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Députés provinciaux en RDC : entre impuissance et conflits institutionnels

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Ils sont élus pour représenter leurs provinces, mais en République démocratique du Congo (RDC), les députés provinciaux se retrouvent souvent relégués à un rôle marginal, pris en étau entre les contraintes imposées par Kinshasa, les conflits avec les gouverneurs provinciaux et leurs propres pratiques parfois controversées. La décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2006, promettait une autonomie accrue pour les provinces, mais les réalités institutionnelles, financières et politiques entravent leur capacité à agir. Selon un rapport du Congo Research Group publié en 2024, près de 70 % des édits votés par les assemblées provinciales sont bloqués ou annulés par le gouvernement central. Pendant ce temps, les citoyens, comme Roger Nzuzi, agriculteur du Kwilu, s’interrogent : « À quoi servent nos élus s’ils ne peuvent même pas décider du budget d’un hôpital ? » Heshima Magazine explore les limites institutionnelles, les blocages politiques, les comportements problématiques des acteurs provinciaux et les conséquences pour les populations locales, révélant une démocratie congolaise encore en quête d’équilibre.

La Constitution de 2006 établit un cadre ambitieux pour la décentralisation, conférant aux provinces des compétences exclusives dans des domaines comme l’éducation, les taxes locales, les infrastructures et la gestion des ressources naturelles. L’article 204 énumère ces compétences, tandis que l’article 197 définit les assemblées provinciales comme des organes délibératifs élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, chargés de légiférer par des édits. Cependant, cette autonomie est limitée par l’article 205, qui stipule que dans les domaines de compétence partagée, les lois nationales priment sur les édits provinciaux en cas d’incompatibilité. « Le système actuel réduit les assemblées provinciales à des chambres d’enregistrement », explique Miché Kanimbu, politologue à l’Université de Lubumbashi. Cette prééminence du pouvoir central freine les initiatives locales, rendant les députés provinciaux dépendants des décisions de Kinshasa.

Un exemple frappant est la difficulté des assemblées à faire appliquer leurs édits. Selon un rapport de l’Institut d’Études de Sécurité, entre 2007 et 2013, seulement 6 à 7 % des revenus nationaux ont été transférés aux provinces, loin des 40 % prescrits par la Constitution. Cette rétention financière limite la capacité des assemblées à financer des projets, les obligeant à quémander l’approbation du gouvernement central. « Nos propositions sont systématiquement bloquées par l’administration centrale », confie un ancien député provincial dans un article de Jeune Afrique publié le 15 mars 2024.

L’Étau financier de Kinshasa

Le manque de ressources financières est un obstacle majeur. L’article 175 de la Constitution stipule que 40 % des recettes nationales doivent être retenues à la source par les provinces, mais cette disposition est rarement respectée. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2023 indique que seulement 12 % des budgets provinciaux sont exécutés sans l’aval de Kinshasa. Cette centralisation financière paralyse les provinces, qui peinent à payer les salaires des fonctionnaires ou à financer des projets d’infrastructures. Par exemple, dans le Nord-Kivu, un article de Global Press Journal rapporte qu’en 2016, 6 millions de dollars alloués à la construction de routes n’ont jamais été décaissés en raison de « problèmes financiers » au niveau provincial.

Les retards dans le paiement des émoluments des députés provinciaux aggravent leur marginalisation. En septembre 2023, des députés provinciaux ont organisé un sit-in devant la primature à Kinshasa pour protester contre quatre mois d’arriérés de salaire. « Nous passons des mois sans salaire, ce qui nous empêche de travailler efficacement », témoigne un député provincial du Haut-Katanga. Ces retards, souvent dus à des lenteurs bureaucratiques ou à des détournements présumés, sapent la légitimité des élus aux yeux des citoyens. Un rapport de la Cour des Comptes de 2021 souligne des dépassements budgétaires massifs au niveau national, suggérant des problèmes similaires dans les provinces, où les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés au profit des dépenses courantes comme les salaires.

