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RDC : Kabila, Mutamba, Matata, ces grands noms dans le collimateur de la justice

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C’est un séisme judiciaire qui secoue la République démocratique du Congo (RDC). Le ministre de la Justice, Constant Mutamba – réputé pour ses injonctions de poursuites – est lui-même au cœur d’une action judiciaire initiée par le procureur général près de la Cour de cassation. Dans un autre tableau, l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo a été condamné, le 20 mai 2025, à 10 ans de travaux forcés dans le cadre du dossier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo. Enfin, ce jeudi 22 mai, le Sénat va se prononcer sur la levée ou non des immunités de Joseph Kabila poursuivi pour crime de guerre. Ces dossiers mêlant des grands noms de ce pays constituent un tournant judiciaire majeur en RDC.

Constant Mutamba : le ministre de la Justice sous enquête

Le procureur général près de la Cour de cassation a demandé le 21 mai 2025 à l’Assemblée nationale l’autorisation de poursuivre le ministre d’État en charge de la Justice, Constant Mutamba, pour présumé détournement des fonds publics estimés à 39 millions de dollars, alloués à la construction d’un complexe pénitentiaire à Kisangani, dans la province de la Tshopo. Pour statuer sur ce cas, la chambre basse du Parlement a mis en place une commission pour auditionner Constant Mutamba avant d’autoriser l’ouverture de l’information judiciaire à son encontre. Ces faits, qui avaient commencé comme des rumeurs, ont pris une tournure sérieuse après le réquisitoire du procureur général Firmin Mvonde adressé à l’Assemblée nationale. Chaque groupe parlementaire envoie un de ses membres pour composer cette commission.

Depuis le 14 mai dernier, Constant Mutamba avait fait l’objet de deux questions orales avec débat à l’Assemblée nationale au sujet du dossier lié à la construction d’une nouvelle prison à Kisangani. Les députés Fontaine Mangala, élu de Kisangani, et Willy Mishiki, élu à Walikale, voulaient obtenir des éclaircissements sur le décaissement présumé de 39 millions de dollars sans passation régulière des marchés publics. Ces élus ont décelé des irrégularités administratives et réclament des comptes au ministre Mutamba.

Par ailleurs, Mutamba avait déjà été interpellé à l’Assemblée nationale le 14 mai 2025 concernant des irrégularités dans la gestion des fonds alloués à la construction de prisons, notamment à Kinshasa, où un détournement de 5 millions de dollars avait été signalé. Des arrestations ont été effectuées dans ce dossier, incluant celle de l’ancien vice-ministre de la Justice, Bernard Takayishe.

Mutamba, une bête noire de la magistrature ?

En poste depuis juin 2024, Constant Mutamba a mené une lutte contre des réseaux mafieux au sein de la magistrature. Il a bancarisé des frais de justice en vue non seulement de renforcer la transparence et l’efficacité financière mais aussi garantir une meilleure traçabilité des transactions financières liées aux procédures judiciaires. Plusieurs réformes initiées par lui ont provoqué des tensions avec le Conseil supérieur de la magistrature, notamment lors des états généraux de la justice.

Au sein de l’opinion, ce dossier suscite des réactions contrastées. Le président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), Jean-Claude Katende recommande la prudence dans cette affaire, percevant une forme de règlement des comptes contre Constant Mutamba à cause de sa lutte contre les réseaux mafieux au sein de la justice et dans tout le pays. Mais si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, cet activiste n’exclut une démarche judiciaire.

Matata Ponyo : une condamnation historique

L’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo a été condamné à 10 ans de travaux forcés dans le dossier lié au projet de parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, un programme agricole lancé en 2014, mais largement critiqué pour son échec et ses irrégularités financières. Si certains ont salué la condamnation d’un grand nom parmi des puissants impliqués dans des faits de détournement, d’autres évoquent une sélectivité des personnes à viser. « La justice doit toucher tout le monde », a insisté Jean-Claude Katende, appelant à une justice équitable et impartiale. Cet activiste regrette que malgré de nombreux scandales financiers ayant émaillé d’autres projets, certains responsables aient été acquittés, nourrissant ainsi un sentiment d’injustice dans la société.

Au niveau de l’Assemblée nationale, la condamnation de Matata jette un sentiment d’insécurité, d’après certains parlementaires. Ils évoquent « l’insécurité juridique » des députés nationaux et demandent la surséance de la décision de la Cour constitutionnelle. « Notre Cour constitutionnelle a pris une tendance dangereuse à s’octroyer un pouvoir d’interprétation plus large », fait remarquer le député national et constitutionnaliste Paul Gaspard Ngondankoy.

Pour Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), cette condamnation constitue un avertissement lancé à tous les prédateurs des finances publiques.

L’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo déplore les multiples manœuvres de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation visant à « condamner un homme politique qui n’a volé aucun dollar du Trésor public », a-t-il déclaré. Il précise : « Le dossier Bukanga Lonzo est né parce que j’ai refusé d’intégrer l’Union sacrée ».

