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RDC : un bilan politique en demi-teinte en 2024
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La redaction
L’année 2024 a été marquée par plusieurs événements socio-politiques en République Démocratique du Congo (RDC). En termes de gouvernance, le bilan semble mitigé. En économie, l’inflation a régné en maître. Sur le plan de la sécurité, l’Est du pays n’a pas toujours retrouvé la paix, ce qui a annihilé les efforts réalisés dans d’autres secteurs.
Dans la première moitié de l’année, le pays a d’abord connu un processus complexe d’installation de nouvelles institutions. Après les élections présidentielle et législatives de décembre 2023, l’année 2024 avait démarré par la mise en place de ces institutions issues des urnes. Le président de la République, Félix Tshisekedi, réélu avec 73 % des voix, selon les résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle, a été investi le 20 janvier 2024. Le Parlement, également renouvelé, a élu de nouveaux dirigeants. Vital Kamerhe a retrouvé le perchoir du bureau de l’Assemblée nationale, poste qu’il avait occupé de 2006 à 2009 sous la présidence de l’ancien chef de l’État, Joseph Kabila. Ce renouvellement des institutions s’est poursuivi avec l’élection des gouverneurs de provinces. En août, Jean-Michel Sama Lukonde, après avoir quitté la Primature, a pris la tête du Sénat. Quant au gouvernement, un changement notable s’est opéré à la Primature. Judith Suminwa Tuluka, nommée le 1er avril, est devenue la première femme à occuper le poste de Premier ministre au pays. Son gouvernement a été investi par l’Assemblée nationale le 12 juin.
Un bilan mitigé
En 2024, l’installation des institutions a été lente, malgré l’écrasante majorité obtenue par l’Union sacrée lors des élections de 2023. Ce processus a pris la moitié de l’année 2024, érodant ainsi le temps d’action de Félix Tshisekedi et de son gouvernement. Lors de son investiture, le chef de l’État congolais avait présenté les grandes lignes de son second quinquennat, axé sur six engagements majeurs : la création de six millions d’emplois, la protection du pouvoir d’achat, l’amélioration de la sécurité, la diversification économique, l’accès aux services sociaux de base et l’efficacité des services publics. Pour l’année 2024, ces différents secteurs n’ont pas connu d’avancées majeures.
Protection du pouvoir d’achat
En 2024, comme bien avant, Félix Tshisekedi a fait face à une inflation galopante. Cette érosion de la monnaie nationale a absorbé des efforts économiques réalisés par le président de la République depuis son arrivée à la tête du pays. Parmi ces prouesses, il y a notamment l’accroissement du budget national, passant de 4 milliards à plus de 16 milliards de dollars. Lors de son discours bilan sur l’état de la nation en décembre, il a reconnu que l’inflation en 2024 a dépassé les prévisions. « Je reconnais cependant que l’inflation constitue une préoccupation réelle pour nos concitoyens. Elle a dépassé, au premier semestre, le seuil annuel prévu de 11,3 % », a noté Félix Tshisekedi.
Il a justifié cette situation notamment par la hausse des tarifs de transport, une hausse elle-même liée au rationnement des produits pétroliers, ainsi que l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées. « Le franc congolais a également subi une dépréciation de 4,2 % par rapport au dollar américain depuis la fin décembre 2023, renchérissant le coût des biens importés et accentuant ainsi la pression inflationniste », a-t-il ajouté. Face à ce tableau, l’engagement pris dans son programme sur la protection du pouvoir d’achat des Congolais reste encore un mirage pour la majorité de la population. Pour faire face à la vie chère, due notamment à l’inflation, Félix Tshisekedi a rappelé l’instruction donnée à la Première ministre, Judith Suminwa, pour prendre des mesures sur la baisse des prix des biens de première nécessité afin d’inverser la tendance. Mais les Congolais ont passé les fêtes de fin d’année avec les prix des biens de consommation toujours en hausse. Les négociations avec les importateurs de ces produits n’ont pas abouti à la baisse des prix chez les consommateurs congolais.
Pas d’amélioration de la sécurité
La sécurité au pays a constitué un des problèmes majeurs en 2024. Le bilan dans ce secteur reste très préoccupante. Dans l’Est de la République, les offensives répétées du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, ont aggravé une situation humanitaire déjà désastreuse au Nord-Kivu. Cette insécurité a provoqué le déplacement de près de 7 millions de Congolais, dont la plupart vivent dans des conditions précaires, dans des camps de déplacés. La rencontre entre le président congolais, Félix Tshisekedi, et son homologue rwandais, Paul Kagame, qui avait suscité un espoir de paix, le 15 décembre, a été annulée. Le cessez-le-feu, en vigueur depuis le 4 août, n’est plus respecté par les rebelles qui continuent de bénéficier du soutien militaire de l’armée rwandaise. Au cours de la même année, ces rebelles ont élargi leur zone d’influence, prenant le contrôle d’une partie du territoire de Lubero et de Walikale, après Masisi, Rutshuru et Nyiragongo. Sur ce sujet, Félix Tshisekedi a souligné les efforts des Forces armées de la RDC (FARDC) ainsi que la mission militaire de la SADC (SAMIDRC) dans les efforts de rétablissement de la paix dans cette partie du territoire national. Malgré cette volonté, la RDC fait toujours face à des défis sécuritaires majeurs. L’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu reste un sujet de controverse, bien que des efforts soient faits pour ramener la paix, comme en témoignent les visites fréquentes de la Première ministre, Judith Suminwa, dans ces zones.
