Quatre jours après son adresse à la nation congolaise, l’opposant Martin Fayulu a été reçu, le 5 juin 2025, au Palais de la Nation, par le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi. Pendant près de deux heures, les deux personnalités ont abordé la crise sécuritaire qui secoue la partie orientale du pays. Pour y faire face, Martin Fayulu propose la création d’un « camp de la patrie » et demande au chef de l’Etat de recevoir la délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC), porteurs du « Pacte social » pour la paix dans le pays et la région. En opposition depuis 2018, ces deux anciens compagnons de lutte brisent enfin la glace au nom de ce Congo agressé par le Rwanda et ses supplétifs de l’Alliance Fleuve Congo dont fait partie le Mouvement du 23 mars (M23).
Martin Fayulu a décidé de faire bouger les lignes face à la crise multiforme que traverse la RDC. L’opposant a pris son courage à deux mains pour rencontrer son adversaire politique, Félix Tshisekedi. « Le pays est dans une passe très difficile. Nous sommes attaqués de partout. Nous avons besoin de cohésion nationale. Je suis venu pour lui dire que nous n’avons pas 36 solutions. », a d’emblée lancé Martin Fayulu en restituant à la presse le contenu de ses échanges avec le chef de l’Etat. Pour le président de l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECIDé), « Nous devons créer un camp de la patrie, c’est-à-dire des personnes qui luttent pour leur pays. Et donc pour cela avec toutes ces crises que nous avons : crise sécuritaire, crise sociale, crise politique, la solution, c’est un dialogue », a-t-il ajouté. Avant d’organiser ce dialogue, Martin Fayulu demande à Félix Tshisekedi de recevoir les évêques de la CENCO et les révérends de l’ECC. « Je lui ai demandé de tout faire pour rencontrer les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC pour discuter afin de voir ce Pacte social qu’ils proposent comment est-ce que nous pouvons le mettre en avant. Il m’a compris et il va donner sa réponse très rapidement », a proposé Martin Fayulu.
Rejoindre le « camp de la patrie » face à l’agression
Le message de Martin Fayulu ainsi que son pas vers Tshisekedi ont été salués par une bonne partie de l’opinion publique et même des politiques. Le leader de LAMUKA a fait preuve d’une lecture claire de la situation en faisant le distinguo entre son opposition à Félix Tshisekedi et le danger existentiel que court la RDC. Fiyou Ndondoboni, président du Parti Orange, a salué « l’esprit hautement patriotique » de Martin Fayulu. Ce membre de l’Union sacrée de la Nation estime que Fayulu a su faire preuve de courage en privilégiant l’intérêt national au détriment de considérations personnelles. « Nous pensons que d’autres acteurs politiques, membres de la société civile et représentants de l’Église peuvent suivre cet exemple pour bâtir une véritable paix durable pour le Congo de nos enfants », a-t-il suggéré. D’autres Congolais voient dans la démarche de Martin Fayulu un début de cohésion nationale tant souhaitée pour faire face à la crise sécuritaire dans l’Est du pays. « Martin Fayulu a fait preuve de patriotisme. Il a refusé de pactiser avec le Rwanda par pur opportunisme dans l’espoir de prendre le pouvoir à Kinshasa. Il faut séparer une opposition à Tshisekedi et une complicité d’une agression contre son propre pays. C’est cela le camp de la patrie », note le politologue Edgard Nlevo. Ce dernier pense que ce « grand pas » franchi par Fayulu peut enclencher une dynamique nationale autour de Félix Tshisekedi menant vers un dialogue national inclusif.
Deux ennemis d’hier qui surpassent leur ego…
L’opposition entre Martin Fayulu et Félix Tshisekedi s’est longtemps cristallisée autour de vives contestations et d’accusations de fraude électorale liées à la présidentielle de décembre 2018. Fayulu n’a cessé d’accuser Tshisekedi de lui avoir usurpé la victoire à l’issue de ce scrutin. À cette période, le président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, devait se retirer à la fin de son mandat constitutionnel en 2016. Mais le report répété des élections a plongé le pays dans une crise politique, marquée par des tensions croissantes et des manifestations. Sous la pression nationale et internationale, les élections sont finalement organisées le 30 décembre 2018. Kabila, écarté de la course, désigne Emmanuel Ramazani Shadary comme son dauphin. Trois figures dominent alors la compétition : Félix Tshisekedi, Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary.
Président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, Félix Tshisekedi apparaissait comme le mieux placé pour incarner l’unité de l’opposition à la veille de la présidentielle de 2018. Pourtant, cet avantage lui échappe au profit de Martin Fayulu, désigné candidat commun par plusieurs leaders de l’opposition réunis à Genève. Quelques heures après la signature de l’accord, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe s’en retirent, dénonçant un choix imposé. Ils s’allient ensuite à Nairobi pour créer une nouvelle coalition : le Cap pour le changement (CACH). Face à eux, la plateforme LAMUKA se structure autour de Martin Fayulu, soutenu par des figures de poids comme Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi.
Le 10 janvier 2019, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) proclame Félix Tshisekedi vainqueur avec environ 38 % des suffrages. Martin Fayulu, officiellement crédité de 34 %, rejette ces résultats, dénonce une fraude électorale massive et se proclame véritable gagnant avec plus de 60 % des voix. Les deux hommes resteront en opposition jusqu’à leur première rencontre officielle, le jeudi 5 juin dernier.
Proches à l’origine, Félix Tshisekedi et Martin Fayulu ont vécu une rupture politique profonde qui aura duré près de sept ans. Fayulu est resté l’un des opposants les plus virulents du régime, fustigeant la corruption, l’inefficacité du gouvernement et les irrégularités électorales. Cependant, face à l’agression armée attribuée au Rwanda, les deux hommes ont mis de côté leurs différends pour répondre à l’urgence nationale. La rencontre au Palais de la Nation marque ainsi leur second face-à-face depuis leur rupture, après celui organisé par la CENI à l’intention des candidats à la présidentielle, à la veille de la campagne électorale de 2023.
Une possible alliance pour le futur
Après ce rapprochement, une alliance entre Martin Fayulu et Félix Tshisekedi à l’issue de la crise actuelle n’est pas à exclure. « Il n’y a pas d’ennemi éternel en politique », estime Edgard Nlevo, pour qui cette convergence offre aux deux hommes l’occasion de solder leurs différends passés et d’envisager des perspectives communes.
Félix Tshisekedi, dont le second mandat s’achèvera en 2028, ne pourra plus briguer la magistrature suprême. À ce jour, l’UDPS ne dispose pas encore d’un successeur naturel à la stature nationale. Un rapprochement stratégique avec Fayulu pourrait donc s’inscrire dans une logique de recomposition politique en vue des prochaines échéances.
« Quand Fayulu finira de discuter avec Tshisekedi, quelle sera la deuxième étape ? » s’interroge Mike Mukebayi, cadre du parti de Moïse Katumbi, qui soupçonne l’amorce d’un accord politique entre les deux figures longtemps opposées.
Interrogé après la rencontre de jeudi sur une éventuelle entrée de son parti dans les institutions, Martin Fayulu a toutefois précisé que cette question n’avait pas été évoquée avec Félix Tshisekedi. Pour l’instant, affirme-t-il, sa priorité reste la défense de l’intégrité territoriale face à l’agression rwandaise.
Heshima