Joseph Kabila : un avenir politique en suspense

Un autre dossier judiciaire et non de moindre, c’est celui de la levée de l’immunité de l’ancien président et sénateur à vie Joseph Kabila. Le Sénat a prévu de se prononcer, ce jeudi 22 mai 2025, sur la levée ou non de l’immunité de cet ancien chef de l’Etat. Ce dernier est poursuivi pour crime de guerre et complicité avec la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23). C’est un enjeu crucial pour la suite de ce dossier de Joseph Kabila. Une commission spéciale du Sénat, composée de quarante membres, a examiné le réquisitoire de l’auditeur général des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), le lieutenant-général Lucien René Likulia. Elle a rendu son rapport, et la plénière du Sénat va se prononcer. Les sénateurs vont procéder au vote à bulletin fermé, après débat général sur le rapport de cette commission spéciale.

Cette commission dirigée par l’ancien chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula, avait eu 72 heures à compter de lundi 19 mai pour soumettre son rapport à l’Assemblée plénière. Le Sénat prévoyait aussi d’auditionner Joseph Kabila. Une invitation formelle lui a été adressée par le président du Sénat, Jean-Michel Sama Lukonde. Mais c’était une formalité car le sénateur à vie séjourne depuis plus d’un an en dehors du pays et n’a pas été auditionné même à distance. Le sort de Joseph Kabila sera donc connu cette semaine, celui de Constant Mutamba est aussi suspendu à la décision de la commission spéciale mise en place à l’Assemblée nationale.

Heshima Magazine

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RDC : quelle solution face à la spoliation des espaces publics ?

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En République démocratique du Congo (RDC), les espaces publics font souvent l’objet de spoliation. Des sites publics, ronds-points, terrains de football, camps militaires, rien n’est épargné. À Kinshasa, dans la commune de la Gombe, un carrefour serait vendu à un sujet libanais. Ces pratiques ont la peau dure malgré le changement des dirigeants au pays. Ce qui suscite des questions quant à la protection des espaces publics en RDC.

Au croisement des avenues Sénégalaises, Kabasele Tshiamala (ex-Flambeau) et Tabu Ley (ex-Tombalbaye), un carrefour public serait vendu à un sujet libanais. Des bureaux de police, des véhicules abandonnés, quelques kiosques commerciaux, des cabines téléphoniques ont été expulsés. « Nous sommes surpris de voir quelqu’un acheter ce rond-point. On ne sait même pas ce qu’il compte en faire. Nous demandons aux autorités de s’impliquer dans cette situation », a réagi une tenancière de kiosque, sous anonymat. Cette spoliation se fait à l’insu des autorités locales. « J’ai été surprise d’apprendre que cette parcelle a été vendue. Quand quelqu’un achète une parcelle, il doit d’abord commencer par le quartier […] J’ai appris que c’est un sujet libanais qui est l’acquéreur. Je ne sais pas ce qu’il veut en faire », a déclaré Rachel Banyamo, chef du quartier Commerce, dans la commune de la Gombe. Ces cas de spoliation sont légion en République Démocratique du Congo.

Toujours à Kinshasa, un autre espace public a été vendu à un sujet indien. Pourtant, ce site a été longtemps déclaré non aedificandi suite aux collecteurs d’eau et autres tuyaux qui passent en dessous de ce site. Mais ce lieu a été vendu. Il a fallu l’intervention du président de la République en conseil des ministres pour que les spoliateurs arrêtent leurs travaux. Personne n’a été sanctionné pour cet acte de spoliation.

En 2020, plus de 3 500 personnes victimes de démolitions des maisons et spoliations de terres à Mbobero, Mbiza et marrée de Murhundu dans le territoire de Kabare, dans la province du Sud-Kivu, avaient déposé une plainte à la Cour de cassation à Kinshasa et une autre copie réservée au parquet près le tribunal de Grande instance de Kavumu contre le président honoraire Joseph Kabila pour spoliation « destruction méchante, pillage, tortures et crime contre l’humanité ».

Cette plainte a été déposée à la cour de cassation de Kinshasa/Gombe et une autre copie au parquet près le tribunal de grande instance de Kavumu au Sud-Kivu. Selon Jean Chrysostome Kijana, président national de la Nouvelle dynamique de la société civile et vice-président du collectif « Tournons la page », Joseph Kabila s’est illégalement approprié les parcelles de plus de 3 500 personnes, qui étaient devenus sans abris après une « destruction méchante » de leurs habitations.

Lits des rivières et la Baie de Ngaliema spoliés

En dehors des autorités politiques, des citoyens profitent également de la faiblesse de l’État pour s’octroyer des terres parfois dans des zones non aedificandi. C’est le cas des occupants des servitudes ferroviaires le long de la voie ferrée entre la Gare centrale et Kintambo-Magasin, à Kinshasa. D’autres occupent les rives des rivières Makelele, Mapenza, Kalamu, N’djili et Lukuya. Certaines parcelles de constructions sur ces terrains sont en cours de démolition. Mais l’opinion publique dénonce la politique de deux poids deux mesures. Sur la Baie de Ngaliema, située entre le complexe Utex Africa et le chantier naval de Chanimétal, des constructions illégales poussent également dans cette zone non aedificandi. « Sur ce site, il n’y a que des puissants du régime présent et passé qui construisent. Ils se protègent entre eux, personne ne va démolir leurs constructions anarchiques », pointe un riverain qui dit détenir les noms des ministres et autres responsables politiques qui spolient ce site.