Conflits entre gouverneurs et Assemblées provinciales

Les relations entre les gouverneurs et les Assemblées provinciales sont marquées par des tensions fréquentes, souvent exacerbées par des motions de censure ou de défiance. Selon un rapport du Sénat adopté en juin 2021, 15 gouverneurs ont été destitués par les assemblées provinciales en une seule année, illustrant une instabilité chronique. Les assemblées justifient ces destitutions par des accusations de mauvaise gestion ou de corruption. Par exemple, en 2017, l’Assemblée provinciale du Haut-Katanga a destitué le gouverneur Jean-Claude Kazembe pour des « irrégularités dans la gestion des fonds publics et des marchés publics ». De même, en 2021, Zoé Kabila, gouverneur du Tanganyika, a été destitué pour « mauvaise gestion » et « manque de respect » envers l’assemblée provinciale.

Cependant, ces destitutions sont souvent controversées. Certains observateurs, comme ceux cités dans un article du site belge La Libre, suggèrent que les motions de censure sont parfois utilisées comme des outils de chantage ou de règlement de comptes politiques. « Les députés provinciaux, toujours en quête d’argent et dépendants financièrement du gouverneur, peuvent être tentés de monnayer leurs votes », explique Élodie Ndiya, experte en gouvernance à l’Université de Kinshasa. Un article de Forum des As va plus loin, décrivant les assemblées comme des « espaces de guerre » où les députés passent leur temps à initier des motions de défiance pour des raisons opportunistes, parfois après avoir été « achetés » par des acteurs extérieurs.

Les gouverneurs, de leur côté, se plaignent de cette instabilité. Lors de la huitième conférence des gouverneurs en décembre 2021, ils ont recommandé un moratoire de deux ans sur les motions de censure pour garantir la stabilité de la gouvernance provinciale. Cette proposition reflète leur frustration face à la menace constante de destitution, qui entrave leur capacité à mettre en œuvre des politiques à long terme. « Les assemblées provinciales devraient contrôler les gouverneurs, pas les déstabiliser pour des gains personnels », déclare un gouverneur sous couvert d’anonymat.

Interventions du gouvernement central

Face à ces conflits, le ministre de l’Intérieur intervient parfois pour suspendre les activités des assemblées provinciales, une mesure qui soulève des questions sur l’autonomie provinciale. En octobre 2023, l’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, a suspendu toutes les activités de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, y compris les tentatives de convocation de plénières, en raison de tensions internes entre le Bureau et les députés. De même, en 2012, Adolphe Lumanu, alors ministre de l’Intérieur, a suspendu les plénières de l’assemblée du Nord-Kivu après que certains députés ont quitté leurs partis politiques, une décision qualifiée d’« assassinat de la démocratie » par le rapporteur de l’assemblée de l’époque. Ces interventions, bien que parfois justifiées par la nécessité de rétablir l’ordre, sont critiquées pour leur impact sur la décentralisation. « Le gouvernement central utilise ces suspensions pour maintenir son contrôle sur les provinces », analyse Dr. Kabeya.

Dans les provinces de Nord-Kivu et Ituri, l’état de siège décrété en mai 2021 a suspendu les assemblées provinciales, transférant leurs prérogatives à des autorités militaires. Prolongé à plusieurs reprises, cet état d’exception illustre comment le gouvernement central peut neutraliser les institutions provinciales sous prétexte de sécurité. « Nous sommes élus, mais sans pouvoir réel sous l’état de siège », déplore Aline Furaha, étudiante en Droit.

