La République démocratique du Congo (RDC) est engluée dans une crise sécuritaire et politique qui s’est dramatiquement aggravée en 2025, avec le Mouvement du 23 Mars (M23), soutenu par le Rwanda, s’emparant de villes clés comme Goma en janvier et Bukavu en février. Face à cette situation, plusieurs processus de paix, locaux et régionaux, tentent de tracer une voie vers la stabilité. Mais lesquels pourraient réellement porter leurs fruits, et quelle issue peut-on espérer pour cette région tourmentée ? Heshima Magazine, se penche sur ces questions cruciales, en scrutant les dynamiques actuelles.
Relancé en 2021 après une accalmie, le conflit du M23 a pris une ampleur alarmante cette année. L’implication du Rwanda, qui fournit armes, hommes et appui logistique aux rebelles, a transformé une insurrection locale en une crise régionale, envenimant les relations avec Kinshasa. Ce conflit, aux racines profondes mêlant rivalités ethniques, luttes pour les ressources et ambitions géopolitiques, menace de déstabiliser l’ensemble de la région des Grands Lacs. Les combats ont ravagé l’Est du pays, laissant derrière eux un sillage de destruction et une crise humanitaire d’une gravité exceptionnelle. Des millions de personnes ont été déplacées, les conditions de vie se sont effondrées, et l’urgence d’une solution pacifique n’a jamais été aussi criante.
Dans ce chaos, les initiatives de paix se multiplient, mais leur capacité à s’attaquer aux causes profondes comme le contrôle des minerais du Kivu ou les tensions ethniques reste une énigme. Alors que les armes crépitent encore, la question se pose : quelles approches pourraient enfin faire taire les fusils et ramener un semblant d’espoir ?
Les chemins vers la paix
Parmi les efforts en cours, le Pacte Social pour la Paix, porté par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC), se distingue par son ancrage local. Lancé en janvier 2025, ce projet ambitionne de réconcilier les communautés déchirées par des décennies de violence, en réunissant citoyens, autorités et factions armées dans un dialogue inclusif. En février, des représentants ont porté leur message en Europe, obtenant à Bruxelles l’adhésion d’opposants politiques à cette vision d’une paix durable. Toujours actif, ce processus mise sur la médiation communautaire et des consultations élargies, mais son influence sur les dynamiques militaires et les décisions politiques de haut niveau reste limitée, soulevant des doutes sur son pouvoir de transformation immédiat.
À une échelle plus régionale, les processus de Nairobi et de Luanda, désormais fusionnés en février 2025 sous le nom de processus Luanda/Nairobi, offrent une approche plus large. Initié en 2022, le dialogue de Nairobi cherchait à engager les groupes armés, tandis que Luanda, sous la médiation angolaise, s’attaquait aux tensions entre la RDC et le Rwanda, avec un cessez-le-feu signé en juillet 2024. Cette unification, scellée lors d’un sommet à Dar es Salaam, est pilotée par des figures comme Uhuru Kenyatta, ancien président kenyan, Hailemariam Desalegn, ex-Premier ministre éthiopien, et Olusegun Obasanjo, ancien président nigérian. Mais un coup dur a frappé en mars 2025 : l’Angola a jeté l’éponge, invoquant certains blocages dans les négociations et des interférences extérieures. Une allusion au Qatar qui s’est immiscé dans les discussions. Malgré cela, le processus se poursuit, cherchant à coordonner les efforts, bien que des divergences sur les facilitateurs et la mise en œuvre des accords fragilisent son élan.
Un autre jalon a été posé à Doha, au Qatar, où une rencontre le 18 mars 2025 a réuni les présidents Félix Tshisekedi de la RDC et Paul Kagame du Rwanda, sous l’égide de l’émir qatari. Ce sommet a débouché sur un appel à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, accompagné d’accords-cadres pour poser les bases d’une paix durable. Quelques jours plus tard, le 22 mars, le M23 a annoncé son retrait de Walikale, une ville stratégique capturée le 19 mars, en guise de soutien aux initiatives de paix, selon le média Al Jazeera. Le Rwanda a salué ce geste le 25 mars, mais des rapports indiquent que, malgré les annonces, le M23 pourrait encore être présent à Walikale en raison de l’usage de drones par les forces gouvernementales, ce qui jette une ombre sur cette avancée.
