Depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila s’était réfugié dans une discrétion quasi totale. Mais en 2025, cette réserve est brutalement rompue par des ennuis judiciaires sans précédent. Accusé de soutenir des groupes rebelles, notamment l’AFC incluant le M23, le sénateur à vie a vu son immunité levée par le Sénat le 22 mai 2025. L’ancien président reste étrangement silencieux. Pourtant, plusieurs sources annoncent une prise de parole attendue dans la soirée du 23 mai. Heshima Magazine retrace les contours de ses démêlés judiciaires et s’interroge sur la portée d’un silence devenu central.
Les ennuis judiciaires de l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila trouvent leurs racines dans la période trouble qui a suivi son départ du pouvoir en 2019, après 18 ans à la tête de la RDC. Bien que son influence ait perduré à travers le Front Commun pour le Congo (FCC), sa coalition politique majoritaire au Parlement jusqu’en 2020, les soupçons sur ses activités se sont intensifiés avec la dégradation de la situation sécuritaire dans l’Est du pays. Dès 2020, des rumeurs circulaient sur son rôle présumé dans le financement de groupes armés, mais c’est en août 2024 que les accusations prennent une tournure publique et officielle. Lors d’un séjour en Belgique, le 6 août, au cours d’une interview accordée à la radio congolaise Top Congo FM et au média Congo Indépendant, le président Félix Tshisekedi a désigné Joseph Kabila comme le cerveau derrière l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et le Mouvement du 23 mars (M23), groupes responsables d’atrocités dans l’Est du pays. Cette déclaration, relayée par plusieurs médias tant nationaux qu’internationaux, marque le début d’une offensive politique et judiciaire contre l’ancien président. « Nous disposons d’une multitude d’informations et de faits », a déclaré le Vice-premier ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani devant les médias. Ces accusations, bien que dépourvues de détails publics à l’époque, jettent les bases d’une confrontation qui allait bientôt dépasser le cadre des discours.
De la présidence à l’accusation
Le véritable tournant intervient en avril 2025, lorsque le ministre de la Justice, Constant Mutamba, annonce une demande officielle au Sénat pour lever l’immunité de Kabila, en sa qualité de sénateur à vie. Cette démarche, rapportée par de nombreux médias dont Heshima Magazine, repose sur des chefs d’accusation graves : participation à un mouvement insurrectionnel, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et haute trahison. Parallèlement, le gouvernement a ordonné la saisie des actifs de Kabila, y compris des propriétés à Kinshasa et à Lubumbashi. Quant au Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), bastion politique de Joseph Kabila, celui-ci est suspendu depuis le 20 avril 2025, une décision inédite. Le ministre de l’Intérieur a également saisi la Cour constitutionnelle afin d’obtenir la dissolution du PPRD et de trois autres partis d’opposition, accusés de collusion avec des groupes armés. Une mesure que l’analyste politique Marie-Claire Ndaya interprète comme une « sévère mise en garde afin de décourager à l’avenir définitivement toute autre personne ou personnalité de prendre les armes contre la République ». »
Une procédure sous haute tension
Le 22 mai 2025, le Sénat de la RDC, sous la présidence de Jean-Michel Sama Lukonde, a voté la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, ouvrant ainsi la voie à des poursuites judiciaires contre l’ancien président. Cette décision, prise à bulletins secrets par 88 voix pour, 5 contre et 3 abstentions fait suite à la demande du ministre de la Justice, Constant Mutamba, qui accuse Kabila de « participation directe » au groupe armé M23. La commission spéciale du Sénat, composée de 40 membres, s’était prononcée unanimement en faveur de cette mesure, estimant que les faits reprochés ne relèvent pas de sa fonction d’ancien président mais de celle de sénateur à vie. Cette levée d’immunité marque une étape décisive dans la procédure judiciaire engagée contre Kabila, qui pourrait désormais être poursuivi pour des chefs d’accusation incluant la trahison, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
Kabila face au gouffre judiciaire
Avec la levée de son immunité, Joseph Kabila se trouve désormais exposé à des poursuites judiciaires qui pourraient avoir des conséquences monumentales. Sur le plan juridique, les accusations de haute trahison et de crimes de guerre sont parmi les plus graves prévues par le Code pénal congolais. La haute trahison, définie comme une atteinte à la sûreté de l’État, peut entraîner la réclusion à perpétuité, compte tenu du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 2003 mais suspendu depuis plus d’une année par Félix Tshisekedi. Les chefs d’accusation liés aux crimes de guerre et contre l’humanité pourraient également attirer l’attention de la Cour pénale internationale (CPI), surtout si des preuves documentent des massacres ou des financements de groupes armés. « Un procès national serait un précédent historique, mais il pourrait aussi exposer la RDC à un examen international », note l’experte en droit international Sophie Laurent, dans une analyse publiée par The Africa Report. Une condamnation priverait Kabila de sa liberté et de ses droits politiques, le reléguant à un statut de paria avec un mandat d’arrêt international à son encontre.
Sur le plan politique, une condamnation marquerait la fin de l’influence de Kabila, qui reste une figure polarisante. Le PPRD, déjà fragilisé par sa suspension, risque la dissolution, ce qui priverait Kabila de son principal parti. « Une telle issue consoliderait le pouvoir de Tshisekedi, mais à quel prix ? », s’interroge le sociologue Gérardin Biamba.