Une faible participation électorale

La frustration des citoyens se reflète dans les taux de participation aux élections provinciales. Selon l’International Foundation for Electoral Systems, les élections provinciales de 2023 ont vu une participation d’environ 40 millions d’électeurs inscrits, mais les irrégularités et la désillusion ont conduit à une abstention significative, notamment dans les provinces en conflit comme le Nord-Kivu. « Nous votons pour des députés qui ne peuvent impulser la construction même d’une école. À quoi bon ? » s’interroge Julienne Mbuyi, commerçante à Mbuji-Mayi. Cette désaffection menace la légitimité des institutions provinciales et renforce la centralisation du pouvoir.

Des lois provinciales sous contrôle central

Les assemblées provinciales ont le pouvoir de légiférer par des édits dans leurs domaines de compétence, mais ces initiatives sont souvent bloquées ou annulées par le gouvernement central. Le Congo Research Group estime que 70 % des édits provinciaux sont contestés ou invalidés par Kinshasa, souvent pour des raisons de conformité avec les lois nationales. Par exemple, dans le Haut-Katanga, un édit visant à réguler les taxes minières a été suspendu par le ministère des Mines en 2022, arguant d’une incompatibilité avec la législation nationale. Cette situation limite la capacité des provinces à répondre aux besoins locaux et renforce leur dépendance envers Kinshasa.

Conséquences pour les populations locales

L’impuissance des députés provinciaux et les conflits avec les gouverneurs ont un impact direct sur les citoyens. Dans le Kasaï, par exemple, les écoles et les hôpitaux manquent de financement, car les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés. Un rapport du Fnds monétaire international (FMI) de 2024 note que seulement 13 % des investissements prévus dans l’éducation ont été réalisés en 2022, contre 111 % des dépenses courantes, principalement des salaires. Cette priorisation des dépenses courantes au détriment des investissements limite le développement local et alimente la méfiance des citoyens envers leurs élus.

Dans le Nord-Kivu, la suspension de l’assemblée provinciale sous l’état de siège a exacerbé l’insécurité, les habitants se sentant abandonnés face aux groupes armés. « Nos élus sont invisibles, et Kinshasa décide de tout », témoigne Pierre Kahindo, habitant de Masisi. Cette situation renforce les tensions sociales et le sentiment d’exclusion dans les provinces éloignées de la capitale.

Un avenir incertain pour la décentralisation

L’impuissance des députés provinciaux, les conflits avec les gouverneurs et les interventions du gouvernement central soulèvent une question cruciale : la décentralisation en RDC peut-elle devenir une réalité ? Les obstacles institutionnels, financiers et politiques suggèrent que sans réformes majeures, les assemblées provinciales resteront des institutions marginalisées. La proposition de révision constitutionnelle annoncée par le président Tshisekedi en octobre 2024 pourrait offrir une opportunité de renforcer l’autonomie provinciale, mais elle suscite aussi des craintes de recentralisation. « Si la révision renforce Kinshasa au détriment des provinces, la décentralisation ne sera qu’un slogan », prévient Dr. Ndaya, médecin à Kinshasa.

Pour les citoyens congolais, l’enjeu est clair : sans une décentralisation effective, les provinces resteront sous la tutelle de Kinshasa, les gouverneurs seront fragilisés par des destitutions fréquentes, et les députés provinciaux, tiraillés entre impuissance et pratiques controversées, peineront à représenter leurs électeurs. La question demeure : la RDC parviendra-t-elle à libérer ses provinces des chaînes d’un système dysfonctionnel, ou la décentralisation restera-t-elle une promesse non tenue pour des millions de Congolais ?

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DGI : focus sur la réforme de la fiscalité directe lancée en RDC   

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Depuis le 11 septembre 2025, le gouvernement congolais mène une vaste campagne nationale de sensibilisation et de vulgarisation autour de la réforme de la fiscalité directe. Adoptée par la loi n°25/035 du 30 novembre 2023, cette réforme entrera en application le 1er janvier 2026.Conçue dans une logique de modernisation et de transparence, elle s’inscrit dans la même dynamique que la mise en œuvre de la facture normalisée, qui vise à renforcer l’efficacité du recouvrement de la TVA. Ces deux chantiers stratégiques sont placés sous la conduite de la Direction générale des impôts (DGI). Mais en quoi cette réforme de la fiscalité directe diffère-t-elle réellement de l’ancien système ?

