S i aujourd’hui la diaspora est la dispersion d’une communauté ethnique ou d’un peuple à travers le monde, étymologiquement ce terme remonte à la conquête de la Palestine par Rome en 63 av JC au moment où les Romains assujettissent les Juifs et envoient un bon nombre de prisonniers à Rome ainsi que leur dissémination dans l’ensemble du monde sous leur domination.
Ce peuple se retrouvera de la sorte dans l’ensemble des pays du bassin méditerranéen aussi bien en Occident (Grèce, Portugal, Espagne…), en Afrique (Egypte, Tunisie… ) qu’en Orient.
Au cours des siècles suivants, le peuple juif connut d’autres déportations massives dans différentes parties d’Europe jusqu’à son retour en Palestine au lendemain de la seconde guerre mondiale. D’autres peuples subirent également ce sort au cours de leur histoire surtout à la suite des défaites face à leurs ennemis et l’Afrique et le Congo n’échappa pas à ce phénomène pour constituer un trait majeur et malheureux du cours de l’Humanité.
La diaspora africaine
Pour l’Afrique, cet épisode débute principalement à partir du XVIe siècle par la traite des esclaves. Elle est le fait des Portugais et des Espagnols qui s’approprient des terres en Amérique latine pour en faire des colonies et y expédient leur prise humaine pour les exploiter. En même temps que s’intensifie cette exploitation, ces puissances coloniales pénètrent de plus en plus dans les côtes africaines pour s’accaparer de la main-d’œuvre indispensable pour les travaux dans leurs colonies.
C’est à cette époque que le Congo actuel a vu sa population, spécialement celle du royaume Kongo, emportée de force dans les navires portugais pour leur acheminement en Amérique au Brésil, à Cuba, la Guadeloupe, en Haïti…
Parallèlement à ce mouvement à l’Ouest du pays, un autre se déroule à l’identique à l’Est occasionné par les esclavagistes arabo-swahilis qui écument la région du Katanga, du Kasaï, ou dans ce qui représentait avant la Province orientale pour capturer des esclaves et les envoyer en Inde, dans les pays arabes, à l’Ile Maurice, à Madagascar, à Oman… Tippo Tip est l’un de ses trafiquants, certainement le plus célèbre pour avoir mené des razzias à l’aide de fusils jusqu’à la fin de l’esclavagisme à l’époque coloniale belge.
Quelles que soient les directions prises, ce déplacement brutal de la population se chiffre par centaines de milliers de personnes, sans compter le nombre de personnes qui périssent en raison des durs traitements infligés à l’occasion de cette opération. Et malgré la différence des lieux, les caractéristiques de ce trafic sont identiques : il est organisé un marché des esclaves avec un point de rassemblement dans une île pour empêcher toute évasion ; les gens sont enchainés au cou et au pied en mélangeant entre eux les peuples de langues différentes pour qu’ils ne puissent pas communiquer.
Des lieux emblématiques, aujourd’hui sites touristiques mémoriels de cette époque comme l’Ile de Gorée au large de Dakar pour la partie Ouest ou l’Ile de Zanzibar pour l’Afrique de l’Est sont les rampes de départ des convois jusqu’à leur destination au loin de l’Afrique, au cours de voyages effectués dans d’horribles conditions, d’abord pour ce qui est des Amériques au Sud où le climat est assez similaire à celui de leur terre d’origine avant d’aboutir en Amérique du Nord où ils devaient en sus endurer les rigueurs du froid.
Arrivée sur place, cette diaspora congolaise mélangée avec d’autres peuples d’Afrique essaie de reconstituer son identité d’origine tout en voyant leur culture se mélanger avec celle des Blancs, donnant naissance au créole, à une musique singulière, à des danses comme la rumba mondialement connue qui tire son nom de kumba (nombril en kikongo) ou encore la capoeira …. Parmi ces originaires d’Afrique, on peut citer Jean-Jacques Dessalines, un lieutenant de Toussaint Louverture qui mena une rébellion contre la France en Haïti. Jean-Jacques Dessalines, qu’on définit comme Kongolais par les panafricanistes, finit par prendre la place de son chef pour proclamer en 1804, sous le nom de Jacques Ier, l’indépendance d’Haïti, première République noire, tout en se vengeant sur les Blancs de la cruauté qu’ils ont eu à imposer à sa race. Devant ses nombreux actes de cruauté, son règne s’interrompit brutalement en 1806 à la suite de son assassinat.