Une spoliation qui cause des inondations

Ces constructions anarchiques sont également la cause des inondations qui endeuillent la ville de Kinshasa. Beaucoup de quartiers se sont développés sans respect des normes urbanistiques, souvent dans les lits des rivières ou les zones marécageuses. Les obstructions des exutoires naturels tels que les rivières et leurs lits provoquent ces inondations. Dans la quête de solution à ces problèmes, le Gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba, a reçu, le 21 mai 2025, les conclusions d’une étude conduite par le bureau d’études URBAPLAN, mobilisant ingénieurs, urbanistes, architectes et géographes. Cette mission avait pour objectif d’analyser en profondeur les causes des inondations qui ont récemment frappé la capitale, causant de lourdes pertes humaines et matérielles. D’après ces experts, plusieurs facteurs aggravants sont à la base de ces catastrophes, notamment l’insuffisance du système de drainage, l’accumulation des déchets notamment dans la rivière N’djili et l’occupation anarchique des zones à risque. En réponse, ils proposent un ensemble de mesures correctives structurées autour de trois axes : la réhabilitation des infrastructures de drainage, le renforcement de la collecte des déchets, et la déclaration de certaines zones comme non constructibles.

Autre responsabilité à pointer, c’est la faiblesse de l’État congolais. Des agents de l’État délivrent des titres de propriété à des occupants illégaux. Une faiblesse à corriger si l’on veut mettre un terme à l’anarchie dans ce secteur.

Heshima

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Kinshasa : Daniel Bumba face à une ambition confrontée à la réalité

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En juin 2024, Daniel Bumba Lubaki, cadre du parti au pouvoir l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), prend officiellement ses fonctions comme gouverneur de Kinshasa, succédant à Gentiny Ngobila Mbaka. Élu avec une large avance en avril 2024, il hérite d’une capitale congolaise asphyxiée par des problèmes structurels : routes dégradées, insécurité incarnée par les bandes de “Kuluna”, insalubrité chronique, chômage endémique et, plus récemment, des inondations dévastatrices. Son programme “Kin Ezo Bonga”, dévoilé en août 2024, promet une transformation radicale de la ville à travers des investissements massifs dans les infrastructures, la sécurité, l’assainissement et le développement économique. À l’approche de juin 2025, après un an de mandat, ce bilan dresse un portrait nuancé de sa gestion, s’appuyant sur des témoignages, des analyses et des données disponibles, tout en explorant les avancées et les obstacles qui ont marqué cette période.

Gestion des inondations : une réponse controversée

Les inondations, fléau récurrent à Kinshasa, ont durement frappé la ville entre 2024 et 2025. Fin 2024, de fortes pluies avaient déjà submergé Limete, Ngaliema et Masina. L’administration Bumba avait alors lancé des curages de caniveaux et mobilisé des aides d’urgence. Mais la saison des pluies 2025 a encore aggravé la situation. Entre mars et avril, plus de 500 000 personnes ont été affectées, 78 décès recensés, et des milliers de déplacés abrités dans les stades Tata Raphaël, des Martyrs ou Bandalungwa. Le gouverneur a visité les sinistrés, ordonné la désinfection des quartiers inondés et accéléré la réhabilitation des voiries. Le projet Topetola, en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), a été lancé pour renforcer le drainage à Masina et Limete. Mais l’ampleur des dégâts montre que les mesures structurelles manquent toujours.

Face à la gravité des crues, l’exécutif provincial a aussi procédé à des démolitions ciblées dans les zones à haut risque. Plusieurs constructions illégales le long des rivières et emprises ferroviaires ont été rasées, notamment à Ngaliema. Ces opérations ont suscité des protestations : absence de concertation, relogement inexistant, méthodes brutales. Certains dénoncent l’arbitraire des interventions, certaines zones à risque ayant été épargnées. Des voix de la société civile ont également accusé le gouvernement de mauvaise gestion des fonds alloués à l’assainissement. Malgré les curages intensifs, les travaux de drainage restent ponctuels. Aucune alerte précoce n’a été mise en place, et aucun plan directeur d’urbanisme n’a été publié. En l’état, les réponses de la ville apparaissent plus réactives que préventives, révélant une incapacité à encadrer durablement l’urbanisation et à anticiper les risques climatiques.

Kinshasa ne dispose toujours pas de plan d’aménagement actualisé ni d’infrastructures comme des bassins de rétention, stations de pompage ou grands canaux. Le programme de “civisme écologique” lancé par Bumba reste limité à la sensibilisation, sans véritable appropriation par les citoyens. Les centres d’hébergement sont improvisés, surpeuplés, et les enfants déplacés sont privés d’école. Les ONG recommandent la création de lotissements sécurisés pour reloger les sinistrés et la réquisition de sites publics en cas de crise. Malgré sa volonté affichée, l’administration Bumba peine à rassurer. Pour rompre le cycle des catastrophes, elle devra aller au-delà des opérations visibles et enclencher une transformation profonde du territoire urbain, articulée à une gouvernance transparente et résolument tournée vers la résilience.