   Le système fiscal congolais, longtemps critiqué pour sa complexité et sa fragmentation, s’apprête à connaître une transformation majeure dans deux mois. La République démocratique du Congo mettra en œuvre la réforme issue des lois n° 23/052 et n° 23/053 du 30 novembre 2023, qui réorganisent en profondeur la fiscalité directe.

Au cœur de cette réforme figure un changement de paradigme : le pays abandonne le système d’imposition cédulaire, où chaque catégorie de revenu était taxée séparément selon des règles propres, pour adopter un système global d’imposition. Désormais, l’ensemble des revenus d’un contribuable sera agrégé afin de constituer une base unique soumise à l’impôt, marquant ainsi une étape décisive vers une fiscalité plus cohérente et équitable.

Deux impôts introduits par la réforme 

Dans cette nouvelle architecture fiscale, la réforme instaure deux impôts majeurs : l’Impôt sur les sociétés (IS) et l’Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Ces deux prélèvements se substituent à plusieurs taxes existantes, notamment l’impôt sur les revenus locatifs, celui sur les capitaux mobiliers ainsi que l’impôt sur les revenus professionnels couvrant les rémunérations, profits et bénéfices. Selon la DGI, il s’agit d’« une fiscalité plus juste et mieux adaptée à la réalité économique congolaise ».

L’IS portera sur l’ensemble des bénéfices réalisés par les entreprises et autres personnes morales, tandis que l’IRPP concernera le revenu net global de chaque contribuable. Ce dernier correspond à la somme des revenus nets catégoriels perçus par une personne physique au cours d’une année d’imposition.

L’IS vise quelle catégorie d’entreprises ?

D’après la DGI, cette nouvelle fiscalité s’applique aux sociétés anonymes (SA), aux sociétés à responsabilité limitée (SARL) et aux sociétés par actions simplifiées (SAS), en raison de leur forme juridique. Sur le plan de l’activité, elle concerne également les sociétés coopératives, les personnes morales de droit public exerçant une activité lucrative, les sociétés de fait ou créées de fait, les associations momentanées, ainsi que les sociétés civiles menant une activité économique.

Le taux d’imposition est fixé à 30 % des bénéfices nets imposables, avec un minimum de perception de 1 % du chiffre d’affaires déclaré en cas de déficit ou de bénéfices insuffisants. La réforme introduit aussi un encadrement plus rigoureux des charges déductibles, notamment en subordonnant la déductibilité des rémunérations du personnel à leur imposition effective à l’IRPP.

En matière de plus-values, le taux est désormais fixé à 20 % en cas de réévaluation libre et à 5 % en cas de réévaluation légale. Quant au report des pertes, il est désormais limité à trois exercices consécutifs, conformément aux nouvelles dispositions légales.

Pour les entreprises minières soumises au Code minier, la réforme offre deux possibilités : soit appliquer les dispositions du Code minier avec un report des pertes limité à cinq ans, soit opter pour le régime de droit commun instauré par la nouvelle législation fiscale.

La DGI invite désormais les contribuables et opérateurs économiques à s’approprier cette réforme et à participer activement aux sessions de vulgarisation organisées sur l’ensemble du territoire national. Les prochains mois seront déterminants pour la réussite de cette transition, que les autorités considèrent comme un levier essentiel de mobilisation des ressources internes et de renforcement de la gouvernance financière.