Dans d’autres parties du pays, la sécurité n’a pas non plus été totale. À Kinshasa, le banditisme urbain a atteint des proportions inquiétantes. Une journaliste de la chaîne nationale a succombé à ses blessures après une violente agression de la part de présumés bandits appelés communément « Kuluna ». La tentative de coup d’État menée par Christian Malanga, en 2024, au Palais de la Nation, a aussi révélé des failles sécuritaires. Cette insécurité n’a pas épargné les villes de Lubumbashi et Kolwezi où la sécurité des personnes et de leurs biens n’a pas été totalement garantie, avec des vols à main armée à répétition.
Création d’emplois
Après avoir pris l’engagement de créer 6 millions d’emplois lors de la campagne électorale, Félix Tshisekedi a changé son langage lors de ses meetings devant les Congolais en provinces. À Tshikapa, chef-lieu de la province du Kasaï, le chef de l’État n’est pas allé par quatre chemins pour appeler les jeunes à se débrouiller pour créer des emplois. « Débrouillez-vous pour créer de l’emploi, l’État ne peut pas en donner à tout le monde », a-t-il balancé. Une phrase qui démontre la difficulté pour son gouvernement de créer les conditions propices à la création d’emplois afin d’atteindre le chiffre de 6 millions d’emplois promis aux Congolais.
Malgré ce défi majeur sur l’emploi des jeunes, Félix Tshisekedi note cependant « des progrès notables » réalisés par le pays. Il a vanté des réalisations économiques en dépit de ce contexte économique difficile. C’est notamment le cas de la construction de la Zone économique spéciale de Maluku, où une usine de fabrication de carreaux emploie plus de 1 000 Congolais et produit environ 50 000 mètres carrés de carreaux. Cela a permis d’arrêter l’importation de ce matériau de construction. Il a aussi évoqué le cas de l’usine de Pepsi qui produit à ce jour 1,2 million de bouteilles de boisson non alcoolisée. Ce qui renforce, selon lui, le concept de « made in RDC ». Il a aussi mis en avant la mine de zinc de Kipushi, dans le Haut-Katanga, qu’il a inaugurée récemment après plus de 30 ans d’arrêt. Cette mine a la capacité de produire 45 000 tonnes de zinc.
Accès aux services sociaux de base
Le gouvernement, sous la présidence de Félix Tshisekedi, a poursuivi ses efforts pour garantir la mise en œuvre du Programme de développement local des 145 territoires (PDL-145T). La mise en œuvre de ce projet a été ralentie notamment suite à l’effort de guerre, les agences habilitées pour l’exécution de ce projet n’ont plus reçu le reste des fonds pour le financement des travaux. Ce programme permet entre autres l’accès aux services sociaux de base, tels que la santé, l’administration et l’éducation, à travers la construction des centres de santé, écoles et bureaux des territoires.
Dans le volet de la santé, il a vanté la construction de 300 centres de santé, dont un à Kalemie, inauguré par lui-même après avoir été équipé. Il y a également la couverture santé universelle, dont le programme de la gratuité de la maternité couvre désormais 13 provinces dans son implémentation. Parallèlement, le gouvernement renforce l’efficacité des services publics avec les réformes au sein de la Fonction publique, notamment avec la maîtrise des effectifs des fonctionnaires et agents de l’État.
Diversification économique
Le pays dépend en majorité des ressources issues des minerais. Félix Tshisekedi s’est battu, en 2024, pour commencer à concrétiser son slogan sur la « revanche du sol sur le sous-sol » afin de diversifier l’économie nationale. En octobre 2024, dans le cadre de la coopération avec la Banque africaine de développement (BAD), la RDC avait lancé, par l’entremise du Fonds social de la RDC (FSRDC), le Programme de transformation de l’Agriculture (PTA-RDC), bénéficiant d’un financement de 6,6 milliards de dollars américains sur dix ans. « L’autosuffisance alimentaire ne doit pas demeurer un slogan. Elle doit devenir une réalité. Et nous avons les moyens », insistait Félix Tshisekedi. Il promet d’engager les moyens supplémentaires pour l’encadrement et l’accompagnement des pêcheurs et des éleveurs. Une campagne agricole 2024-2025 a été lancée au cours du même mois pour permettre d’exploiter d’autres richesses du pays, notamment ses terres arables.
Pour mieux diversifier l’économie, Félix Tshisekedi sait combien les routes sont importantes. Au cours de l’année 2024, des avancées significatives ont été constatées dans les relations sino-congolaises avec la modification du contrat chinois. Une négociation menée avec le concours de l’Inspection générale des finances (IGF). Parmi les points d’accord figure la révision à la hausse du montant d’investissement pour les infrastructures, passant de 3,2 à 7 milliards de dollars supplémentaires. Une grande partie de ce montant est affectée à la construction des routes aussi bien à Kinshasa qu’à l’intérieur du pays. Félix Tshisekedi a d’ailleurs lancé les travaux de construction des rocades dans l’Ouest de la ville de Kinshasa pour notamment mettre fin aux embouteillages grâce aux fonds issus de ce contrat renégocié.