Embouteillages : un défi persistant

À Kinshasa, les embouteillages restent une plaie ouverte. Le quotidien des habitants est rythmé par des heures perdues dans la circulation, notamment sur les grands axes comme le boulevard Lumumba ou l’avenue de Libération. L’urbanisation galopante, l’insuffisance de routes secondaires et l’état de dégradation avancée du réseau routier accentuent cette crise. Malgré les promesses de modernisation, la saturation du trafic freine l’activité économique et nuit à la qualité de vie. La croissance incontrôlée du parc automobile, les parkings anarchiques et l’absence de transports en commun fiables entretiennent ce chaos urbain. Pour les Kinois, circuler est devenu un parcours du combattant. L’administration provinciale, dirigée par Daniel Bumba, a reconnu l’ampleur du problème et tenté de réagir, mais les actions entreprises tardent encore à produire des effets concrets sur le terrain.

Depuis 2024, l’équipe de Daniel Bumba a lancé plusieurs chantiers pour désengorger la capitale. Des avenues stratégiques comme Kwilu, Kimwenza ou Colonel Ebeya font l’objet de réhabilitations, mais les travaux avancent lentement, retardés par les pluies, le manque de financements et des litiges contractuels. La province prévoit aussi la création de parkings modernes et d’aires de stationnement, avec un budget spécifique voté en 2025. Dans la Gombe, des constructions anarchiques ont été démolies pour libérer l’espace public, notamment autour de la gare ONATRA. Par ailleurs, une tentative de réguler les taxis-motos a échoué, faute d’alternatives viables pour les usagers. Si les intentions affichées sont ambitieuses, leur mise en œuvre reste incomplète. À ce jour, les effets sur la circulation sont encore minimes, et la population exprime un désenchantement croissant face à l’absence de résultats visibles.

Un projet phare a été annoncé fin 2024 : le lancement d’un système de bus à haut niveau de service (métrobus), en partenariat avec une entreprise turque. Ce réseau, censé révolutionner les déplacements à Kinshasa, n’a pour l’instant pas dépassé la phase d’étude. D’autres propositions comme le BRT (Bus à haut niveau de service) ou des lignes ferroviaires urbaines sont évoquées, mais rien de concret n’a encore émergé. En parallèle, certaines mesures, comme la circulation alternée ou l’interdiction des motos dans la Gombe, ont suscité critiques et incompréhension. Faute d’offre de transport public solide, ces décisions apparaissent déconnectées des réalités vécues par les Kinois. Un an après l’arrivée de Bumba, les attentes restent fortes. Les habitants réclament non plus des plans mais des résultats. La province est à la croisée des chemins : entre continuité des blocages ou transition réelle vers une ville fluide et fonctionnelle.

Infrastructures : des chantiers prometteurs mais inachevés

Sur les quelque 4 000 km de routes recensées à Kinshasa, seuls 1 006 sont revêtus, dont la majorité en mauvais état. Pour corriger ce déséquilibre, le gouvernement provincial consacre près de 25 % de son budget à la mobilité et à l’aménagement urbain. Depuis fin 2024, 17 chantiers majeurs ont été lancés, notamment autour du marché central, dans l’objectif de moderniser les axes clés et désengorger la capitale. Le gouverneur s’est fixé comme ambition de porter à 2 000 km le linéaire de routes réhabilitées d’ici la fin de son mandat. Cette stratégie vise à doter Kinshasa d’une voirie résiliente, apte à supporter le climat et l’urbanisation croissante.

Plusieurs axes stratégiques sont en réhabilitation sous l’impulsion provinciale : les avenues Kwilu, Kimwenza et Colonel Ebeya figurent parmi les plus avancées. À Bandalungwa, la modernisation de l’avenue Kisangani est confiée à Moderne Construction, avec près de 500 mètres de bitume déjà posés. Autour du marché central, des routes comme Rwakadingi et Plateau font l’objet d’un bétonnage confié à Safrimex. Jin Jin International exécute quant à elle la boucle Wangata–Usoke–Hôpital. En parallèle, le gouvernement a entrepris le dragage de la rivière Kalamu et le curage de la Mososo pour prévenir les inondations récurrentes. Ces efforts conjoints visent une amélioration tangible de la mobilité et de l’assainissement. Toutefois, la lenteur de certains chantiers interroge, malgré l’ampleur des moyens mobilisés et la pression politique croissante pour obtenir des résultats visibles.