Qu’est-ce qui pourrait marcher ?
Face à cette mosaïque d’initiatives, quelles sont les clés du succès ? Le Pacte Social pour la Paix brille par sa capacité à mobiliser les communautés, un socle essentiel pour panser les plaies à long terme. Mais sans levier sur les acteurs armés ou les puissances régionales, il risque de rester un écho dans le désert face à l’urgence militaire. Le processus Luanda/Nairobi, avec son envergure régionale et ses facilitateurs chevronnés, a le potentiel de s’attaquer aux racines politiques et sécuritaires du conflit, notamment les tensions avec le Rwanda. Pourtant, le retrait angolais et les hésitations internes soulignent sa vulnérabilité face aux rivalités et aux agendas divergents.
La rencontre de Doha, elle, offre un souffle diplomatique, amplifié par le geste du M23 à Walikale. Si ce retrait se concrétise et que le cessez-le-feu tient, elle pourrait catalyser une désescalade, donnant au processus Luanda/Nairobi l’élan nécessaire pour avancer. Une combinaison semble alors émerger comme la plus prometteuse : l’ancrage local du Pacte Social pour la Paix, soutenu par la coordination régionale de Luanda/Nairobi et l’impulsion diplomatique de Doha. Cette synergie pourrait apaiser les tensions à court terme tout en posant les bases d’une réconciliation durable, à condition que les parties s’engagent réellement et que des mécanismes de suivi rigoureux voient le jour.
Quelle issue pour la paix ?
Imaginons un instant que ces efforts convergent. L’issue la plus plausible à court terme serait une réduction des hostilités : un cessez-le-feu respecté, peut-être initié par Doha et renforcé par le retrait effectif du M23 de zones comme Walikale, ouvrant la voie à des pourparlers sous l’égide de Luanda/Nairobi. Les facilitateurs, avec leur expérience, pourraient alors négocier des accords et la démobilisation des groupes armés, tandis que le Pacte Social pour la Paix consoliderait la paix au niveau communautaire. À moyen terme, cela pourrait déboucher sur une stabilisation fragile, avec des corridors humanitaires pour soulager les 7 millions de déplacés et un retour progressif des populations déplacées vers leurs foyers.
Mais cette vision optimiste bute sur des obstacles de taille. La situation à Walikale, où le M23 semble jouer un double jeu, illustre la difficulté d’assurer l’adhérence aux engagements. Les rivalités régionales, en particulier avec le Rwanda, restent un nœud gordien : sans une désescalade sincère de Kigali, les tensions risquent de resurgir. Et puis il y a l’ampleur de la crise humanitaire, qui exige des ressources massives que la communauté internationale tarde parfois à mobiliser. À long terme, une paix durable nécessiterait une gouvernance transparente des minerais, une réconciliation interethnique et une pression diplomatique soutenue de l’Union africaine et des Nations Unies.
Un horizon incertain
Et si rien ne fonctionnait ? Si le cessez-le-feu de Doha s’effondre, si Luanda/Nairobi s’enlise dans les querelles et si le Pacte Social reste un vœu pieux, l’Est de la RDC pourrait sombrer dans une guerre prolongée, avec des répercussions dévastatrices pour la région des Grands Lacs. Mais les récents développements, comme l’annonce du M23, offrent une lueur d’espoir, même faible. Peut-être que la clé réside dans cette fragile convergence : un effort local pour guérir, un dialogue régional pour négocier, et une impulsion extérieure pour désamorcer.
Dans ce climat d’incertitude, une chose est sûre : le sort de la RDC et des Grands Lacs dépendra de la volonté des acteurs rebelles, gouvernements, médiateurs, à dépasser leurs intérêts pour un bien commun. Le temps dira si ces processus, seuls ou ensemble, sauront transformer les espoirs en réalité, ou si la région restera prisonnière de ses démons.
Heshima Magazine