L ’arrivée dans un pays autre que le sien ou y vivre depuis de longues années, ne peut en principe qu’être différent de l’existence que l’on aurait menée chez soi. Dès lors, comprendre ce mode de vie dissemblable s’explique à partir des raisons qui ont amené à quitter son milieu d’origine lieu, de son éducation ou encore des rencontres nouées tout au long de son séjour.
Chacun de ces aspects, détermine la manière de réagir des membres de la diaspora aux différentes tranches de vie auxquelles ils sont confrontés.
Ainsi, la première vague des Congolais en Belgique, précurseurs de la diaspora, outre le froid, la nostalgie ou les regards curieux des Belges étonnés de croiser pour la première fois des Noirs à endurer, c’est bien la question de l’alimentation qui les tenaillait. Habitués à une nourriture bien africaine depuis leur tendre enfance, les voilà obligés à l’âge adulte de se restaurer avec des mets si peu à leur goût.
Il a fallu les venues successives d’autres Congolais pour finir par découvrir l’alternative de la semoule de riz mélangé à la fécule de pomme de terre ou la semoule de maïs en lieu et place du cher fufu pour contenter un tant soit peu leurs papilles gustatives. Ces achats quotidiens ne pouvaient que dérouter les commerçants se demandant les raisons de préparation systématique de pâtisserie au vu de l’utilisation faite par eux de cette matière. Pour épicer la cuisine européenne un peu trop fade, à défaut du piment, le paprika ou le poivre pouvait faire l’affaire. L’écoute de la musique congolaise égrainée du tourne-disque était là pour mettre aussi un peu de baume au cœur. Cela a conduit à la longue à la constitution d’orchestres d’étudiants dont l’écho des succès parvenait au pays tels les talentueux Los Nickelos ou Yeye National qui ont d’ailleurs eu à inspirer les ensembles locaux, Zaïko Langa Langa par exemple. Cette tradition va se perpétuer et chaque université, parfois certains collèges auront leur orchestre dont certains membres se retrouvent actuellement en fonction au Congo.
Mixité des rapports
Alors que la première motivation de la venue des Congolais en Europe portait essentiellement sur les études au niveau supérieur avec par voie de conséquence un mode de vie en principe studieux, des Congolais de plus en plus jeunes y débarquent pour les mêmes raisons mais cette fois-ci parfois dès la maternelle.
Quant aux relations avec les habitants du pays d’accueil, les rencontres ont lieu dans des foyers d’accueil où se forgent des amitiés. Des familles d’accueil se sont également proposées pour héberger chez elles des enfants Congolais logés dans les internats ou non, moyennant paiement de leurs parents ou après leur adoption.
Dans l’entretemps, des enfants congolais naissent sur place aussi bien des couples venus directement du Congo ou des mariages constitués à partir de la Belgique. De ce fait, toute cette nouvelle catégorie de Congolais s’adapte presque naturellement à la vie occidentale, mieux que leurs aînés et parents.
Dans une certaine mesure, cette deuxième génération vit une culture binaire, celle de leurs origines et celle du pays d’adoption. C’est l’époque où la notion du Noir bounty, expression tirée de ce délicieux chocolat enrobée de noix de coco pillé servait à illustrer cette double personnalité, noir de l’extérieur, mais blanc à l’intérieur.
A plusieurs égards, ce Congolais commence à perdre ses repères traditionnels. Par la force des choses, son milieu n’est pas exclusivement limité à ses concitoyens. Car dans l’entretemps, de la capitale belge où se localise principalement le foyer de la diaspora congolaise d’Occident, hormis les autres sites universitaires comme Louvain, Liège ou Mons, une migration a lieu en province. Dans ses amitiés, il est courant de le voir avec des ami(e)s belges ; des mariages mixtes se concluent, surtout le fait d’un Noir qui épouse une Blanche avant que le contraire survienne et pour donner naissance aux « café au lait ». Au niveau professionnel, la société belge accepte de plus en plus de réserver des emplois aux Congolais, surtout aux femmes même s’ils sont de rang subalterne et quelques rares parmi eux intègrent aussi de plus en plus des cercles politiques au point de voir quelques-uns finir par émerger jusqu’à un certain seuil. A son tour, dans cette mixité, la culture congolaise est adoptée par les Blancs en contact avec eux qui découvrent la cuisine ou la musique congolaise, des expressions surtout en lingala, les blagues congolaises ….
Ce mouvement relatif d’intégration dans la société occidentale prend une certaine ampleur, car à la suite du mouvement migratoire à l’intérieur de la Belgique, de nombreux Congolais, surtout victimes de la rigueur administrative belge, gagnent les pays limitrophes comme la France, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas ou encore la Grande-Bretagne jusqu’à aller ailleurs comme en Italie. Hors de l’espace francophone, l’obligation d’apprendre la langue du terroir est évidente, néerlandais, anglais ou allemand selon le point de chute.
Importation des mœurs
Cependant avec l’arrivée massive des Zaïrois d’alors en Europe à la fin des années ‘70, c’est une véritable communauté qui s’y installe. Cette frénésie correspond à la descente aux enfers du Zaïre. Au fur et à mesure, la population de la diaspora se diversifie : elle compte des étudiants éternels la plupart des anciens boursiers et pour certains déjà parents, des familles de dignitaires de l’Etat et des nanties spécialement l’épouse restée sur place pour surveiller les enfants aux études, on peut être écarté à dessein des dignitaires déchus.
L’accueil des compatriotes de même que la difficulté du séjour avant de bien prendre ses marques par la régularisation de ses documents de séjour ou en trouvant un job intéressant – le caillou-, conduisent ceux qu’on appelait les maquisards à s’entasser à plusieurs voire à faire des rotations dans leur habitation, petites chambres, studios ou appartements, avant que chacun puisse s’installer chez lui….Et à son tour accueillir d’autres semblables.