Malgré l’élan affiché, les retards se multiplient sur plusieurs sites. Le ministre provincial des Infrastructures, Alain Tshilungu, a reconnu la lenteur d’exécution et a exigé un calendrier précis de chaque entreprise. La Première ministre Judith Suminwa, en visite à Kinshasa, a exhorté le gouvernement provincial à respecter les délais. Mais les obstacles sont nombreux : pluies prolongées, lenteurs administratives, tensions avec certains prestataires. Dans les quartiers concernés, les habitants dénoncent les désagréments quotidiens causés par les chantiers à ciel ouvert. En l’absence d’un système d’entretien efficace, beaucoup redoutent que les nouvelles routes se dégradent aussi vite qu’elles sont livrées. Le manque de communication officielle sur les échéances et les budgets entretient une méfiance grandissante. Pour convaincre, Daniel Bumba devra transformer ses ambitions en ouvrages durables, visibles et entretenus.

Sécurité : une lutte contre les “Kuluna” aux résultats mitigés

Daniel Bumba a fait de la sécurité l’un des piliers de son action provinciale, avec un accent particulier sur le phénomène des « Kuluna », ces gangs urbains qui sèment la terreur dans plusieurs communes. Dès ses premières semaines de gouvernance, il a renforcé les patrouilles policières et ordonné la création d’une unité spéciale pour contrer ces bandes violentes. Cette stratégie a culminé avec le lancement des opérations « Zéro Kuluna » et « Ndobo » à partir de décembre 2024. Ces campagnes ont ciblé les zones sensibles et se sont appuyées sur des bouclages nocturnes, notamment dans les communes de N’djili, Selembao ou encore Ngaliema, où les habitants réclamaient des actions concrètes face à la recrudescence des agressions.

L’opération spéciale menée durant les fêtes de fin d’année 2024-2025 a marqué un tournant. Plus de 450 présumés Kuluna ont été arrêtés entre le 31 décembre et le 1er janvier, puis transférés devant les tribunaux militaires de garnison. Dès le 8 janvier, des audiences foraines ont été organisées dans plusieurs sites, traduisant la volonté de juger rapidement ces jeunes délinquants. En parallèle, les autorités provinciales ont repris les patrouilles de nuit et intensifié les contrôles dans les coins réputés dangereux. Cette stratégie de répression a permis une amélioration temporaire du climat sécuritaire, particulièrement dans des communes comme la Gombe ou Masina. Toutefois, elle a aussi suscité des inquiétudes sur le respect des droits des détenus et la légitimité de certaines arrestations.

Malgré cette réponse musclée, les critiques ne manquent pas. Aucun programme concret de réinsertion sociale n’a été mis en place par le gouvernement provincial, malgré des déclarations initiales du gouverneur. De nombreuses voix s’élèvent pour souligner que la répression seule ne suffit pas à éradiquer un phénomène profondément enraciné dans la pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale. Le mouvement Lucha a dénoncé le recours à la peine de mort et l’absence de garanties judiciaires. Par ailleurs, aucune campagne éducative ni initiative communautaire de prévention n’a été lancée par la province. En l’absence d’une stratégie intégrée mêlant répression, réinsertion et sensibilisation, l’impact des opérations anti-Kuluna, aussi spectaculaires soient-elles, risque de rester éphémère.

Assainissement : une ambition freinée par des lacunes structurelles

Le gouvernement provincial de Kinshasa a fait de l’assainissement une priorité. Le 10 août 2024, il a officiellement lancé l’opération « Coup de poing », une vaste campagne de salubrité publique censée durer 45 jours. Soutenue par le génie militaire et coordonnée avec l’Office des voiries et drainage (OVD), cette initiative a commencé dans la commune de la Gombe avec le curage des caniveaux et l’évacuation de milliers de tonnes de déchets. Lors de cette opération, le gouverneur a sollicité l’appui actif des bourgmestres des 24 communes de la capitale. D’après le média Actualité.cd, Bumba voulait inscrire cette opération dans une logique de discipline collective. Le site 7sur7.cd a, de son côté, relayé les attentes élevées d’une population lasse de vivre dans l’insalubrité chronique.

Parallèlement, le gouverneur s’est intéressé à la transformation des déchets plastiques. En novembre 2024, il a visité l’usine de recyclage Kintoko, aux côtés de la société française Suez, pour soutenir la valorisation des ordures ménagères. Selon le site Actualité.cd, Bumba a insisté sur la nécessité d’une meilleure rémunération des ramasseurs de déchets, souvent négligés dans les politiques publiques. Peu après, il a également apporté son soutien au groupe industriel Angel, qui opère dans le recyclage local, en promettant de renforcer les moyens logistiques de l’entreprise. Radio Okapi a souligné que cette démarche visait à multiplier par trois le volume de plastique recyclé chaque mois. Ces actions traduisent une volonté politique d’intégrer l’économie circulaire dans la gouvernance urbaine de Kinshasa.

Pourtant, malgré ces signaux encourageants, les résultats concrets restent limités. En décembre 2024, quatre mois après le lancement de l’opération « Coup de poing », le média Congoquotidien.com constatait que les tas d’ordures avaient refait surface dans plusieurs communes. L’absence de centres de tri, de décharges contrôlées et de mécanismes durables de collecte affaiblit l’impact de chaque initiative. D’après une enquête d’Actualité.cd publiée en avril 2025, le gouverneur Daniel Bumba reconnaît lui-même que des lacunes structurelles entravent l’efficacité des efforts engagés. Le manque de coordination entre services provinciaux et municipalités, conjugué à une faible sensibilisation des citoyens, freine la mise en œuvre d’une politique d’assainissement cohérente et continue. Kinshasa reste confrontée à un défi colossal : transformer une ambition en changement durable.