Fayulu dresse un tableau sombre
De son côté, l’opposition peint un tableau sombre de la gestion de Félix Tshisekedi. Le leader de la coalition Lamuka, Martin Fayulu, a dressé un bilan sans complaisance en 2024. Infrastructures inexistantes, situation humanitaire dramatique et une faible diplomatie, l’ancien candidat à la présidentielle de 2018 et 2023 a accusé le régime de Félix Tshisekedi de mauvaise gestion et de complaisance face à la misère des Congolais, alors que, selon lui, le camp au pouvoir vide les caisses de l’État. « La pauvreté explose. L’éducation et la santé s’effondrent, les grèves de fonctionnaires, de médecins et d’enseignants se multiplient. La gratuité de l’enseignement demeure un mirage, le chômage est à son comble, la jeunesse abandonnée à elle-même voit son avenir compromis. », a déclaré Martin Fayulu. Il a aussi mis en garde contre un projet de changement ou de modification de la Constitution initié par Félix Tshisekedi, un débat qui a occupé la seconde moitié de l’année 2024. Pour Fayulu, « un régime incompétent peut changer la Constitution 100 fois, les mêmes maux produiront les mêmes effets ».
Sayiba dénonce des « promesses trompeuses »
Dans son message de vœux, Patient Sayiba, ancien directeur général de l’OGEFREM, paraît choqué par des promesses qu’il qualifie de « trompeuses » de la part du régime de Félix Tshisekedi. « Le peuple congolais, abandonné à son triste sort, vit au rythme des promesses trompeuses et d’une gouvernance centrée sur les intérêts personnels des dirigeants. Les conséquences de cette gestion irresponsable sont nombreuses et tragiques pour le pays et son peuple », a-t-il déclaré. Pour Patient Sayiba, la réalité démontre que la descente aux enfers continue de manière fatale et ce, sur fond d’une incompétence criante et d’un manque flagrant de vision. « Il n’est un secret pour personne que depuis 2019, la situation socio-économique, environnementale, professionnelle, sécuritaire et politique n’a cessé de se détériorer gravement. » Il cite au passage la baisse « drastique » du pouvoir d’achat des populations, des grèves répétées des enseignants et médecins, et une fracture sociale aggravée par « un tribalisme dévastateur jamais vécu dans l’histoire de notre pays. »
Sur le plan sécuritaire, ce proche de Joseph Kabila critique le traitement de faveur réservé aux mercenaires et aux armées étrangères au détriment des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). « L’armée, jadis symbole de fierté et de cohésion nationale, est aujourd’hui humiliée, remplacée par des milices improvisées. Au moment où nos vaillants militaires survivent avec des soldes de misère, les troupes étrangères et les mercenaires du gouvernement bénéficient de traitements indécents, tels des princes dans le palais d’un roi fainéant », a-t-il dénoncé.
En 2025, Kabila veut signer un retour politique
Dans un message adressé aux Congolais, le 4 janvier, Raymond Tshibanda, coordonnateur de la cellule de crise du FCC, la plateforme politique de Joseph Kabila, a déclaré que l’ancien président de la République n’avait jamais pris sa retraite politique, mais qu’il était en « congé sabbatique », prêt à répondre à l’appel du peuple congolais afin de relever les défis de la RDC.
Face à ce qu’il qualifie de « dictature » du régime actuel, Raymond Tshibanda a indiqué que le devoir du Front Commun pour le Congo est de faire de chaque foyer, quartier et village, une « cellule de résistance » afin de rester digne des martyrs de l’indépendance. Il a assuré que l’ancien président reste encore dans le jeu politique malgré son silence. « Que ceux qui prennent le taiseux pour un muet et donnent le lion au repos pour mort se détrompent », a-t-il déclaré.
Heshima
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RDC : l’économie face aux risques d’instabilité politique et de surendettement
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17 heures agoon
juin 5, 2025By
La redaction
La République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à une dette publique significative, tant au niveau intérieur qu’extérieur. Réduite de 14 à 3 milliards de dollars en 2010 et maintenue à ce montant jusqu’en 2019, l’encours de la dette a explosé ces dernières années, dépassant la barre de 10 milliards de dollars en 2023. Les résultats des projets liés à ces fonds empruntés restent encore mitigés. Ce qui alimente des soupçons de gabegie et interroge sur les retombées d’un tel endettement dans un pays menacé par une instabilité politique.
Depuis 2019, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont augmenté leur contribution financière dans la gouvernance en RDC. Le 3 mai 2025, la Banque mondiale a annoncé avoir approuvé un financement global de 1,49 milliard de dollars pour quatre projets dont celui du barrage hydroélectrique Inga 3 longtemps resté dans le tiroir des projets faute de financement. Dans ce montant global, 200 millions de dollars serviront à la résilience aux inondations dans les villes de Kinshasa et Kalemie ; un montant de 600 millions sera affecté à la gouvernance, transparence et résilience économique ; 440 millions sont prévus pour la construction de 200 km d’autoroute et un pont de 700 mètres à construire sur la rivière Lualaba et enfin 250 millions pour le projet Inga 3. Pour bien implémenter ce quatrième projet, la Banque mondiale a mené des consultations auprès des populations locales pour le volet développement communautaire du programme Inga 3. Pour ce faire, cette institution financière prévoit une enveloppe de 100 millions de dollars destinée à assurer un soutien aux habitants vivant à proximité du site hydroélectrique d’Inga, sur le fleuve Congo.
