Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Mouvement du 23 Mars (M23), fer de lance de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), a franchi un nouveau cap dans son entreprise de déstabilisation en désignant des gouverneurs parallèles pour le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Après avoir pris le contrôle de la ville de Goma le 27 janvier 2025 et Bukavu le 16 février, le groupe rebelle, accusé par l’ONU et les Etats-Unis d’être soutenu par le Rwanda, a nommé deux gouverneurs pour ces territoires occupés. Ces désignations, orchestrées par Corneille Nangaa, chef de l’AFC, ne sont rien d’autre qu’une tentative de légitimer une occupation violente, défiant le gouvernement central et exacerbant une crise humanitaire déjà catastrophique.
Joseph Bahati, un pion militaire dans un jeu ethnique dangereux
Joseph Bahati Musanga, alias Erasto, nommé gouverneur du Nord-Kivu le 5 février 2025, est un colonel autoproclamé du M23 et membre de la communauté tutsi. Sa désignation, loin d’être un gage de compétence, sert à renforcer la rhétorique ethniciste du M23, qui se pose en défenseur des Tutsis tout en alimentant les tensions avec d’autres communautés, notamment les Hutus. Avant cette nomination, Bahati était directeur financier au sein du M23. Certaines sources affirment qu’il a été récompensé par le M23 à cause de son rôle d’argentier mais aussi pour avoir échappé miraculeusement lors d’une frappe de drone des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Il a été invisible depuis de longs mois, laissant libre cours aux rumeurs sur sa mort. Il va finir par réapparaitre quelques jours avant la prise de la ville de Goma.
Loin de stabiliser la région, Bahati s’est attiré les foudres de la communauté internationale. L’Union européenne l’a sanctionné pour son rôle dans le conflit armé, l’insécurité et les violations des droits humains, incluant des menaces directes contre des activistes à Goma. Des rapports de Human Rights Watch documentent ces intimidations, comme un appel menaçant qu’il aurait passé à un défenseur des droits humains le 27 janvier 2025. Sa prétendue gouvernance, assistée par des vice-gouverneurs comme Willy Manzi Ngarambe et Shadrak Amani Bahati, n’est qu’une façade pour maintenir l’emprise du M23, avec des mesures comme l’extension des heures d’ouverture de la frontière rwandaise, qui favorisent les intérêts rwandais au détriment de la souveraineté congolaise.
À Goma, la population vit dans un climat de peur permanente. Selon RFI, les habitants dénoncent des extorsions quotidiennes par les forces du M23, qui imposent des taxes illégales sur les commerçants et les citoyens, rendant la vie intenable dans une ville déjà asphyxiée économiquement. La brutalité du M23 est également documentée par Radio Okapi, qui rapporte des exécutions sommaires et des enlèvements, poussant la population à appeler à une intervention internationale urgente. Par ailleurs, Jeune Afrique souligne une crise de liquidité sans précédent à Goma, où l’absence de cash paralyse les transactions quotidiennes, exacerbant la misère des habitants sous le joug du M23.
Une nomination au service d’une occupation au Nord-Kivu
La désignation de Joseph Bahati, annoncée dans la précipitation après la chute de Goma, est un affront au gouvernement central, qui a nommé le général-major Evariste Somo Kakule comme gouverneur légitime basé à Beni, siège provisoire des institutions de la province. Cette dualité de pouvoir illustre l’anarchie imposée par le M23, qui cherche à se draper d’une légitimité administrative tout en semant la terreur. Les promesses de réouverture des ports ou de relance économique sont des leurres, masquant une réalité où les civils vivent sous la menace constante de violences, comme en témoignent les exécutions et viols rapportés par Amnesty International. Selon un rapport d’Amnesty, le M23 est responsable de 69 % des violations des droits humains dans les zones qu’il contrôle, incluant des massacres, des viols collectifs et des recrutements forcés d’enfants soldats.
