un mythe de « génocidaires toujours actifs » pour justifier l’impunité rwandaise.
Derrière cette rhétorique sécuritaire se cachent des objectifs géopolitiques et économiques bien plus pragmatiques. Le Rwanda, un petit pays enclavé et pauvre en ressources naturelles, est devenu ces dernières années un exportateur majeur de minerais stratégiques comme le coltan, l’or et la cassitérite. Selon les rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (notamment ceux de 2023 et 2024), une grande partie de ces exportations estimée à plus de 1 milliard de dollars par an, provient de l’Est congolais, extraite dans des zones contrôlées par des groupes armés soutenus par Kigali, dont les profits alimentent directement l’économie rwandaise.
Des circuits de contrebande sophistiqués transitent par le lac Kivu ou les postes frontaliers, finançant à la fois les RDF et leurs proxies. Stéphanie Wolters, chercheuse principale à l’Institute for Security Studies (ISS) et spécialiste des dynamiques régionales en Afrique centrale, le souligne avec clarté : « Le Rwanda a des ambitions territoriales claires dans l’Est de la RDC, où il exerce un contrôle de facto sur des zones riches en minerais, au détriment de la souveraineté congolaise. » Cette réalité, longtemps ignorée par la communauté internationale séduite par le « miracle économique » rwandais, explique pourquoi les FDLR, malgré leur faiblesse militaire, sont maintenues en vie comme un épouvantail commode. Sans elles, quel prétexte pour les incursions répétées et le soutien aux rebelles ? L’accord de Washington, s’il est appliqué avec sincérité, pourrait forcer Kigali à abandonner ce narratif, mais l’histoire montre que les engagements passés comme ceux de l’Accord-cadre de paix, sécurité et coopération pour la RDC et la région de 2013 ont été bafoués sans conséquences.
Trente ans après le début de cette tragédie, qui a coûté la vie à plus de 7 millions de Congolais, un bilan qui dépasse de loin les 800 000 victimes du génocide rwandais et représente près de quatre fois la population de Paris, plus de six fois celle de Bruxelles et plus de deux fois celle de Berlin, le drame humanitaire de l’Est congolais reste le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Des millions de déplacés, des famines récurrentes, des épidémies de choléra et d’Ebola exacerbées par l’insécurité, et un pillage systématique des ressources qui prive la RDC de ses richesses légitimes. Combien de victimes faudra-t-il encore pour que la communauté internationale cesse de cautionner cette rhétorique fallacieuse ? Combien de souffrances pour que l’on reconnaisse l’instrumentalisation meurtrière des FDLR et impose un règlement politique inclusif, incluant un dialogue inter-rwandais véritable et la fin de l’exploitation illicite ?
La RDC mérite enfin de se reconstruire dans la paix et la stabilité, sans que des puissances étrangères, à travers des manœuvres cyniques, n’exploitent ses ressources et ne maintiennent son peuple dans une éternelle souffrance. La mémoire des millions de victimes congolaises doit être un appel impérieux à la démystification urgente de cette menace fantôme et à la fin de cette tragédie.
Heshima
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