En dehors de cette enveloppe débloquée par la Banque mondiale, une autre institution financière internationale, le FMI, apporte énormément de liquidités à la RDC depuis 2020. Cet apport se matérialise par divers programmes de financement et d’assistance technique, visant à stabiliser l’économie, promouvoir une croissance durable et améliorer la gouvernance. Depuis l’établissement du programme avec le gouvernement congolais en 2020, le FMI a approuvé des accords de crédit pour un montant total de près de 3 milliards de dollars en faveur de la RDC. Ces accords, notamment la Facilité Elargie de Crédit (FEC) et la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD), visent à soutenir la stabilité macroéconomique et à financer des réformes structurelles. Ces fonds sont octroyés sous forme d’aide, mais aussi de dettes que l’État congolais devra rembourser.
En janvier 2025, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un accord de 1,729 milliard de dollars au titre de la Facilité Elargie de Crédit. La principale inquiétude concernant ces financements massifs des institutions financières internationales est la capacité de solvabilité du pays, ainsi que l’utilisation de ces fonds par le gouvernement. Plusieurs rapports de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) accusent le gouvernement de gabegie financière.
Dans une étude sur la gouvernance de Félix Tshisekedi entre 2022 et 2024, cette ONG spécialisée dans les finances publiques note une mauvaise gouvernance budgétaire qui n’a permis ni de créer des richesses, ni d’améliorer les conditions sociales de la population, et encore moins d’être susceptible de rendre effective la décentralisation telle que prévue par la Constitution. Selon cette structure, cette mauvaise gouvernance ne place pas le pays sur la voie de l’émergence.
Les craintes d’un surendettement du pays
La RDC est encore classée parmi des pays à risque modéré de surendettement extérieur et global. Le FMI estime que les perspectives économiques du pays sont encore favorables, mais sujettes à des risques significatifs orientés à la baisse. Ces risques incluent notamment l’aggravation des conflits armés dans l’Est, les pressions inflationnistes et un ralentissement brusque de l’économie surtout pour un pays qui n’a pour principale source de revenu que ses mines. Un choc dans ce secteur pourrait immédiatement paralyser l’économie du pays.
Les tenants du pouvoir actuel rassurent au sujet de la dette publique, selon eux, est contrôlable. Le député national Flory Mapomboli, ancien cadre au ministère des Finances, avait estimé que la dette publique qui aurait été stabilisée en 2010, représentait 26% du PIB. Ce ratio est de près de 16% en 2024. « Où se trouve le surendettement entre les deux périodes susmentionnées ? Personne ne pourra me contredire sur ces chiffres avec lesquels il est presque impossible de faire du populisme. », précisait-il quand il répondait aux accusations de surendettement du pays lancées par l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Selon Flory Mapamboli, le niveau de vie de la population congolaise a augmenté, progressant de 24% en dollars entre 2018 et 2024. Concrètement, ce PIB est passé respectivement de 557 à 693 dollars.
Si au niveau du gouvernement central l’endettement est encore contrôlé, en provinces, les entités sombrent dans le surendettement. La Direction générale de la dette publique (DGDP), qui a la mission de proposer la politique nationale d’endettement, avait noté dans un rapport publié en juin 2022 que certaines provinces du pays négociaient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat (DGDP), se mettant ainsi dans un état de surendettement. Une situation qui entrave le décollage de ces entités ainsi que la réalisation de leurs projets de développement. C’est le cas de la ville de Kinshasa. Selon l’état des lieux dressé par l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, son prédécesseur (André Kimbuta) avait laissé des dettes dans toutes les banques, sauf à la BCDC. « Des dettes de plus de 60 millions de dollars. La plus grande de dettes que nous connaissons c’est à l’UBA, à quelques jours des élections présidentielle et législative nationale de 2018. André Kimbuta a contracté une dette de 14 millions de dollars. Là où cet argent est parti, on ne sait pas », déclarait-il en faisant le bilan de l’an un de sa gestion à la tête de la capitale.
Lui-même avant de partir, il a contacté une dette de plusieurs décennies pour la construction du Marché central de Kinshasa. Il en est de même pour certaines autres provinces comme le Maï-Ndombe. Ce surendettement de certaines provinces peut aussi affecter l’économie du gouvernement central car l’État central est censé être aussi responsable des dettes contractées ou garanties par les provinces, d’après la DGDP. Selon plusieurs rapports de cette structure publique, certaines provinces négocient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat, se mettant ainsi dans un état de surendettement.
Les risques d’instabilité politique
Malgré l’embellie économique actuelle, la RDC n’est pas totalement sortie de zones de risques. La plus crainte, c’est le risque lié à l’instabilité politique, notamment en raison de conflits armés et de la crise humanitaire. L’instabilité politique a un impact négatif sur les entreprises et l’économie, tandis que les conflits armés et la crise humanitaire exacerbent les difficultés économiques. Malgré le budget national 2025 de 18 milliards de dollars, plus de 26 millions de Congolais sont atteints par une faim aigue, selon les chiffres publiés en octobre 2024 par le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette famine a été accentuée par les conflits armés dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maï-Ndombe et de l’Ituri. Dans les Kivus, la présence des rebelles de l’AFC/M23 constitue une menace directe pour la stabilité des institutions du pays. Ces rebelles ont carrément créé une administration parallèle dans les zones occupées dont les villes de Goma et Bukavu.
