La capitale de la République démocratique du Congo peine toujours à mieux évacuer ses déchets. Hier, qualifiée de « Kinshasa la belle », la mégalopole d’environs 17 millions d’habitants s’est transformée en un vaste dépotoir. L’opération « coup de poing » lancée il y a un mois par le nouveau gouverneur, Daniel Bumba, peine à donner de l’éclat à la ville.
Le gouverneur de la ville de Kinshasa avait lancé, tard dans la nuit du 10 au 11 août 2024, l’opération « Coup de poing » visant à assainir la capitale congolaise. Ce lancement avait été effectué lors d’une cérémonie au cours de laquelle Daniel Bumba s’était entretenu avec les agents chargés de mener ce travail pour les conscientiser sur les résultats que les Kinois attendent. A cette occasion, il avait promis une évaluation dans 45 jours après ce lancement. Ce 10 septembre, soit un mois après, la salubrité n’est pas toujours au rendez-vous. Une timide avancée est constatée dans certaines artères de la capitale. Mais dans l’ensemble de la ville, le « coup de poing » donné ne semble pas encore porté des fruits.
A la place Victoire, le constat d’une ville à l’agonie reste encore palpable, notamment à cause des voix d’évacuation d’eau. Le service d’assainissement intervient en dents de scie. Sur le Boulevard du 30 juin, certaines nuits, des agents tentent de désensabler la voie publique, sans réussir à le faire d’un bout à l’autre de la rue. A Magasin Kintambo, le géni militaire qui est associé à l’opération de salubrité essaie de relever ce défi de salubrité. « Les engins que nous utilisons sont limités en nombre. Compte tenu de la quantité de déchets déversés chaque jour à Kinshasa, il faudrait une politique pérenne et non une simple opération », estime un agent de salubrité.
Gestion des déchets !
Faire évacuer 3.400.000 tonnes de déchets que produit la ville de Kinshasa par jour est un véritable travail d’Hercule. Le gouvernement national devait aussi veiller sur les déchets plastiques prohibés en République démocratique du Congo mais produits à ce jour en grande quantité.
En 2018, un Décret-Loi du 30 décembre portant « interdiction de production, d’utilisation et de commercialisation des emballages en plastique » sur toute l’étendue du territoire national avait été promulgué. Depuis l’existence de cette loi, c’est l’effet contraire qui se produit, sans que l’autorité de l’Etat ne puisse s’imposer véritablement. Il s’observe un foisonnement de l’utilisation des produits en plastiques non biodégradables. Les marques de jus avec des emballages en plastique se multiplient. L’entreprise Pepsi vient s’ajouter à la liste, sans compter les effets de ces produits sur la santé des consommateurs. Ces déchets plastiques viennent renforcer l’insalubrité dans la ville. Les endroits récemment balayés sont souvent inondés des déchets plastiques. L’incivisme de certains Kinois y est aussi pour beaucoup !
Structurer le service de salubrité
Depuis plusieurs années, aucun service officiel de salubrité n’est vraiment opérationnel et viable. « A l’époque du président Laurent-Désiré Kabila, je voyais des agents portant des cache-poussières et balayaient régulièrement les rues de la ville. Ces agents ont disparu avec l’assassinat de Mzee », se souvient Gilbert Nimi, 54 ans, un natif de la commune de Ngaliema. A ce jour, cette tâche de salubrité a été confiée aux ONG. A Magasin-Kintambo, certains jeunes et dames portant des chasubles, feignent de balayer… Généralement, l’étendue de leur coup de ballet dépend de la présence ou non de leurs superviseurs d’ONG. Le reste du temps, ces balayeurs cherchent l’ombre pour éviter le soleil et certains se mettent à demander de l’aumône aux passants. En réalité, ces hommes et femmes membres des ONG de salubrité ont été inefficaces tout au long du temps qu’ils ont eu à passer sur les chaussées et les ronds-points de la ville pour le nettoyage.
Gouvernance inexistante…
Ce problème d’insalubrité est strictement lié à une mauvaise gouvernance de la ville. Les services qui devaient agir de concert pour faire vivre Kinshasa ne le font pas. L’Office de voirie et drainage (OVD) qui a notamment la compétence de curer les caniveaux accuse les services d’assainissement d’être inexistants. Pour Alain Tshimbalanga, directeur provincial de l’OVD, les bourgmestres de chaque commune devraient suivre les services d’assainissement de leurs municipalités pour empêcher que les réseaux de drainage d’eau ne soient constamment bouchés par des immondices. Mais cela n’est pas le cas à ce jour.
Pourtant, à Goma, une autre ville de la RDC, cette gouvernance de proximité fonctionne. Du maire de la ville aux bourgmestres, en passant par les chefs des quartiers et chefs de rues, l’administration à Goma est présente. L’action de l’Etat en termes de salubrité est prise en charge à partir du pouvoir local. Ce qui n’est pas le cas à Kinshasa où ce pouvoir est inexistant. En janvier 2021, le gouverneur de la ville de Kinshasa, Gentiny Ngobila, avait signé une note circulaire interdisant la production, l’importation, la commercialisation et l’utilisation des sacs et autres emballages plastiques dans toute la ville de Kinshasa. Une note circulaire qui s’est ajoutée sur un Décret-loi sans pour autant produire des effets escomptés. Ce texte proscrit l’utilisation des sachets pour la vente de l’eau conditionnée et interdit formellement de jeter le plastique sur la voie publique, sans toutefois mener en amont une politique d’installation des poubelles publiques.
Responsabilité des Kinois…
Les conséquences environnementales des emballages plastiques sont à la base de plusieurs catastrophes dont les Kinois et tous les Congolais en général sont victimes, notamment les inondations, la destruction du sol, les érosions ainsi que l’insalubrité. Les bouteilles sont une véritable bombe qui détruit la planète à petit feu. C’est ce qu’a confié, en 2022, madame Jeannette Bosingizi à la BBC.
La coordonnatrice de l’ONG environnementale Logos Premier faisait de la sensibilisation dans les quartiers de la capitale congolaise. Elle militait essentiellement auprès des femmes afin de leur apprendre comment garder leur environnement propre et surtout faire le tri de déchets. Mais son effort parait comme une goute d’eau dans un océan. Car, c’est le gouvernement qui devait faire un travail de sensibilisation de masse.
A côté des déchets, un autre mal de la ville se pose. La vente anarchique des terrains qui favorise l’absence de l’urbanisation et des inondations. Aucun plan d’aménagement local n’a été implémenté depuis 1957. Pourtant, le Décret n°22/21 du 24 mai 2022 portant création, organisation et fonctionnement d’un Etablissement public dénommé Guichet Unique de Délivrance du Permis de Construire en République démocratique du Congo stipule que « toute personne désireuse de construire, sur l’étendue du territoire de la République démocratique du Congo, au milieu urbain et au milieu rural, est tenue au préalable, d’obtenir un Permis de construire auprès du Guichet Unique de Délivrance de Permis de Construire, en sigle GUPEC ». Cette exigence est passée outre par des acheteurs et vendeurs dans plusieurs quartiers de la ville. L’OVD s’est récemment plaint de ne plus avoir accès aux lits d’une rivière car vendus à des particuliers. Conséquence : la rivière est devenue incurable voici maintenant deux ans, créant des inondations.
Dans cette mégalopole d’environ 17 millions d’âmes où les embouteillages viennent s’ajouter aux défis de la salubrité, le nouveau gouverneur a du pain sur la planche. Kinshasa, ville miroir de la RDC et qui connait désormais des inondations à la moindre pluie, a besoin d’une politique volontariste.
Heshima