En marge de la 10ème édition du Forum ExpoBéton tenue à Kinshasa, le directeur général des impôts, Barnabé Muakadi, a insisté sur la nécessité de mettre en place des régimes fiscaux incitatifs et ciblés afin de stimuler les grands projets structurants, tout en préservant la capacité de l’État à mobiliser des recettes. Il a également profité de cette tribune, en présence de nombreux chefs d’entreprise, pour sensibiliser sur les deux grandes réformes fiscales actuellement mises en œuvre par la DGI : la facture normalisée et la réforme de la fiscalité directe (IS-IRPP), toutes deux destinées à renforcer l’efficacité et l’équité du système fiscal congolais.

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RDC : Inga III, le barrage du siècle ou le mirage énergétique ?

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 Annoncé depuis plus de deux décennies comme le projet qui transformera la République démocratique du Congo (RDC) en « géant énergétique de l’Afrique », le barrage Inga III peine à voir le jour. Entre ambitions colossales, retards chroniques, luttes d’intérêts et doutes environnementaux, l’un des plus grands projets hydroélectriques du monde oscille entre rêve de puissance et mirage industriel. Entre-temps, l’Ethiopie concrétise un projet similaire avec le barrage de la Renaissance. 

Sur les rives puissantes du fleuve Congo, à 225 kilomètres de Kinshasa, les eaux grondent au pied des chutes d’Inga. C’est ici que devait s’élever Inga III, le plus ambitieux projet hydroélectrique jamais conçu en Afrique. Mais plus de vingt ans après son lancement officiel, le chantier reste une promesse inachevée, symbole des contradictions d’un pays riche en ressources mais pauvre en infrastructures. « Inga III devait changer le destin du Congo », soupire Jean-Pierre Mbayo, ingénieur à la retraite de la Société nationale d’électricité (SNEL). « Aujourd’hui, on parle encore d’études, de financements, de consortiums… mais pas de béton coulé », a-t-il ajouté d’un air dépité.   

Un rêve ancien, des promesses répétées

Le complexe hydroélectrique d’Inga ne date pas d’hier. Les deux premiers barrages, Inga I (1972) et Inga II (1982), devaient déjà propulser la RDC dans l’ère de l’électrification continentale. Mais les années de crise politique, de mauvaise gestion et de guerres successives ont freiné toute expansion. L’idée d’Inga III refait surface dans les années 2000, sous Joseph Kabila, avec un objectif colossal : produire 11 000 mégawatts d’électricité, soit de quoi alimenter non seulement la RDC, mais aussi une partie de l’Afrique australe. Le projet est alors rebaptisé « Grand Inga », censé à terme atteindre 40 000 MW, devenant ainsi le plus grand barrage du monde.

« Sur le papier, c’est un Eldorado énergétique », commente Agnès Mboyo, chercheuse à l’Université de Kinshasa. « Mais dans la réalité, la gouvernance, les financements et la planification environnementale n’ont jamais été à la hauteur des ambitions. »

Le projet rencontre également deux types d’opposition : sur le plan environnemental et deuxièmement son intérêt semble limité aux seuls miniers. D’après le reporter d’Africanews télévision, Chris Ocamringa, ce vaste projet hydroélectrique a été critiqué par certains militants de la société civile qui pensent que ce projet répondra plus aux besoins des investisseurs miniers que des Congolais de manière générale. Des populations riveraines craignent également des expropriations mais aussi pour leurs activités champêtres.   

Ben Munanga, président du conseil d’administration du géant minier KAMOA Copper S.A, rejette les accusations selon lesquelles la production de l’électricité du projet Inga 3 ira à 100 % aux miniers. « Il est dit nulle part dans le projet que toute la production ira à l’opérateur minier », a-t-il réfuté.      

Des partenaires nombreux, mais aucune mise en œuvre concrète

Au fil des ans, Inga III a vu défiler les partenaires : Chine, Espagne, Afrique du Sud, Banque mondiale, Union africaine. Chaque accord semblait marquer un tournant, avant de retomber dans le flou. La Banque mondiale s’est même retirée du projet en 2016, évoquant « un manque de transparence dans la conduite du dossier ». Sous Félix Tshisekedi, les discussions ont repris avec un consortium sino-espagnol, mais les négociations patinent.