Cette situation sécuritaire a provoqué une explosion des dépenses militaires et un creusement du déficit budgétaire. Mais malgré ces problèmes sécuritaires, l’économie congolaise a fait preuve de résilience, avec une croissance économique atteignant 6,5 % en 2024.
Heshima
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Go-Pass en RDC : 15 ans de ponction pour des aéroports toujours en ruine
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24 heures agoon
juin 5, 2025By
La redaction
Depuis son instauration en janvier 2009, la taxe Go-Pass, officiellement nommée Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (IDEF), pèse sur chaque billet d’avion en République démocratique du Congo (RDC). Présentée comme un levier pour moderniser des aéroports vétustes, cette redevance devait transformer des infrastructures défaillantes en hubs modernes, capables de soutenir l’économie d’un pays vaste et riche en ressources. Quinze ans plus tard, les pistes dégradées, les équipements obsolètes et l’opacité persistante dans la gestion des fonds suscitent indignation et interrogations. Où est passé l’argent du Go-Pass ? Heshima Magazine dresse un état des lieux exhaustif de ce scandale qui illustre les défis de gouvernance en RDC.
Lancée le 1er janvier 2009, la taxe Go-Pass impose une redevance de 50 dollars pour les vols internationaux et 10 dollars pour les vols domestiques, perçue par la Régie des voies aériennes (RVA), un établissement public sous la tutelle du ministère des Transports. À l’époque, l’objectif était ambitieux : collecter 2 milliards de dollars pour réhabiliter des aéroports comme N’Djili à Kinshasa, Lubumbashi, Goma ou encore Mbuji-Mayi, dont les infrastructures souffraient de vétusté, avec des pistes mal entretenues, des tours de contrôle défaillantes et des normes de sécurité aérienne souvent ignorées. Selon un article de Zoom Eco publié en 2019, la taxe devait permettre de hisser les aéroports congolais au niveau des standards internationaux, renforçant ainsi la connectivité essentielle pour le commerce des minerais et le tourisme.
Dès son lancement, le Go-Pass a suscité des critiques. Pourquoi imposer une nouvelle taxe dans un pays où le coût des billets d’avion figure déjà parmi les plus élevés d’Afrique centrale ? Les autorités justifiaient cette mesure par l’absence de subventions étatiques suffisantes et le manque de financements internationaux pour moderniser les infrastructures. Pourtant, ce qui était présenté comme une solution temporaire s’est institutionnalisé, devenant une charge quasi permanente pour les voyageurs, sans résultats tangibles à la hauteur des attentes.
Une collecte massive, des résultats dérisoires
Les chiffres révèlent l’ampleur du décalage entre les promesses et la réalité. Selon un rapport confidentiel du ministère des Finances de 2022, près de 470 millions de dollars auraient été collectés entre 2009 et 2021. Un rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), relayé par Media Congo, estime quant à lui que 225 millions de dollars ont été perçus entre 2009 et 2019, tandis que RFI rapporte en mai 2021 que seulement 200 millions de dollars ont été collectés jusqu’en 2021, soit à peine 10 % de l’objectif initial de 2 milliards. Ces écarts dans les estimations soulignent déjà un manque de transparence dans la gestion des fonds.
Sur le terrain, les améliorations sont quasi invisibles. À l’aéroport international de N’Djili, vitrine du pays, quelques travaux ont été réalisés : un scanner a été installé, la salle d’embarquement légèrement agrandie, et une réhabilitation partielle de la piste entreprise. Une nouvelle aérogare modulaire, ouverte en juin 2015 et capable d’accueillir un million de passagers par an, a été financée à 85 % par un prêt chinois, comme l’a indiqué Radio Okapi. Cependant, ces efforts restent marginaux face à l’état général de l’aéroport, toujours marqué par des équipements obsolètes et des services inadéquats. Des travaux de réhabilitation plus ambitieux sont annoncés pour début 2025, mais ils suscitent un scepticisme légitime après des années de promesses non tenues.
Les aéroports secondaires, comme ceux de Goma, Kindu, Kalemie, Mbandaka, Gemena, Isiro, Mbuji-Mayi ou Kananga, sont dans un état encore plus préoccupant. À Mbandaka, le bâtiment principal n’a pas été rénové depuis l’époque de Mobutu, selon des témoignages locaux. À Kananga, les passagers embarquent sous la pluie, faute d’abris fonctionnels. À Mbuji-Mayi, des pannes récurrentes de radio-navigation obligent parfois les pilotes à se poser à vue. Quelques exceptions notables, Goma a bénéficié du Projet d’amélioration de la sécurité à l’aéroport de Goma (PASAG), financé par la Banque mondiale, avec une piste réhabilitée, une tour de contrôle modernisée et un balisage amélioré, inaugurés en novembre 2021. Ces travaux ont permis une augmentation de 10 % du trafic annuel de fret et de passagers, même pendant la pandémie de Covid-19, selon la Banque mondiale. À Kisangani, l’aéroport de Bangoka a été rénové mais toujours pas avec les revenus générés par Go-Pass. C’est un financement de la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre du projet prioritaire de sécurité aérienne phase 2. Actuellement, la salle d’embarquement de cet aéroport peut prendre en charge plus de 300 passagers en heure de pointe. Sa piste d’atterrissage a été aussi rénovée. Ces avancées, financées par des partenaires extérieurs, ne doivent rien au Go-Pass.