Puis, à la fin de l’esclavage, un mouvement prônant le retour en terre africaine s’est fait jour à partir du XVIIIe siècle : cette transplantation eut lieu du Brésil et de Cuba vers le Dahomey et le Togo, de Grande-Bretagne vers la Sierra Léone et surtout des Etats-Unis vers le Liberia. On peut imaginer que parmi ces personnes, pouvaient se retrouver des originaires du Congo, certes ayant adopté une identité autre, mais dont la présence dans cette nouvelle destination ne correspond pas à celle de leur point de départ.
La diaspora spécifiquement congolaise
Après le voyage de l’époque de la traite des esclaves, c’est un atterrissage après s’être détaché de la ceinture de sécurité, différemment des chaînes de jadis, qui conduit des Congolais en Belgique, métropole d’alors. Le voyage a pour motivation les études aussi bien dans l’enseignement supérieur que dans le secondaire ou encore dans la formation professionnelle, le souci du colonisateur étant que la future élite noire puisse mieux assimiler la culture occidentale et se préparer à occuper les postes de direction.
Ce mouvement, timide à la veille de l’indépendance, s’intensifie une fois l’accession du pays à sa souveraineté. Celui-ci étant confronté à se doter de cadres pour occuper des emplois de plus en plus nombreux dans ses institutions et ses entreprises réservés aux nationaux. En réalité, à cette époque le Congolais qui débarque en Belgique n’a qu’une obsession : vite terminer sa formation pour revenir au pays où un avenir professionnel l’attend à bras ouvert. Le Congo vient en effet d’accéder à son indépendance et il se présente pour les diplômés tout un vaste boulevard pour évoluer socialement. C’est l’époque des Belgicains.
Surnom attribué au départ aux unitaristes belges opposés aux partisans du séparatisme entre la Flandre et la Wallonie ou encore à une façon spécifiquement belge de parler le français, le terme est collé par la suite aux résidents congolais de la Belgique. L’aura de ces derniers n’est pas des moindres dans la société congolaise lorsqu’elle les voit débarquer au rythme des grandes vacances et du retour de séjour avec un habillement qui dénote dans le paysage avec en plus un teint frais dû au climat du Nord ou des biens comme du mobilier, un véhicule…
En même temps, l’envie pressante de revenir au plus tôt s’estompe : au fil du temps, la réalité des difficultés sur place assortie de la crainte de revenir au pays sans le fameux diplôme, l’installation de la dictature mobutienne accouplée avec la crise économique poussent d’une part, beaucoup de Congolais à préférer rester en Belgique, mais également d’autre part, un bon nombre à vouloir quitter le Zaïre de l’époque pour venir s’installer dans l’ancienne métropole.
Le noyau de la diaspora congolaise moderne prend sans cesse de l’ampleur même s’il est vrai que les va-et-vient entre le Congo et la Belgique restent importants.
Mais sur place en Belgique, les Congolais s’installent davantage, se choisissent un lieu de ralliement à Ixelles, baptisé même à la couleur locale – le célèbre Matonge – où toute une tranche de vie congolaise a lieu avec des boîtes de nuit, cafés, restaurants et magasins pour satisfaire les consommateurs en mal du pays . C’est aussi la naissance d’une certaine effervescence de l’opposition au régime de Mobutu où quelques audacieux se risquent à distribuer sous le manteau des pamphlets, à l’abri de la capacité de délation de la toute-puissance du MPR, le parti unique.