Au Nord-Kivu, le M23/AFC a procédé à la nomination d’un délégué aux mines et d’un administrateur financier, signalant une volonté claire de contrôler les circuits économiques locaux, notamment dans des zones riches en coltan, or et cassitérite comme Walikale. Ces affectations, largement dénoncées par les acteurs humanitaires et économiques, révèlent une stratégie de prédation plus qu’un projet de gouvernance. Elles s’ajoutent à la réactivation de certains axes transfrontaliers avec le Rwanda, comme celui de Petite Barrière, facilitant un commerce illicite au détriment des intérêts de l’État congolais. Selon Actualité.cd, d’autres groupes armés comme les Nyatura (12 %) et les Mai-Mai Mazembe (7%) contribuent également aux violences, mais le M23 reste le principal acteur de cette spirale observée depuis 4 ans.
Dans un effort pour consolider son emprise économique, Corneille Nangaa a annoncé en mars 2025 la création d’une « Nouvelle Banque du Kivu » pour pallier le manque de liquidité dans les zones sous contrôle du M23, une initiative dénoncée comme illégale par les autorités congolaises. Selon Africa Infos, cette banque vise à centraliser les ressources pillées, mais Steve Mbikayi, homme politique congolais, a affirmé que les sanctions internationales contre Nangaa rendraient ce projet inopérant. Plus récemment, le 7 avril 2025, Nangaa a lancé la CADECO (Caisse générale d’épargne du Congo), une structure parallèle pour soi-disant relancer l’économie locale, mais Radio Okapi rapporte que la direction générale de la CADECO officielle a dénoncé cette initiative comme une fraude, accusant le M23 de vouloir légitimer son pillage des ressources.
L’opportunisme au service d’une cause illégale au Sud-Kivu
Emmanuel Birato Rwihimba, alias Manu Birato, nommé lui aussi gouverneur du Sud-Kivu le 28 février 2025, incarne l’opportunisme au cœur de cette entreprise rebelle. Homme d’affaires originaire de Bukavu, il a navigué entre les sphères politiques congolaises, passant du PPRD de Joseph Kabila, de l’UNC de Vital Kamerhe, à l’Union sacrée de la nation sous Félix Tshisekedi, avant de rejoindre l’AFC/M23 après un exil en Belgique. Son parcours, marqué par des allégeances changeantes et une rupture avec Vital Kamerhe en 2019, révèle un homme prêt à saisir toute opportunité, même au prix de la trahison et de sang. Sa nomination n’est pas le fruit d’un mérite, mais d’un calcul pour rallier des élites locales à une cause illégitime.
Une gouvernance sous le joug de la violence
À Bukavu, Birato est assisté par Dunia Masumbuko Bwenge et Juvénal Gishinge Gasinzira, chargés respectivement des affaires politiques et économiques. Mais cette administration autoproclamée opère dans un climat de peur. Selon le journal Le Monde, les rebelles du M23 imposent leur autorité par la terreur, avec des arrestations arbitraires et des exécutions publiques qui sèment la panique parmi la population. Des rapports de l’ONU font état de viols collectifs et d’exécutions sommaires dans le Sud-Kivu sous contrôle du M23, des atrocités qui contredisent les promesses de sécurité de Birato. MSN rapporte que Bukavu est en état d’alerte permanente, avec un exode massif des habitants fuyant la menace rebelle, tandis que le gouverneur légitime du Sud-Kivu, Jean-Jacques Purusi, a alerté sur un « carnage quotidien » dans sa province, dénonçant l’incapacité des forces de l’ordre à protéger les civils.
Depuis mars 2025, l’administration parallèle mise en place par Emmanuel Birato à Bukavu s’est dotée d’une structure plus complète : deux vice-gouverneurs, un maire et plusieurs responsables sectoriels ont été désignés sans aucun mandat légal. Cette expansion institutionnelle autoproclamée vise à imposer une normalisation forcée de l’occupation. Mais loin d’apaiser la situation, ces décisions ont renforcé un climat de répression. Selon l’UNICEF, les violences sexuelles ont atteint une ampleur inédite dans les zones contrôlées par le M23/AFC, où le viol est utilisé comme une arme de guerre. Ce recours systématique à la terreur démystifie le discours sécuritaire de Birato.