Développement économique : des projets ambitieux mais flous

Le programme « Kin Ezo Bonga », présenté par le gouverneur Daniel Bumba en août 2024 comme la nouvelle boussole du développement provincial, s’appuie fortement sur le projet d’extension de Kinshasa vers Maluku. D’après Thierry Katembwe Mbala, coordonnateur du Comité stratégique pour la supervision du projet d’extension de la Ville de Kinshasa (CSSPEVK), cette future zone urbaine et industrielle s’étendra sur 486 km² et devrait générer 10 000 emplois directs dans sa phase initiale. Plusieurs missions ont été dépêchées sur le terrain depuis novembre 2024, en partenariat avec China State Construction Engineering Corporation, pour mener des études topographiques et initier les premiers dégagements. Pourtant, en mai 2025, aucun chantier majeur n’a encore démarré, ce qui alimente les doutes sur la faisabilité réelle de ce projet, pourtant présenté comme le socle du renouveau économique kinois.

Dans une dynamique parallèle, l’administration provinciale a lancé des projets de modernisation des marchés, notamment autour du marché central de Kinshasa. Le 7 novembre 2024, Daniel Bumba annonçait, depuis l’avenue Rwakadingi, la réhabilitation de cinq axes stratégiques : Rwakadingi, Marché, Marais, Plateau et École, dans le but de désenclaver cette zone commerciale névralgique. Les travaux, confiés à l’entreprise SAFRIMEX, visent à fluidifier l’accès au marché modernisé. Malgré cette ambition, le manque de transparence dans la passation des marchés publics inquiète. Des commerçants et entrepreneurs, interrogés par Heshima Magazine, se plaignent de ne pas être suffisamment associés aux appels d’offres et dénoncent une gestion opaque des ressources allouées, ce qui freine l’adhésion du secteur privé local au projet global.

Le programme quinquennal « Kin Ezo Bonga » est structuré autour de onze axes prioritaires, allant de l’assainissement à la sécurité, en passant par l’emploi, la mobilité ou encore la planification urbaine. Selon le gouverneur Bumba, ce programme dispose d’un budget prévisionnel de 11 milliards de dollars pour la période 2024-2028, financé par des partenariats publics-privés et l’appui d’organismes internationaux. Cependant, comme l’ont relevé plusieurs analystes, l’absence de calendrier détaillé, de rapports périodiques et d’indicateurs de performance rend difficile le suivi des avancées réelles. Dans la population, l’impatience grandit : les Kinois espèrent des résultats concrets au-delà des annonces. Car sans changements visibles, la crédibilité du gouverneur pourrait vite s’effriter.

Services sociaux : santé et éducation en attente de réformes

En matière de santé, un plan d’action a été élaboré en partenariat avec l’agence belge Enabel pour améliorer les infrastructures sanitaires. Cependant, à ce jour, aucun hôpital ou centre de santé n’a été inauguré sous son mandat. Les Kinois continuent de déplorer la vétusté des structures existantes, comme l’a souligné Radio Okapi dans un reportage récent. Cette situation met en lumière le décalage entre les annonces officielles et la réalité sur le terrain, alimentant le scepticisme de la population quant à la capacité de l’administration à concrétiser ses promesses.

Dans le domaine de l’éducation, les engagements pris par le gouverneur Bumba, tels que la construction de nouvelles salles de classe et la distribution de matériel scolaire, peinent également à se matérialiser. Les enseignants et les parents expriment leur frustration face à des conditions d’apprentissage souvent indignes, soulignant le manque de ressources et d’infrastructures adéquates. Le site Actualité.cd a rapporté que, malgré les annonces, peu de progrès tangibles ont été réalisés, laissant les écoles dans un état de délabrement avancé. Cette situation compromet la qualité de l’enseignement et l’avenir des jeunes Kinois, qui sont les premières victimes de ces carences.

Face à ces défis, l’administration provinciale est appelée à intensifier ses efforts pour traduire ses ambitions en actions concrètes. La mise en œuvre effective des projets annoncés, accompagnée d’une communication transparente sur l’état d’avancement des travaux, est essentielle pour restaurer la confiance des citoyens. Les partenaires internationaux, tels qu’Enabel, attendent également des résultats probants pour poursuivre leur soutien. Il est impératif que le gouverneur Bumba et son équipe adoptent une approche plus proactive et inclusive pour répondre aux besoins urgents de la population en matière de santé et d’éducation.

Contrats signés : un manque de transparence ?

Daniel Bumba a multiplié la signature de contrats censés soutenir ses projets en matière d’infrastructures, d’assainissement et de logement. En août 2024, il a ainsi annoncé un ambitieux plan d’investissement de 2,7 milliards de dollars sur cinq ans pour la modernisation de Kinshasa, dans le cadre du programme « Kinshasa Ezo Bonga », un projet présenté officiellement lors d’une conférence de presse relayée par Actualité.cd. Ce programme prévoit notamment la construction de logements sociaux et de nouvelles voiries. Mais sur le terrain, peu de détails ont filtré sur les contrats eux-mêmes, sur les entreprises attributaires ou encore sur les modalités de financement. Cette opacité nourrit une méfiance croissante au sein de la population et d’une partie de la société civile, qui réclame plus de transparence.