En quête d’une vie meilleure, miroitée par les Belgicains et certainement par les vols des avions qui passaient sur leurs têtes, les Nd’jilois, habitants de la commune de N’Djili où est implantée l’aéroport de N’Djili (en fait à Masina), sont hantés de l’ardent désir de percer le mystère de l’Europe. D’autres, habitants de Kinshasa leur emboîtent le pas et l’appellation de ses nouveaux venus se généralise sous l’expression de « Mikilistes » (de Mikili ou de Miguel le monde pour désigner l’Occident), vite déclinée après la reconstitution de clans selon le lieu de vie : Bana Bella pour la Belgique, Bana Bundes de Bundestag pour la République fédérale d’Allemagne, Bana London pour l’Angleterre, Bana Panama pour la France (de Paname, Paris en argot) jusqu’à Bana States après la traversée de l’Atlantique, car la migration congolaise devient tous azimuts avec un acharne ment sans commune mesure. Tout y passe : prières, corruption, trafic d’êtres humains… Le risque est même sous-estimé malgré les échos des échecs de la traversée du désert ou de la mer. La destination n’est parfois plus une condition prioritaire et à défaut de l’Europe septentrionale, on est prêt à se contenter – en guise d’escale et parfois des traitements humiliants – même de l’Europe du Sud (Portugais, Espagnols, Grecs, Italiens) ou de la Turquie dont les habitants eux-mêmes émigrent au Nord. Et pour ceux qui ne parviennent pas à atteindre l’Europe, l’immigration se limite à l’Afrique. Ces oubliés de la diaspora se retrouvent dans les pays limitrophes du Congo, un peu plus loin en Afrique de l’Ouest ou de l’Est, ou encore en Afrique du Nord, aux portes de l’Europe dans l’attente de la première opportunité pour enjamber la mer. Au Sud, l’Afrique du Sud, première puissance du continent tire toutefois son épingle du jeu.
L’espoir déçu
L’acharnement à quitter sa terre se comprend dès lors qu’elle occupe une place importante dans la société à l’égard de qui la famille place son espoir, prête à se délester de son patrimoine, de se cotiser, pour tirer l’un après l’autre les autres membres de la famille à atteindre le ciel sur terre.
De leur côté, les bénéficiaires de cette chance sont censés pourvoir à des biens de production (véhicules, marchandises), apporter leur assistance aux deuils et autres manifestations familiales grâce aux revenus tirés de l’emploi et pourquoi pas d’opérations maffieuses (arnaques bancaires, trafics de drogues ou autre, trafics administratifs…). D’autres investissements ont lieu en guise de perspectives de retour au pays (achat d’habitation, construction d’immeuble pour les activités commerciales). Malheureusement, toutes ces opérations font souvent l’objet de déconvenues lorsque les personnes appelées à gérer sur place ne se montrent pas à la hauteur de la tâche confiée. Puis, entre le mal du pays, l’appel aux racines et l’ambition d’émerger sur place par rapport aux possibilités d’intégration et d’ascension au pays d’accueil, un retour massif de Congolais de la diaspora a lieu lors de la victoire de l’AFDL sur le régime de Mobutu. Ses nouveaux venus ont vite montré leurs limites professionnelles au point de se voir tournés en dérision par le sobriquet de « Diasa-diasa ».
Ainsi à la longue, bien que l’importance numérique de la diaspora congolaise soit de taille, le mythe s’est essoufflé : à part quelques figures de proue comme Mutombo Dikembe dont l’apport dans le domaine sanitaire est appréciable, Jean-Florent Ibenge qui a su élever notre équipe nationale de football, Shabani Nonda qui a érigé un hôtel de standing ou encore Sandrine Mubenga qui a mis au point un véhicule électrique, au niveau local on finit par se rendre compte que la vie est aussi pénible en Occident qu’ailleurs même si le progrès socio-économique en adoucit la dureté. En tout cas, ici comme ailleurs l’argent se gagne à la sueur de son front et qu’un sou est un sou là où tout est programmé.
De la sorte, n’est-on pas arrivé à un moment où plutôt que de toujours attendre de la diaspora, ne faudrait-il pas commencer à se demander que tirer d’elle en tant qu’important marché solvable de quatre bons millions de consommateurs en termes d’opportunités d’affaires, au vu des nombreux besoins ressentis par elle, puisés de sa terre d’origine ? .
Noël NTETE