Une gestion opaque et des détournements avérés
La gestion des fonds Go-Pass est un scandale en soi. En 2023, le directeur général de la RVA, a admis devant la Commission économique, financière et budgétaire de l’Assemblée nationale que les recettes « n’ont pas toujours été utilisées exclusivement pour les investissements ». Selon un audit partiel de la Cour des comptes en 2021, plus de 60 % des fonds ont été affectés à des dépenses courantes (salaires, frais de fonctionnement, missions de contrôle) sans traçabilité claire. Le GEC, dans son rapport de 2021, précise que 37 millions de dollars ont servi à construire un pavillon présidentiel à N’Djili, 6 millions ont été injectés dans le capital de Congo Airways, et une autre partie a couvert les charges salariales de la RVA, au lieu de financer des projets d’infrastructure. RFI rapporte également le cas d’Abdallah Bilenge, ancien directeur de la RVA, condamné en janvier 2021 à 20 ans de prison pour détournement de fonds, bien que les charges portaient principalement sur des cotisations sociales. Les investigations du GEC suggèrent que les recettes du Go-Pass ont été affectées par des écarts comptables inexpliqués.
La RVA, qui gère seule la collecte et l’utilisation des fonds, est lourdement endettée, avec un passif de 60 à 130 millions de dollars selon les sources. Aucun compte séquestre, comme prévu en théorie pour sécuriser les recettes, n’a jamais été mis en place. Le ministère des Transports, chargé de la supervision, se limite à des rapports annuels lacunaires, tandis que le ministère des Finances se désengage, arguant que la taxe n’est pas sous sa gestion fiscale. En 2024, une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes a pointé une gestion anarchique, marquée par l’absence d’appels d’offres et des soupçons de rétrocommissions et de surfacturations.
Cette opacité a alimenté la colère populaire. En 2023, le Programme Multisectoriel de Vulgarisation et Sensibilisation (PMVS) a organisé des sit-in à Kinshasa pour exiger la suppression du Go-Pass, qualifié d’« usurpateur et injuste ». Les citoyens dénoncent une taxe qui ponctionne sans offrir de services en retour, dans un pays où les vols restent essentiels pour relier des régions enclavées.
Un impact économique et social désastreux
L’absence de modernisation des aéroports a des conséquences profondes. Dans un pays de 2, 345 millions de kilomètres carrés, où les routes sont souvent impraticables, le transport aérien est une bouée de sauvetage pour le commerce, l’administration et les urgences humanitaires. Pourtant, les infrastructures vétustes limitent la capacité des compagnies aériennes à opérer efficacement. Selon Businessday NG, la RDC compte 272 aéroports « utilisables », mais leur état freine leur compétitivité face à des hubs comme Nairobi ou Johannesburg. Concrètement, sur ce nombre d’aéroports et aérodromes, seuls 38 sont opérationnels et seulement 20 reçoivent régulièrement des vols. Cette situation entrave les exportations minières, décourage les investisseurs et limite le potentiel touristique, malgré les richesses naturelles du pays.
La sécurité aérienne est un autre point noir. Les avis de voyage, comme ceux du gouvernement britannique, soulignent les risques liés à l’état des infrastructures et à l’absence de normes fiables. À Kisangani ou Mbuji-Mayi, les pannes de radio-navigation exposent les passagers à des dangers inutiles. Cette insécurité, couplée à des coûts élevés de transport aérien, renforce l’isolement de certaines régions et freine le développement économique.
Sur le plan social, le Go-Pass est devenu un symbole de défiance envers les institutions. « On paie 10 dollars à Bangoka, mais l’aéroport n’a ni électricité ni toilettes décentes », témoigne un commerçant de Kisangani. À Goma, un cadre de la RVA, sous couvert d’anonymat, confie au téléphone : « Les lampes solaires viennent d’un don, le balisage d’un projet japonais. Le Go-Pass n’a rien financé ici. » Ces témoignages reflètent une frustration croissante, exacerbée par l’absence de transparence et de résultats concrets.
Vers une réforme ou la fin du Go-Pass ?
Face à ce fiasco, les appels à la réforme se multiplient. Certains, comme Me Armand Mikadi, avocat à Lubumbashi, plaident pour la suppression pure et simple de la taxe : « La RDC est le seul pays où l’on paie une surtaxe pour des services inexistants. » D’autres, comme le Syndicat des travailleurs de l’aviation civile, proposent une refonte : réduction du montant, création d’un compte public supervisé par la Cour des comptes, publication annuelle des recettes et des projets financés, et implication des usagers dans le suivi. « Tant que la RVA est en quasi-faillite et sans audit indépendant, le Go-Pass restera un puits sans fond », résume Bernard, consultant en transport aérien.