Le gouvernement affirme vouloir reconfigurer le projet pour répondre d’abord aux besoins nationaux – un changement stratégique face à l’opinion publique, lassée de voir le courant partir à l’étranger alors que moins de 20 % des Congolais ont accès à l’électricité. « Il est impensable que le Congo exporte l’électricité alors que nos villages vivent encore dans le noir », avait déclaré un coordonnateur d’une ONG de défense de l’environnement. « Inga doit d’abord servir le peuple congolais. »

Un projet pharaonique… et controversé

Derrière les promesses, les critiques se multiplient. Les organisations écologistes redoutent un désastre environnemental sur le fleuve Congo, le deuxième plus puissant du monde après l’Amazone. Les ONG locales, quant à elles, dénoncent un manque de consultation des communautés affectées par les expropriations prévues. « Le discours sur le développement masque souvent la réalité : des familles déplacées, des écosystèmes détruits et des contrats opaques », dénonce Marie-Louise Kebi, militante d’un collectif pour la préservation des eaux du fleuve Congo. « Inga III risque de reproduire les erreurs des grands barrages du passé », estime-t-elle.

Sur le plan financier, les chiffres donnent le vertige : le coût initial, estimé à 12 milliards puis à 14 milliards selon les dernières projections. Dans un contexte de dette publique croissante et de corruption endémique, beaucoup doutent de la viabilité économique du projet.

Le symbole d’un pays à la croisée des chemins

Pour ses défenseurs, Inga III reste une chance historique. « Le Congo ne peut pas renoncer à son rôle de puissance énergétique », plaide Germain Kabeya, économiste. « Si nous réussissons Inga, nous devenons le cœur électrique de l’Afrique. » Mais pour d’autres, ce rêve industriel ne doit pas faire oublier les priorités immédiates : électrification rurale, maintenance des réseaux existants, et lutte contre les pertes massives d’énergie (près de 40 % selon la SNEL).

« L’énergie ne se mesure pas en mégawatts produits, mais en foyers éclairés », rappelle Élodie Manda, une ingénieure électromécanicienne. « Tant que Kinshasa restera éclairée et Kikwit dans le noir, Inga restera un mirage », a-t-elle ajouté. Devant cette réalité amère, l’administration Tshisekedi a changé le fusil d’épaule. En attendant Inga III, le gouvernement a créé ANSER : une Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain. Elle vise à atteindre 30 % d’électrification des milieux ruraux et périurbains en 2025 et 50 % d’ici à 2030. Grâce à l’énergie solaire, cette structure a déjà apporté de l’électricité à Lodja, au Sankuru. Réputé un des trous noirs du pays, ce chef-lieu de la province a été éclairé avec notamment une partie de Lumumbaville, une nouvelle ville créée en hommage à Patrice Emery Lumumba, à Onalua.           

Inga III : le barrage du siècle… ou du siècle prochain ?

En 2025, Inga III n’est encore qu’un projet en attente de financement définitif, malgré des décennies d’études et de promesses politiques. Entre tensions géopolitiques, retards administratifs et défi de gouvernance, le barrage du siècle reste suspendu entre deux réalités : celle du rêve national et celle du doute collectif. « Le fleuve, lui, continue de couler », sourit amèrement un ingénieur qui renvoie ce projet aux calendes grecques suite aux nombreux défis qui se dressent au pays.