Le cas du contrat de collecte des déchets avec l’entreprise turque Albayrak illustre bien ce manque de clarté. Conclu en 2022 sous l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, l’accord imposait à la ville de verser entre 500 000 et 1 million de dollars par mois, selon une enquête menée par le journal AfricaNews. En août 2024, Daniel Bumba a décidé de résilier ce contrat, le qualifiant de « léonin » et dénonçant l’utilisation d’équipements achetés par la ville sans retour sur investissement suffisant. Si cette décision a été saluée par certains comme un acte de rupture, elle a également mis en lumière l’absence d’un nouveau cadre clair pour la gestion des déchets. Depuis, aucun appel d’offres public ou partenariat structuré n’a été rendu public, laissant planer des doutes sur les orientations futures.

Dans le secteur de la santé, le protocole d’accord signé en janvier 2025 avec l’entreprise marocaine TGCC prévoit la construction d’un hôpital moderne à Maluku, avec une capacité de plus de 100 lits. Ce projet a été dévoilé à la presse lors d’une cérémonie officielle, selon les précisions d’Actu30.cd, qui a suivi les étapes de cette collaboration. Bien qu’il s’inscrive dans le programme de développement de la zone Est de Kinshasa, aucune information n’a été fournie sur le budget alloué, les sources de financement ou les délais d’exécution. Par ailleurs, certains observateurs s’interrogent sur la répartition des responsabilités entre les parties prenantes. Dans un contexte marqué par de fortes attentes, cette absence de communication renforce les soupçons de favoritisme et de gestion peu rigoureuse des deniers publics.

Kinshasa face à ses défis urbains majeurs

Gouverner Kinshasa, une ville en pleine expansion démographique, représente un défi colossal. La croissance urbaine rapide, conjuguée aux effets du changement climatique, impose la mise en œuvre de solutions innovantes et durables. Le Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo alerte sur l’exacerbation des inondations due à une urbanisation informelle accélérée et à des infrastructures insuffisantes, soulignant la nécessité d’investissements massifs dans des systèmes de drainage performants et un plan d’urbanisme rigoureux.

Les embouteillages, quant à eux, réclament une réforme profonde du système de transport urbain. Des études publiées par l’Institut Africain des Politiques Urbaines insistent sur le fait que le recours majoritaire aux minibus et taxis traditionnels, dépassés par l’essor démographique, freine la mobilité et nuit à l’activité économique. Il devient urgent de développer un réseau de transport public moderne et efficace.

Enfin, la question de l’insalubrité demeure critique. Selon un rapport de l’Agence Congolaise de l’Environnement, la gestion des déchets solides est insuffisante, avec une collecte partielle et l’absence de centres de traitement ou de recyclage adaptés. La pollution engendrée impacte négativement la santé publique. Le gouvernement provincial doit impérativement renforcer les infrastructures de traitement des déchets et lancer des campagnes de sensibilisation citoyenne pour assurer la pérennité des résultats.

Bilan d’un an de gouvernance : ambitions affichées, résultats attendus

La première année de Daniel Bumba à la tête de Kinshasa révèle une ambition réelle, comme le souligne Jeune Afrique dans sa publication d’avril 2025, mais cette volonté se heurte à des obstacles majeurs. Les chantiers routiers, les opérations sécuritaires et les efforts d’assainissement, rapportés par Radio Okapi, témoignent d’une volonté de changement, mais leur impact demeure limité en raison de retards, de contraintes financières évoquées par le Ministère provincial des Finances, et d’un manque de transparence relevé par des observateurs locaux. Par ailleurs, les inondations et les démolitions, analysées par la presse congolaise en février 2025, ont mis en lumière des tensions entre impératifs sécuritaires et considérations sociales. Enfin, les secteurs essentiels de la santé et de l’éducation, décrits par l’ONG Enabel dans son dernier rapport, attendent toujours des réformes concrètes. Pour transformer Kinshasa, Daniel Bumba devra non seulement achever les projets en cours, mais aussi restaurer la confiance d’une population devenue exigeante, comme le résume un habitant de Ngaliema interrogé par Heshima Magazine : « Nous voulons des actions, pas seulement des paroles. Kinshasa mérite une vraie transformation. C’est la vitrine de la RDC.»

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RDC : Quel avenir pour les Wazalendo en cas d’accord de paix avec le Rwanda ?

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Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et celui du Rwanda négocient depuis quelques mois un accord de paix à Washington, aux États-Unis. Parallèlement, des négociations se font avec le Mouvement du 23 mars (M23) à Doha, au Qatar. La seule question qui reste en suspens, c’est celle de l’avenir des Wazalendo (patriotes en swahili) après la fin du conflit. Une question qui soulève de nombreux enjeux sécuritaires, politiques et sociaux.