Des initiatives récentes laissent entrevoir un espoir timide. Les travaux prévus à N’Djili pour 2025 et la modernisation de Mbuji-Mayi, financée par la Chine, pourraient marquer un tournant, à condition que les fonds soient gérés avec rigueur. Mais sans une volonté politique forte pour imposer des audits indépendants, des appels d’offres transparents et des sanctions en cas de détournement, ces projets risquent de rester des annonces sans lendemain.
Le Go-Pass, conçu comme un outil de progrès, s’est transformé en un symbole des dérives de la gouvernance congolaise. Dans un pays où l’avion est souvent le seul lien entre les provinces, la modernisation des aéroports ne devrait pas être une chimère. Quinze ans après, les Congolais attendent toujours des infrastructures dignes de leurs contributions. La balle est dans le camp des autorités : restaurer la confiance passe par des actes, pas par des promesses.
Heshima Magazine
Nation
Bukanga Lonzo, ce parc agro-industriel fantôme, peut-il revivre ?
Published
2 jours agoon
juin 4, 2025By
La redaction
À 250 kilomètres au sud-est de Kinshasa, dans les vastes plaines du Kwango et du Kwilu, le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo devait marquer un tournant pour la République démocratique du Congo (RDC). Lancé en 2014, ce projet ambitieux promettait de révolutionner l’agriculture congolaise, de réduire une facture d’importations alimentaires de 1,5 milliard de dollars par an et de faire de la région un grenier pour le pays. Mais en 2017, l’élan s’est brisé. Gestion chaotique, soupçons de corruption et marginalisation des communautés locales ont transformé ce rêve en cauchemar. Une timide relance en 2021 a redonné un brin d’espoir avec 6 000 tonnes de maïs produites, mais l’insécurité et les spoliations ont de nouveau paralysé le site en 2024. En ce mois de juin 2025, le gouvernement annonce un nouvel élan. Bukanga Lonzo peut-il enfin renaître de ses cendres, ou restera-t-il un symbole d’échec cuisant d’une politique agricole de cette dernière décennie ?
En 2013, face à une dépendance écrasante aux importations alimentaires, le gouvernement congolais, alors dirigé par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, mise sur Bukanga Lonzo comme projet pilote du Programme national d’investissement agricole. Étendu sur 80 000 hectares à cheval entre les provinces du Kwango et du Kwilu, le parc devait approvisionner Kinshasa, le Kongo Central et même Brazzaville en maïs, manioc, légumes et fruits. L’objectif ? Produire 350 000 tonnes de maïs par an et créer 5 000 emplois directs. « Bukanga Lonzo devait devenir le plus grand parc agro-industriel d’Afrique », proclamait Ida Kamonji Naserwa Sabangu, alors directrice du projet.
Ce rêve reposait sur un partenariat public-privé avec Africom Commodities, une entreprise sud-africaine. Le gouvernement a injecté 83 millions de dollars dans des infrastructures impressionnantes : une route de 30 km, une piste d’atterrissage de 2,5 km, un bassin de rétention d’eau de 45 millions de litres, selon le site Parc Agro. La Banque mondiale, via son Projet d’appui à la réhabilitation et à la relance du secteur agricole, a mobilisé une partie de ses 120 millions de dollars pour soutenir l’initiative. « Ce projet pouvait transformer l’agriculture congolaise et favoriser une croissance inclusive », affirmait Séverin Kodderitzach, directeur sectoriel de la Banque mondiale, sur les ondes de Radio Okapi. Des villages modernes, dotés d’écoles, de cliniques et d’électricité, étaient promis aux 4 490 habitants des six villages de la concession.
Le plan était audacieux : 20 000 hectares dédiés aux cultures, le reste pour des vergers, des élevages et des infrastructures communautaires. La première phase, centrée sur le maïs, visait à briser la dépendance aux importations et à positionner la RDC comme exportateur. « On rêvait d’une Kinshasa autosuffisante », confie, nostalgique, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Agriculture à Heshima Magazine.
Un fiasco aux racines profondes
Mais le rêve s’est vite effrité. Le sol sableux de Bukanga Lonzo, inadapté à la culture intensive du maïs, a plombé les rendements. Selon un rapport de l’Oakland Institute daté du 12 avril 2019, la superficie cultivée a chuté de 5 000 à 2 000 hectares en 2016, loin des 350 000 tonnes promises. « Les récoltes pourrissaient sur place, faute de logistique », raconte un ancien employé du parc à Heshima Magazine, sous couvert d’anonymat. José Masikini, ancien sénateur, pointait sur Radio Okapi un choix de site dicté par des intérêts politiques, une erreur fatale.
La gestion financière a viré au scandale. Un audit de l’Inspection Générale des Finances (IGF) a révélé que, sur 285 millions de dollars décaissés, seuls 80 millions ont servi au projet. Les 205 millions restants ? Volatilisés. « Un échec planifié dans sa conception », dénonçait Jules Alingete, alors inspecteur général des finances, chef de service, sur Radio Okapi.