Pourtant, dans la Corne de l’Afrique, un pays a décidé et s’est donné les moyens d’y parvenir sans trop attendre l’aide extérieure : l’Ethiopie. Démarrés en 2010, les travaux ont duré 14 ans. Le Grand barrage de la Renaissance est aujourd’hui un projet hydroélectrique majeur construit par l’Éthiopie sur le Nil Bleu. Ce barrage est devenu une source de tensions géopolitiques avec les pays en aval du Nil, notamment l’Égypte et le Soudan. Le barrage est officiellement inauguré en septembre 2025, mais des turbines sont opérationnelles depuis 2022, produisant de l’électricité pour l’Éthiopie et ayant pour objectif l’exportation d’énergie dans la région. L’Égypte et le Soudan craignent que le barrage ne réduise leur approvisionnement en eau et cherchent à trouver un accord avec l’Éthiopie.     

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RDC : face aux embouteillages, comment bâtir une industrie du rail ? 

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Les villes de la République démocratique du Congo sont confrontées à une croissance démographique rapide, entraînant une urbanisation accélérée avec des défis majeurs comme l’insuffisance des infrastructures routières et des services de base. Des villes comme Kinshasa et Matadi font face à des embouteillages monstres, détériorant ainsi la qualité de vie dans ces métropoles. Le gouvernement a relancé, bon gré mal gré, le train urbain. Mais la qualité des rails laisse à désirer, obligeant l’exécutif national à penser à l’implantation d’une usine d’assemblage et de montage de trains au pays. 

L’Office national des transports (ONATRA) a réfectionné certains rails pour permettre la reprise du train urbain entre Kinshasa et Matadi. Dans des quartiers comme Mapela, dans la commune de Masina, cette réfection suscite des réactions contrastées. Si certains saluent la reprise du train, d’autres se montrent inquiets par rapport à la mauvaise qualité du travail réalisé lors de la réfection de ces rails. « La réhabilitation du rail est faite de manière précaire et cela peut causer un déraillement du train. Ils ont posé le rail sur des sacs de sable. Avec le soleil et le retour de la pluie, ces sacs peuvent s’user facilement et provoquer des dégâts au passage du train », explique Jérôme Mabeka, habitant non loin de ce chemin de fer. 

Implanter une usine de montage de trains 

Vieux de plus d’un siècle, le réseau ferroviaire de la RDC nécessite non seulement une réfection approfondie mais également la construction de nouveaux rails. Pour faire face à ces défis du rail et des locomotives, le pays a lancé le 25 octobre 2025 un appel à manifestation d’intérêt international pour la construction d’une usine d’assemblage et de montage de trains. Le document, signé par le ministre des Transports, Voies de communication et Désenclavement, Jean-Pierre Bemba, recherche des partenaires pour la création d’unités d’assemblage capables de produire plusieurs dizaines de locomotives et wagons par an, tout en assurant un transfert de compétences vers les ingénieurs et techniciens locaux. Le projet sera mis en œuvre sous la forme d’un partenariat public-privé (PPP) d’une durée comprise entre 25 et 30 ans. Il prévoit également la création d’un écosystème de maintenance, la production de pièces détachées et la formation professionnelle. 

Ce projet s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de relance et de modernisation du secteur ferroviaire, en cohérence avec la politique d’industrialisation et d’intégration régionale promue par le gouvernement. Le projet vise aussi à moderniser la voie ferrée congolaise, vieille d’un siècle. Selon le communiqué, la RDC dispose de plus de 5 000 km de voies ferrées, mais son potentiel ferroviaire est sous-exploité en raison du vieillissement du matériel roulant et de l’absence d’industries locales de production ou de réhabilitation. Ce qui a poussé le gouvernement à lancer cet appel à manifestation d’intérêt international afin de trouver des partenaires en mesure d’assurer un réseau ferroviaire local. 

Les entités intéressées, telles que des constructeurs ferroviaires, sociétés d’ingénierie, entreprises BTP, investisseurs institutionnels et centres de formation, ont jusqu’au 5 décembre 2025 à 15h00 (heure de Kinshasa) pour soumettre leurs dossiers. Des visites de sites sont prévues à Matadi et Kalemie avant le 25 novembre 2025. Ces deux villes ont été choisies par le gouvernement pour abriter ces usines. 