Le mystère du silence de Kabila
Face à cette tempête judiciaire, le silence de Joseph Kabila est assourdissant. Depuis l’annonce de la demande de levée de son immunité en avril 2025, et même après la décision du Sénat le 22 mai 2025, il n’a fait aucune déclaration publique, ni dans les médias, ni officiellement via son parti. Ce mutisme, alors que ses biens sont en passe d’être saisis, que le PPRD est menacé de dissolution, que son immunité est levée et que son avenir est en jeu, intrigue les observateurs et divise les Congolais. « Pourquoi ne se défend-il pas ? » s’interroge Jean-Pierre Mbuyi, chauffeur de taxi à Kinshasa. « S’il était innocent, il parlerait, non ? » Ce silence, dans un contexte aussi explosif, suscite de multiples interprétations, chacune offrant un éclairage sur les intentions possibles de l’ancien président.
Une première hypothèse voit dans ce silence une stratégie calculée. Kabila, connu pour son pragmatisme politique, pourrait éviter de s’exprimer publiquement pour ne pas aggraver sa situation. « Il sait que chaque mot peut être utilisé contre lui », explique l’analyste politique Raoul Ntumba. Ce silence pourrait également masquer des négociations en coulisses avec le gouvernement de Tshisekedi, visant à obtenir un accord pour abandonner les poursuites en échange d’un retrait définitif de la scène politique. Une telle pratique permettrait à Joseph Kabila de préserver une partie de ses intérêts tout en évitant un procès humiliant. « Il joue la montre », estime Marie-Claire Ndaya, politologue. « Kabila a toujours préféré l’ombre à la lumière. »
Une autre lecture, plus accusatrice, interprète ce silence comme un aveu implicite de culpabilité. « Qui ne dit mot consent », murmure-t-on dans certains milieux de Kinshasa. Certains, comme l’activiste des droits humains Marianne Makoloba, y voient une incapacité à contrer des accusations étayées par des preuves solides. « S’il avait des arguments pour se défendre, il les aurait déjà avancés », affirme-t-elle. Pourtant, cette interprétation est contestée par les proches de Kabila. Sous couvert d’anonymat, un haut cadre du PPRD déclare : « Ce silence est un refus de légitimer une chasse aux sorcières. Le président Kabila reste digne face à des accusations fabriquées. »
Une troisième hypothèse suggère que ce silence reflète une crainte ou une perte de contrôle total des événements. Kabila, habitué à manipuler les leviers du pouvoir, pourrait avoir été pris de court par l’ampleur et la rapidité des mesures contre lui. La saisie annoncée de ses biens, la suspension du PPRD, et la levée de son immunité ont pu le désarçonner. « Il n’avait peut-être pas anticipé une offensive aussi agressive », avance l’analyste en sécurité Didier Kalato. Ce silence pourrait alors traduire une difficulté à formuler une réponse cohérente face à un gouvernement déterminé à l’isoler. « Il est possible qu’il se sente acculé », ajoute Kalato, « et qu’il attende un moment opportun pour contre-attaquer. »
Enfin, certains observateurs spéculent que ce silence pourrait être le prélude d’une reddition. Kabila, conscient des risques judiciaires et de la fragilité de sa position, pourrait préparer une sortie discrète, peut-être se retirant définitivement de la vie politique et en s’exilant où il le souhaite. « Il pourrait chercher à protéger sa famille et ses avoirs restants », suggère l’experte en relations internationales Sophie Laurent. Ce scénario, bien que plausible, semble toutefois improbable pour un homme connu pour son obstination et son habileté politique.
Un mutisme qui divise et interroge
Quelle que soit son origine, le silence de Kabila a des répercussions profondes. Pour ses partisans, il incarne une forme de résistance passive, un refus de se plier à ce qu’ils perçoivent comme une persécution politique. « Il ne parle pas parce qu’il sait que la vérité finira par éclater », affirme Dodi Bope, membre du PPRD. Pour ses détracteurs, ce mutisme renforce les soupçons, donnant l’impression d’un homme à court d’arguments. « Son silence est un aveux », lance un haut responsable de l’Union sacrée, sous couvert d’anonymat.
Sur le plan politique, ce silence laisse un vide que ses adversaires exploitent. Le gouvernement de Tshisekedi, selon plusieurs analystes politiques, présente les démarches judiciaires comme une quête de justice pour les victimes des conflits dans l’Est. « Personne n’est au-dessus de la loi », déclare l’opérateur économique Babone Marc au micro de Heshima Magazine. Pourtant, ce narratif est contesté par ceux qui craignent une instrumentalisation de la justice. « Si les preuves ne sont pas solides, cela pourrait se retourner contre Tshisekedi », avertit l’avocate Louise Mboyi.
Sur le plan social, le silence de Kabila alimente les divisions. Pour ses partisans, des voix comme celle de Joseph Katshuvi expriment leur frustration : « On accuse Joseph Kabila sans que nous, ses soutiens, n’ayons vu une seule preuve claire. Son silence est une réponse à cette injustice. » D’autres citoyens comme Esther Ngoy, enseignante, y voient une faiblesse : « Il devrait se battre s’il est innocent. Ce silence nous fait douter et ne fait que renforcer les soupçons. »
Le dernier mot du silence
Le silence de Joseph Kabila face à ses ennuis judiciaires est un puzzle complexe, mêlant stratégie, prudence, et peut-être une touche de désarroi. Est-il en train de tisser une toile en coulisses, attendant le moment idéal pour riposter ? Ou ce mutisme cache-t-il une résignation face à un étau qui se resserre inexorablement ? Les démarches judiciaires, de leur genèse en 2024 à leur intensité actuelle en mai 2025, placent Kabila à un tournant crucial. Avec la levée de son immunité le 22 mai 2025, il risque non seulement la prison, mais aussi la perte définitive de son influence. Dans ce climat d’incertitude, son silence reste son arme la plus ambiguë : un défi, une esquive, ou un aveu. Alors que la RDC retient son souffle, l’avenir de Kabila et, avec lui, celui du pays, dépendra de la manière dont ce silence sera brisé, ou s’il perdurera jusqu’à l’oubli.
Heshima Magazine