Une enquête percutante de Global Witness jette une lumière sur un scandale aux ramifications internationales. Traxys, géant luxembourgeois du commerce de matières premières, est accusé d’acheter du coltan de conflit pillé en République démocratique du Congo (RDC) et acheminé via le Rwanda. Au cœur de cette affaire, le veto systématique du Luxembourg contre des sanctions européennes visant Kigali révèle une collusion présumée entre les intérêts économiques et l’inaction politique, au mépris des victimes de la guerre dans l’est congolais.
Global Witness révèle que Traxys a acquis 280 tonnes de coltan en 2024 auprès d’African Panther Resources Limited, un exportateur rwandais. Des données douanières et les témoignages de deux contrebandiers confirment qu’une part significative de ce coltan provient de Rubaya, une région de la RDC sous le contrôle du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda. Ce coltan, essentiel à la fabrication de téléphones portables, d’ordinateurs et de véhicules électriques, est extrait dans un climat de violence extrême. Le M23, qui a intensifié ses offensives en 2024 en s’emparant de Goma et Bukavu, tirerait environ 800 000 dollars par mois de ce commerce, notamment via une taxe de 15 % imposée aux contrebandiers.
Les exportations rwandaises de coltan ont doublé entre 2021, avec 1 000 tonnes, et 2023, atteignant 2 000 tonnes, avant d’enregistrer un record de 630 tonnes au premier trimestre 2024. Ces volumes, bien supérieurs à la capacité de production rwandaise, trahissent un trafic massif de minerais volés en RDC. Traxys, principal client d’African Panther, se trouve au centre d’une chaîne d’approvisionnement entachée par le conflit sanglant dans l’Est de la RDC.
Le Luxembourg, rempart contre les sanctions
Le Luxembourg, siège de Traxys, fait face à une vague de critiques pour son obstruction aux sanctions européennes contre le Rwanda. En février 2025, des sources concordantes, dont Euronews et RFI, ont rapporté que le Grand-Duché avait retardé l’adoption de mesures visant des leaders du M23 et des officiers rwandais. Cette position a provoqué une indignation telle que le Parlement luxembourgeois a voté à l’unanimité une motion exigeant des sanctions contre Kigali. Le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel, a été convoqué pour s’expliquer.
L’ONG Jambo ASBL accuse le Luxembourg de protéger Traxys, dont les profits dépendent de l’accès aux minerais rwandais. « Le veto luxembourgeois n’est pas un hasard », affirme un porte-parole de l’organisation. « Il vise à préserver les intérêts d’une entreprise qui prospère au prix du sang congolais. » Ce blocage a retardé des sanctions finalement adoptées le 17 mars 2025, ciblant neuf individus et une entité, tous, liés aux abus en RDC, mais le mal était fait : le Luxembourg s’est érigé en obstacle à la justice.
Un partenariat européen controversé
En février 2024, l’Union européenne a signé un partenariat stratégique avec le Rwanda pour sécuriser l’accès aux matières premières critiques, notamment le tantalum extrait du coltan. Présenté par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, comme un levier de la transition énergétique, cet accord ignore les alertes répétées des Nations Unies et d’ONG sur le trafic de minerais de conflit. Global Witness dénonce l’absence de garde-fous robustes pour empêcher l’importation de coltan lié à la guerre.
« L’UE doit assumer ses responsabilités », déclare Alex Kopp, responsable de campagne chez Global Witness. « En maintenant son partenariat avec le Rwanda, elle cautionne un système qui finance le M23. » Le haut représentant de l’UE, Kaja Kallas, a promis une révision de l’accord, mais les critiques s’intensifient. L’aide européenne au Rwanda, incluant un programme de 900 millions d’euros sous l’initiative Global Gateway, risque d’être détournée pour alimenter le conflit, alors que 7 000 à 12 000 soldats rwandais combattent aux côtés du M23, selon des estimations.
Traxys et African Panther : des justifications fragiles
Traxys rejette les accusations, mettant en avant des mesures de diligence telles que des visites de mines, des analyses chimiques et des audits indépendants. L’entreprise affirme que le coltan de Rubaya, dit « blanc », se distingue du coltan rwandais, dit « noir », par sa teneur en tantalum et niobium. African Panther, de son côté, nie tout approvisionnement à Rubaya et attribue la hausse de ses exportations à une reprise post-COVID, tout en revendiquant des inspections de 48 de ses 70 fournisseurs en 2024.
Ces arguments s’effritent face aux évidences. Des études académiques et des géologues spécialisés confirment que les teneurs en tantalum et niobium varient considérablement dans la région, rendant les tests chimiques peu fiables. Un rapport de l’ONU de 2015 documente des pratiques de mélange pour masquer l’origine des minerais. Par ailleurs, le système de traçabilité ITSCI, utilisé par Traxys et African Panther, est sous le feu des critiques. Un rapport de Global Witness de 2022 a révélé qu’il a servi à blanchir environ 90 % des exportations de tantalum, d’étain et de tungstène du Rwanda dans ses premières années.
Une crise humanitaire dramatique
Le conflit dans l’est de la RDC a déplacé des centaines de milliers de personnes, aggravant une crise humanitaire déjà dramatique. Le M23, financé par le commerce du coltan, contrôle des routes stratégiques et des mines à Rubaya, qui produisent à elles seules plus de 15 % du tantalum mondial. Les violences, exécutions, viols, pillages, se multiplient, comme l’a rapporté The Guardian le 21 décembre 2024, plongeant des familles entières dans l’exode.
Face à cette tragédie, l’inaction internationale est criante. Jean-François Le Drian, écrivain français spécialiste de la région des Grands Lacs, a dénoncé sur X « L’exploitation illégale des minerais en RDC est une honte pour la communauté internationale. Il est temps d’agir ! » Pourtant, le Luxembourg, par son veto, et l’UE, par son partenariat avec le Rwanda, semblent privilégier les intérêts économiques aux impératifs moraux et humanitaires.
Un appel à l’action
Global Witness presse la communauté internationale d’agir. Le Rwanda doit retirer ses troupes de la RDC et cesser tout soutien au M23. L’UE doit imposer des sanctions contre les responsables rwandais et les entreprises impliquées, sans obstruction du Luxembourg, et geler son aide au Rwanda, y compris le programme Global Gateway, tout en résiliant son partenariat sur les minerais. La transparence des données commerciales doit être assurée pour garantir la traçabilité des minerais, et les entreprises opérant dans la région des Grands Lacs doivent respecter les lignes directrices de l’OCDE sur la diligence raisonnable. Par ailleurs, la RDC et le Rwanda doivent relancer les négociations dans le cadre des processus de paix de Luanda et Nairobi pour désamorcer le conflit.
Le coltan qui alimente nos technologies est extrait au prix de vies humaines. Le veto luxembourgeois, en protégeant Traxys, prolonge cette tragédie. L’UE, en maintenant son partenariat avec le Rwanda, se rend complice d’un système qui finance la guerre. La vérité est désormais exposée : il est temps pour le Luxembourg, Traxys et la communauté internationale de rendre des comptes. La justice pour le peuple congolais ne peut plus attendre.
Heshima Magazine