La suspension des activités minières formelles, signalée par l’ITSCI, paralyse l’économie locale, tandis que les ressources continuent d’être pillées pour financer les opérations rebelles. Loin d’être un sauveur, Birato est un rouage d’une machine de prédation, où les richesses du Sud-Kivu sont détournées au profit du M23 et de ses alliés dont le Rwanda.
Une stratégie illégale et destructrice
Les nominations de Bahati et Birato sont une provocation directe contre Kinshasa, qui maintient des gouverneurs légitimes dans ces provinces. En instaurant des administrations parallèles, le M23/AFC cherche à se poser en État de fait, une manœuvre dénoncée par un envoyé de l’ONU comme une menace d’expansion vers d’autres provinces. Cette stratégie s’appuie sur la force brute : depuis janvier 2025, le M23 a causé des milliers de morts et déplacé environ un million de personnes, dont 400 000 enfants, déplore l’ONU. Loin de stabiliser, ces gouverneurs autoproclamés aggravent une crise humanitaire déjà qualifiée de « pire au monde » par les Nations Unies. Un rapport récent de l’ONU, publié en avril 2025, souligne que plus de 7 millions de personnes sont déplacées dans l’est de la RDC, avec des besoins humanitaires criants, notamment en matière de nourriture et d’abris, qui restent largement insatisfaits.
Un jeu régional aux conséquences dévastatrices
Le soutien du Rwanda corroboré par des rapports de l’ONU et des sanctions contre des officiers rwandais, place ces nominations dans un contexte régional explosif. Le M23 contrôle désormais près de 20 % du territoire congolais, coupant des routes stratégiques comme celle reliant le Nord-Kivu au Sud-Kivu. Les combats persistants, notamment à Walikale et dans le Sud-Kivu, malgré des appels au cessez-le-feu par l’EAC et la SADC, montrent que ces gouverneurs ne sont que des marionnettes dans un conflit plus large, où les minerais du Kivu financent l’escalade militaire. La BBC rapporte que des affrontements récents dans la région de Masisi, en mars 2025, ont fait des dizaines de morts, illustrant la volatilité persistante de la situation.
Un avenir sombre pour le Kivu
Les sanctions de l’UE et des États-Unis contre des figures du M23, dont Bahati, et les pourparlers avortés à Doha et Luanda illustrent l’impuissance internationale face à cette crise. Le retrait des forces de la SADC, après des pertes face au M23, et l’échec des médiations régionales laissent les civils congolais à la merci des rebelles. Un post du député Steve Mbikayi sur X, datant d’octobre 2024, affirmait déjà que « le M23 est un outil de Kigali pour contrôler les richesses du Kivu », une analyse qui résonne avec les événements actuels, bien que cette information reste à vérifier.
Dans un récent rapport, le Conseil de sécurité des Nations Unies a fermement condamné ces prises de pouvoir illégales et les actes de violence commis par le M23/AFC, tout en pointant la responsabilité du Rwanda dans la poursuite des hostilités. Ces condamnations internationales, bien que nombreuses, peinent encore à enrayer la dynamique expansionniste du groupe rebelle, qui continue d’imposer sa loi par la force, en sapant les fondements mêmes de la souveraineté congolaise.
Les nominations de Joseph Bahati Musanga et Emmanuel Birato Rwihimba ne sont pas des actes de gouvernance, mais des outils d’une occupation illégale. Loin de mériter la moindre considération, ces figures symbolisent l’arrogance d’un mouvement qui prospère sur la souffrance des Congolais. Avec des villes comme Goma et Bukavu à l’arrêt, des marchés paralysés et des millions de déplacés, le M23/AFC ne construit pas un avenir, mais un chaos. La communauté internationale et le gouvernement congolais doivent redoubler d’efforts pour restaurer la souveraineté nationale et mettre fin à cette mascarade, avant que le Kivu ne s’enfonce davantage dans l’abîme.
Heshima Magazine