Une fois mis en œuvre, cette usine pourrait renforcer la souveraineté industrielle du pays et réduire la dépendance aux importations de locomotives et wagons, relancer la production locale du matériel roulant adapté aux besoins nationaux et régionaux et créer des emplois qualifiés. Il s’agit également de favoriser le transfert de technologies et de développer un centre de formation ferroviaire national, de soutenir la relance de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) et de l’Office national des transports (ONATRA) ainsi que les projets PPP ferroviaires (Corridor de Lobito, Corridor Est-Centre, Kinshasa-Matadi-Banana). 

Face aux embouteillages, relancer le train 

Pour combattre les embouteillages chroniques en RDC, et plus spécifiquement à Kinshasa, le pays prévoit des projets de train urbain pour réduire ces congestions du trafic. Ce projet, appelé Métrokin, a pour objectif de désengorger la capitale en offrant un transport de masse, même si des investissements colossaux et une réhabilitation du réseau sont nécessaires. Le gouverneur de Kinshasa avait annoncé la construction d’une ligne de métro aérien avec un partenaire malaisien, et des études ont été menées pour sa réalisation. Mais jusqu’ici, les signaux pour concrétiser ce projet restent encore faibles. 

Par contre, en septembre 2025, le gouvernement a relancé la ligne Kinshasa-Matadi, longue de 366 km. Cette ligne relie la capitale au principal port maritime du pays, tout en acquérant de nouveaux matériels roulants. À terme, cette ligne doit être prolongée jusqu’au futur port en eau profonde de Banana, actuellement en construction, dans le cadre d’un plan visant à fluidifier les échanges intérieurs et extérieurs. Si ces projets de l’industrie du rail se concrétisent, ils devraient réduire les défis de mobilité dans un contexte où le réseau routier national et le transport fluvial font face à de nombreuses contraintes : routes dégradées, congestion urbaine, embarcations vétustes, voies de navigation non balisées et accidents fréquents. Autant de facteurs qui pèsent sur les coûts logistiques et affectent la compétitivité économique du pays. 

Éviter les erreurs du passé 

En juin 2015, la RDC avait réhabilité certains tronçons de ses chemins de fer et avait réceptionné 18 locomotives neuves sur 38 commandées. À cette époque, la dernière acquisition d’une locomotive neuve datait de 40 ans. Après environ 15 ans d’interruption, le trafic passager sur la ligne ferroviaire Matadi-Kinshasa avait été inauguré le 2 juillet 2015. Mais faute de maintenance dans une ligne ferroviaire vétuste et de locomotives parfois inadaptées, le trafic Kinshasa-Matadi n’avait pas fait long feu sous Joseph Kabila. En relançant cette ligne sous Félix Tshisekedi, le gouvernement devrait éviter les erreurs du passé en travaillant sur la modernisation du rail congolais afin de pérenniser ce trafic en ajoutant des nouveaux rails sur des lignes existantes. Le sénateur Jean-Bamanisa, qui travaille depuis des années dans le secteur de la construction, conseille au gouvernement d’ajouter des rails modernes sur des servitudes ferroviaires existantes afin de permettre le trafic des locomotives de technologie récente. Sans cette modernisation, l’industrie du rail ne saurait redécoller en RDC. 

Avec la réhabilitation des corridors ferroviaires régionaux, notamment celui de Lobito (Angola – Zambie – RDC) et celui du Tanganyika vers la Tanzanie, l’industrie du rail pourrait être boostée. Ce qui augure peut-être un nouveau départ, à condition de remédier à l’absence d’un écosystème industriel complémentaire tel que des sous-traitants locaux, une logistique intégrée et la maintenance. Il faut également résoudre un goulot d’étranglement persistant dans les domaines de l’énergie, des infrastructures ou de la connectivité numérique, facteurs qui risquent aussi de freiner les gains de productivité attendus. 

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