L’accueil des compatriotes de même que la difficulté du séjour avant de bien prendre ses marques par la régularisation de ses documents de séjour ou en trouvant un job intéressant – le caillou-, conduisent ceux qu’on appelait les maquisards à s’entasser à plusieurs voire à faire des rotations dans leur habitation, petites chambres, studios ou appartements, avant que chacun puisse s’installer chez lui….Et à son tour accueillir d’autres semblables.
Dans cet environnement, les Congolais ont de tout temps ce talent de se distinguer par leur habillement, traditionnel ou moderne, de préférence griffé en bon adeptes de la sape. Avec toute l’exubérance reconnue aux Africains. Et le tapage qui va avec, au grand dam des autochtones.
Toute une activité économique ethnique se développe pour guérir du mal du pays : les commerces d’alimentation ou d’habillement comme de produits de beauté, les salons de coiffure, les restaurants ou le service à domicile sinon en livraison… se multiplient. Dans le domaine des loisirs, caractérisé par la venue des membres des ensembles musicaux nationaux (OK Jazz de Luambo, Afrisa de Tabu Ley, Viva la Musica de Papa Wemba…) agrémentent, concerts, boîtes de nuit et ngandas.
Le 7ème art est aussi sollicité, il est vrai à une moindre échelle, avec la diffusion de séries décrivant la vie locale ou alors dans la distribution des productions importées. Avec le progrès des technologies de l’information, les barrières spatiales sont abolies et la connexion s’établit avec les médias congolais. Les journaux et Tv en ligne se développent également.
Un monde aux multiples contours
Débarqués en Occident pour améliorer leur train de vie, les Congolais sont à la recherche d’emplois. Une de leur obligation sur place est de penser à la famille laissée en Afrique devant bénéficier de transfert de fonds ou d’aliments. Un système de cotisations est instauré entre relations pour faire face à certaines obligations sociales comme les deuils ….
A la recherche de moyens de subsistance, il n’est pas exclu que certaines personnes optent pour la facilité : le trafic de documents administratifs ou financiers, le trafic d’êtres humains, les mariages en blanc, la prostitution en vitrine ou au trottoir dans les quartiers chauds, avec la complicité ou non des autochtones… Néanmoins, avec les années et les aides gouvernementales, quelques-uns se risquent à monter des entreprises, souvent des PME dans le transport (taxi ou service de livraison), le gardiennage, le fret pour l’import-export en liaison avec le pays…
Les autres activités sociales prennent de l’ampleur et ici aussi la différence avec celles qui se produisent au pays natal se ressemblent, qu’il s’agisse des mariages à la congolaise, les cultes religieux frénétiques, les cérémonies des deuils émotives ou autres manifestations festives rassemblant familles et autres personnes seules comme celles dénommées terrains ponctuées de parties de football et autres séances de barbecues …, le tout parfois évité ou interrompu par crainte de la descente de la police pour ceux qui ne sont pas en règle administrative.
Les mœurs au sein des familles en prennent un coup : là où la femme est censée faire preuve de soumission dans un environnement machos, celle-ci s’affranchit de l’emprise de son conjoint grâce aux avantages sociaux tels les allocations familiales dont elle est bénéficiaire pour le compte des enfants et qu’elle gère au détriment du père, ou encore grâce à la protection des services contre la violence faite aux femmes.
D’un autre côté, les descentes régulières au Congo de durée assez longues de l’époux pour des buts professionnels, ou la difficulté à rapatrier en Europe son épouse entraînent parfois l’existence d’une double vie, voire de plus, à l’insu ou non de la famille, parfois obligée de se soumettre à cette contrainte.
La politique n’est pas absente de ces mœurs congolaises étant donné que la diaspora est essentiellement composée de réfugiés, économiques ou politiques, en colère contre la misère imposée au pays. Certains, surnommés les combattants, iront jusqu’à se montrer d’une violence parfois injustifiée à l’égard des dignitaires des régimes successifs, d’abord celui de Mobutu et ensuite celui de Joseph Kabila.
Au total, dans ce monde aux multiples contours, différentes tendances se dégagent. Il existe parmi les compatriotes ceux qui se contentent de ne fréquenter que le milieu congolais au point qu’après tant d’années passées en Europe, certains n’en ont rien tiré pour améliorer leurs conditions de vie.
D’autres par contre manifestent souvent l’envie de retourner au pays en postposant à chaque fois leur décision tandis que d’autres parviennent à y débarquer, parfois pour frimer, parfois pour y mener des opérations économiques ou sociales. D’autres encore, aujourd’hui à la troisième voire à la quatrième génération ont carrément rompu le cordon ombilical avec la mère-patrie avec pour les plus jeunes des évocations sur le Congo ressenties d’ailleurs avec beaucoup d’appréhensions. Et pour ceux-là, rien ne présage un changement sur leurs habitudes tant que la situation du pays ne s’améliorera pas à la hauteur de leurs exigences qu’ils souhaiteraient tout au moins à l’identique du vécu européen ou en tout cas pas en deçà d’un certain seuil de régression.
Mais en définitive une autre catégorie de Congolais qui pourrait être la synthèse de toutes ses variantes et dont les figures emblématiques sont représentées par des vedettes comme Gim’s, Djadju et autres qui ont su conserver une part de l’âme congolaise en la hisseant à des hauteurs qui témoignent de la capacité des Congolais à marquer de son empreinte son passage ici et là.
A plus d’un demi-siècle de vie, la diaspora n’a en tout cas pas encore finit d’édifier ses observateurs.
Noël NTETE