Pire encore, les communautés locales ont été laissées pour compte. Neuf villages ont été dépossédés de leurs terres sans consultation, en violation de la loi. Les compensations, dérisoires, se limitaient à des pagnes ou 2 000 FC, selon l’Oakland Institute. « On nous a volé nos terres et notre dignité », pleure Kawaka Matondo, chef coutumier. En 2017, Africom jette l’éponge, abandonnant équipements et travailleurs sans salaire.
Des cicatrices qui marquent
L’effondrement de Bukanga Lonzo a semé la désolation. Plus de 5 000 personnes ont été déplacées, certaines brutalisées pour avoir résisté. Frédéric Mousseau, de l’Oakland Institute, rapporte des cas d’agriculteurs attachés à des arbres et fouettés pour avoir tenté de récupérer leurs terres. « Ils ont promis des emplois, mais nous n’avons eu que des larmes », soupire Marie-Ange Kabasu, une victime de spoliation. Les 5 000 emplois directs et 12 000 indirects promis n’ont jamais vu le jour, aggravant la misère locale.
L’environnement a aussi payé un lourd tribut. L’utilisation massive de 60 000 litres de glyphosate a pollué les rivières Lonzo et Kwango, causant des maladies de peau, des troubles respiratoires et des fausses couches, selon l’Oakland Institute. « Nos rivières sont devenues toxiques, nous n’avions plus d’eau potable », se désole Albert Mbey Moju, habitant de Wamba. Une étude de 2018 a confirmé la contamination des sols, rendant certaines zones incultivables. Les opportunités économiques, comme la production de 500 tonnes de fruits et légumes par jour, se sont évaporées, renforçant la dépendance aux importations.
Les travailleurs, eux, ont été abandonnés. Ils ont réclamé 15 à 30 mois d’arriérés de salaire lors de sit-ins à Kinshasa. « Nous sommes devenus irresponsables vis-à-vis de nos familles », déplore Patrick Tshibangu, représentant des agents du parc. La vente d’équipements agricoles à Maluku, estimée à 50 000 dollars, n’a pas servi à les payer, alimentant les soupçons de corruption.
Un sursaut fragile et une nouvelle ambition
En août 2020, le gouvernement tente une relance. En 2021, 6 000 tonnes de maïs sont produites sur 1 500 hectares. « C’est le fruit d’un travail bien fait », se félicitait Joseph Lumbala, ancien conseiller du ministre de l’Agriculture, cité par Financial Afrik. « Les gens se bousculaient pour acheter la semoule de Bukanga Lonzo car le prix était abordable », se souvient Maguy Olundu, vendeuse au marché de Yolo Médical.
Mais en 2024, l’insécurité stoppe net cet élan. Les conflits ethniques entre Teke et Yaka, qui sévissent depuis 2022, ont causé des morts et des destructions par des feux de brousse. Adèle Kahinda Mahina, alors ministre du Portefeuille, a alerté sur le pillage des entrepôts. En juin 2025, le gouvernement relance le projet, promettant un audit préalable. « Nous voulons faire de Bukanga Lonzo un moteur d’abondance », clame Jean-Lucien Bussa, ministre du Commerce extérieur, dans Zoom Eco.
Le nouveau modèle s’appuie sur trois sociétés créées en 2020 : une pour la gestion, une pour l’exploitation, et une pour la commercialisation via le Marché international de Kinshasa. Le gouvernement envisage d’ouvrir le capital au privé et de payer 30 mois d’arriérés de salaire, selon l’Agence congolaise de presse le 2 juin 2025. Mais la société civile reste méfiante. « Sans transparence ni inclusion des communautés, cette relance est vouée à l’échec », prévient un activiste du Kwilu.
Les leçons d’ailleurs et un espoir prudent
L’échec de Bukanga Lonzo contraste avec des réussites comme le parc de Bulbula en Éthiopie, qui a intégré 55 % de producteurs locaux en 2024 grâce à une localisation stratégique et un soutien public, selon un rapport de l’UNIDO du 15 janvier 2024. « Les parcs réussis connectent les agriculteurs aux chaînes de valeur », explique un expert. En RDC, le sol inadapté, l’insécurité et la corruption ont tout saboté.
Pour une relance durable, Floribert Kabayu, expert en économie agricole, plaide pour une acquisition foncière transparente, des études pédologiques sérieuses, une gouvernance rigoureuse et une sécurisation du site. Carlos Ngwapitshi Ngwamashi, auteur d’un livre sur le fiasco, propose une justice négociée pour récupérer les fonds détournés. « Bukanga Lonzo peut réussir si nous apprenons de nos erreurs », insiste-t-il. La FAO, dans un rapport de 2023, souligne l’importance d’impliquer les petits agriculteurs pour maximiser l’impact.
Un pari sur l’avenir
Bukanga Lonzo, c’est l’histoire d’espoirs brisés et d’ambitions démesurées. L’annonce, le 30 mai 2025, d’une nouvelle relance avec un audit et un modèle repensé ravive l’espoir d’une autosuffisance alimentaire. Mais les défis sont colossaux : sécuriser le site, restaurer la confiance des communautés et garantir une gestion intègre. D’ici 2030, Bukanga Lonzo pourrait devenir un moteur de développement, à condition de tirer les leçons des échecs passés et des succès d’ailleurs. Pour l’instant, il reste un symbole d’opportunités gâchées, mais aussi un appel à repenser l’agriculture congolaise avec audace et responsabilité.
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