Heshima Magazine : Tisya Mukuna, vous êtes la patronne du café « La Kinoise ». Qu’est-ce qui vous a poussé à venir entreprendre en RDC, vous qui avez grandi en France ?
Tisya MUKUNA : J’ai toujours voulu revenir dans mon pays qui m’a vu naitre, donc pour moi c’était normal de revenir en République Démocratique du Congo et d’apporter ma pierre à l’édifice, de créer de l’emploi et de participer à la vie de la société. Donc, revenir n’a jamais été une question, c’était normal et naturel.
Pourquoi n’avoir pas choisi d’exporter du café brut comme le font les autres ?
Le problème en exportant du café brut, ce qu’on ne participe pas à la valorisation de la matière. Vous voyez, on a des tomates ici, mais nous n’avons pas une entreprise qui fait du ketchup. C’està-dire que la valorisation est faite ailleurs, le produit nous revient plus cher et nous vendons nos matières premières à vile prix. Avec le café c’est la même chose, on l’exporte à un prix vraiment très bas, il est transformé sous d’autres cieux et quand il nous revient il nous coûte cher.
Moi, je voulais vraiment avoir toute cette chaîne de valeur, qu’il reste à Kinshasa, que ça crée de l’emploi et qu’on montre aussi notre savoir-faire.
Pourquoi devrait-on tout le temps envoyer notre matière première ailleurs et ne jamais participer à la valorisation de notre terre ?
Qu’est-ce qui vous a motivé pour appeler votre café « La Kinoise » ?
Alors, le nom de « La Kinoise » ce n’est pas parce que je vis à Kinshasa, mais c’est parce que la plantation se trouve à Kinshasa. Donc c’est un clin d’œil à cette plantation qui se trouve à MontNgafula. C’est rare, nous sommes la seule marque de café dont la plantation se trouve à Kinshasa, on voulait honorer notre terre en appelant la marque « La Kinoise », ceci pour montrer qu’il y a aussi du café de l’autre côté du Congo.
Quelle est la qualité de votre café par rapport au café venant de l’étranger ?
Déjà comme je l’ai précisé que c’est le seul café qui pousse ici, à Kinshasa à Mont-Ngafula, que je sache. La particularité est qu’il a un goût unique vu qu’il n’y a pas d’autres cafés qui poussent par ici. Je sais qu’il est plus doux, l’Arabica est plus doux que l’Arabica qu’on peut trouver à l’Est. Le Robusta également est un peu plus doux mais son arôme est quand même intense. Donc, c’est sa particularité, c’est son originalité.
Cultivez-vous le Robusta et l’Arabica ?
Exactement, on a planté à peu près plus de 1000 Arabicas, le reste c’est du robusta. Le Robusta pousse plus facilement, l’Arabica normalement demande des hauteurs assez particulières. On a de la chance que ça puisse pousser sur nos terres, et c’est vrai qu’on a plus de Robusta que d’Arabica.
Quand est-ce que vous avez commencé la culture du café alors qu’on a toujours dit qu’il faut environ 5 ou 7 ans ?
Il ne faut pas 5 ou 7 ans, tout dépend de semences. Il faut 3 ans normalement pour qu’un arbre puisse donner ses premières cerises. Mais c’est vrai que parfois on peut attendre 5 ans ou 8 ans. Moi j’ai eu la chance de commencer cela quand j’étais adolescente plutôt par plaisir. Il n’y avait spécialement pas une idée de créer cette entreprise en ce moment-là. C’était juste pour essayer, pour tenter l’expérience. Chaque enfant à sa passion et la mienne c’était l’agriculture. Il s’avère que mon père aussi aimait cela donc c’était une activité qu’on aimait bien faire ensemble. Puis en grandissant je me faire quelque chose de tous ces arbres, j’ai envie de les mettre en valeur et l’idée de l’entreprise est venue après.
Peu de jeunes investissent dans l’agriculture, Pour quelle raison avoir choisi la caféiculture par rapport à d’autres secteurs ?
L’agriculture est un secteur très porteur, c’est un secteur qui peut vraiment pousser l’économie d’un pays et sa croissance. Le café c’est la deuxième boisson la plus bue au monde, juste après l’eau. On boit plus de café au monde qu’on boit de la bière ou tout ce que vous voulez.
Plus que du thé ?
Plus que du thé, par année c’est parfois le thé qui est deuxième et le café troisième, parfois le café est deuxième. Mais le café est plus bu que le thé ces derniers temps. Estce que c’est parce que les gens sont stressés avec le confinement, non je ne sais pas. Dans tous les cas, le café est plus bu. C’est vrai que ça dépend des années.
Donc c’est un marché porteur, une boisson très populaire. Il y a des pays comme l’Allemagne ou l’Italie qui importent énormément du café de l’étranger et en consomment aussi énormément. Il y a des pays qui ont réussi à soulever leur économie grâce à la caféiculture comme le Vietnam ou le Brésil ou même la Colombie qui mettent vraiment beaucoup des moyens pour le développement de leur agriculture et du café parce qu’ils ont compris que c’était un marché porteur. Voilà donc pour moi le café, c’était clair qu’il fallait qu’on participe aussi. Vous savez qu’il y a plus de 30 ans le Congo était le premier pays exportateur du café ? Aujourd’hui on est loin derrière. On est même parmi les pays qui exportent le moins le café. Quand on voit de pays comme l’Ethiopie, qui ont essayé de se relever aussi grâce à ce genre de culture, dans les 3 continents, le Brésil, le Vietnam et l’Ethiopie ont réussi à le faire, pourquoi pas nous ?
La torréfaction et la mouture de votre café se font jusquelà à l’Office national des produits agricoles du Congo (ONAPAC). À quand vos propres machines ?
J’espère dans très prochainement. On est en train de voir aussi le meilleur torréfacteur qu’on peut utiliser et aussi pour faire des grosses quantités, parce qu’on aimerait exporter notre café, donc là petit à petit on essaie de s’industrialiser et de mettre cela en place. Quand ça sera bien mis en place on vous invitera pour l’inauguration de notre usine.
Vous avez créé votre marque La Kinoise en 2018, quelle est la santé financière de votre entreprise à ce jour ?
Comme vous l’avez dit, ma société a été fondée en 2018 mais le café n’est commercialisé que depuis 2020. Donc ça ne fait qu’un an que le café est commercialisé. Avant on était en train de mettre des choses en place. En un an, on est dans un peu plus de 20 supermarchés à Kinshasa, on est dans une petite dizaine de restaurants. Nous allons petit à petit et on aimerait bien être le mois prochain à Lubumbashi et la croissance est plutôt positive.
L’entreprenariat féminin en RDC, est-il facile ?
L’entreprenariat n’est jamais facile que ce soit en RDC ou ailleurs. Mais entreprendre en RDC c’est compliqué aussi.
Mais en tant qu’une dame parce que généralement ce sont des hommes qui entreprennent dans un secteur pareil ?
Non, écoutez. L’entreprenariat en tant que femme peut être difficile parce qu’il y a plusieurs obstacles, il y a déjà l’obstacle de la société parce que beaucoup de gens pensent que la place de la femme n’est pas forcément de diriger une entreprise, encore aujourd’hui. Il peut y avoir des personnes qui ont un préjugé. Moi à plusieurs reprises on a cru que j’étais la secrétaire ou l’assistante et qu’il y avait un père ou un mari derrière moi ou encore un frère. On peut douter de votre crédibilité quand on me voit toute apprêter, on peut se dire que je ne vais pas dans les champs parce que j’ai mis un rouge à lèvres.
On ne peut pas imaginer une agricultrice au rouge à lèvre rouge. Parfois il faut se battre un peu contre ces images et moi j’en ai que faire, je continue mon bonhomme de chemin et les gens voient des résultats. Et c’est eux-mêmes qui se résonnent.
Donc, l’entreprenariat féminin est difficile mais l’entreprenariat en général est difficile. Donc si on commence à s’arrêter ou à se buter parce qu’il y a une difficulté ou quelqu’un a dit du mal de nous, ce qu’on n’est pas fait pour être entrepreneure.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant qu’entrepreneure ?
En tant qu’entrepreneure, la première difficulté ce sont les infrastructures. Les routes dans notre pays ne sont pas dans un état qui nous permet d’aller de l’Ouest à l’Est ou du Nord au Sud. Donc on ne sait pas bouger, on ne sait pas envoyer nos produits où on veut. Ça coûte moins cher d’aller à Dubaï que d’aller dans certaines villes de notre pays, ce n’est pas normal. C’est le déplacement des êtres humains et des marchandises.
Le deuxième problème, c’est l’énergie. Quand vous avez des torréfacteurs puissants, quand vous avez des machines de moulinage, quand vous avez toutes ces choses ça demande de l’électricité. Et quand l’électricité est capricieuse, parfois vous ne savez pas travailler pendant un ou deux jours. Si vous voulez encore mettre du carburant dans le groupe électrogène, vous devez mettre 100$ de carburant. Ça a un impact sur le coût de la marchandise après on explique que les entrepreneurs qui font de l’agroalimentaire et l’agrobusiness au Congo ont des produits qui coûtent trop cher. Mais il faut savoir tout ce qu’on dépense pour mettre ces produits en place. Donc, c’est vraiment les infrastructures, électricité et route et enfin le financement. Il y a beaucoup de bourses de subvention qui sont données en Afrique pour soutenir les jeunes, les femmes, les africains… mais rare sont les fois où le Congo est éligible. Souvent ça va être d’autres pays et il serait bien que ça se décante.
Aviez-vous pu bénéficier des financements de la part de la RDC ou des autres partenaires ?
Je suis en attente de financement auprès du COPA qui est le Concours de Plan d’Affaires où je suis lauréate pour les PME. C’est un concours qui a été lancé par le ministère des PME et Entreprenariat, financé par la Banque Mondiale. Là je suis en attente de recevoir mon financement pour pouvoir avancer dans les projets.
Vous êtes très active sur les réseaux sociaux et vous commentez souvent l’actualité politique. Avez-vous une éventuelle ambion en politique ?
Je n’envisage pas une carrière politique. Je pense qu’on peut changer un pays sans forcément faire de la politique. On peut changer un pays en participant à son économie, à sa vie sociétale. On connait tous Tata Cardinal, il n’a pas fait la politique mais comment il a changé ce pays. Nous connaissons tous le Docteur Mukwege, il n’a pas fait la politique mais comment il a changé ce pays. Bien entendu il faut parler aux politiciens pour leur dire qu’on n’a pas d’électricité et qu’on n’a pas de routes. Mais on peut changer un pays en ne faisant pas de la politique mais en tant qu’entrepreneure. Moi je crée de l’emploi, je participe au rayonnement de mon pays. Un jour si mon café peut se retrouver en Chine, on serait contents de dire ah voilà, les Congolais sont forts, ils sont allés jusqu’en Chine. Çà c’est aussi participer à la vie de son pays et pour autant ne pas faire la politique.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Mon projet d’avenir c’est l’exportation de mon café déjà en Afrique en profitant de la ZLECAF, mais aussi dans d’autres pays très forts consommateurs comme l’Allemagne, l’Italie ou les Etats-Unis.
Interview réalisée par Hubert MWIPATAYI