Depuis 2022, les « Wazalendo » – des groupes d’autodéfense populaires – combattent aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans la lutte contre le M23 et l’armée rwandaise dans l’est de la RDC. En 2023, le gouvernement a formalisé cette collaboration en instituant une Réserve armée de la défense (RAD) dans laquelle sont insérés certains groupes de ces Wazalendo. Depuis le début des discussions de paix à Doha, sous l’égide de l’émir du Qatar, la rébellion de l’AFC/M23 a cessé sa progression fulgurante vers d’autres villes congolaises. Certains de ses responsables politiques et militaires discutent avec la délégation du gouvernement dans cette monarchie du Golfe Persique. Pourtant, sur le théâtre du conflit, les armes n’ont jamais cessé de crépiter. Mi-avril 2025, une action de guérilla livrée en solo sans l’appui des FARDC a semé la panique à Goma, Walikale, Nyiragongo, Kavumu, Walungu et Mwenga. Ces miliciens Wazalendo ont affronté les rebelles du M23 pendant trois jours d’affilée.

Dans un communiqué de l’AFC/M23, cette rébellion accuse la coalition des forces de la SADC (SAMIDRC), les FARDC, les Wazalendo et les FDLR (un groupe armé composé de hutus rwandais formé par d’anciens génocidaires) d’avoir attaqué leurs positions notamment à Goma. Une accusation démentie par l’armée congolaise. Ce scénario a esquissé les défis sécuritaires majeurs qui attendent le pays après les accords de paix qui pourraient être signés avec le Rwanda et le M23.

Maï Maï hier, Wazalendo aujourd’hui…

Les Maï-Maï d’hier, les Wazalendo d’aujourd’hui… Ces groupes d’autodéfense ne sont pas tous nés pendant la guerre du M23 appuyé par l’armée rwandaise. Si certains ont vu le jour suite à un besoin de défendre leur terre, d’autres existaient avant l’aggravation de ce conflit. Ils s’appelaient des groupes Maï-Maï, remontant parfois depuis la première et la deuxième guerre du Congo (1996-2003). Ces Maï-Maï d’hier ont pris le nom de Wazalendo aujourd’hui. Ce phénomène Wazalendo, comme le décrit William Amuri Yakutumba, commandant des forces Wazalendo de la Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo (CNPSC), est né en 1996 à la suite des guerres à répétition que connaît la RDC.

« Lorsque la population de l’est, se retrouvait abandonnée à elle-même, sans aucune sécurité et lorsque l’est du pays avait été envahi par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, c’est ainsi que la population a pris l’initiative de prendre les armes pour combattre cette agression étrangère », a-t-il expliqué à la BBC. William Amuri Yakutumba fait référence à des groupes armés tels que le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma) d’Azarias Ruberwa soutenu par le Rwanda, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda et soutenu toujours par Kigali, le M23 et ses factions (M23-1 et M23-2), coalisé avec l’Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Nangaa bénéficiant également du total soutien du régime de Paul Kagame.

Devenus proches de l’armée nationale, ces miliciens sont organisés aujourd’hui en équipes, sections, pelotons, compagnies, bataillons, brigades et autres pour tenir tête face à des groupes armés soutenus par le Rwanda. Leur objectif principal, selon Yakutumba, c’est la protection du sol, du sous-sol, de l’environnement, de la faune et la flore, bref, la protection de l’intégrité territoriale contre toute sorte d’agression étrangère.

Cette description de Yakutumba a été faite également par cet institut de recherche. Pour Ebuteli, se servir de groupes armés pour en combattre d’autres n’est pas une nouveauté au Congo. Ces chercheurs rappellent qu’en 1998, Kinshasa a soutenu des groupes armés Maï-Maï et FDLR pour lutter contre le RCD soutenu par le Rwanda. La RDC et le Rwanda ont ensuite fait cause commune, entre 2015 et 2020, pour tenter d’éradiquer les FDLR, un groupe d’anciens génocidaires rwandais, en utilisant le groupe armé congolais NDC-Rénové.

Un fardeau pour les années à venir

La gestion des Wazalendo, particulièrement après ce conflit actif avec le M23, soulève de nombreux enjeux sécuritaires, politiques et sociaux. Sur le plan sécuritaire, un rapport de l’Institut de recherche Ebuteli rendu public le 16 mai dernier à Kinshasa, évoque également des risques dans la gestion de ces groupes armés. Ebuteli note que le soutien aux groupes armés locaux constituera une « lourde hypothèque politique pour les années à venir ». Pour cet institut de recherche spécialisé dans les questions des Grands Lacs, ce phénomène militarise davantage la société, aggrave la crise humanitaire et enracine le conflit. Ce rapport conclut en soulignant l’importance à long terme de réformer l’État congolais, ses forces de sécurité et son approche du conflit pour éviter de sous-traiter des groupes qui eux-mêmes pourront constituer demain une autre source de l’insécurité pour la population civile. Le gouvernement, qui compte gérer ces groupes armés comme une réserve de l’armée régulière ne saura intégrer tous ceux qui ont pris les armes dans ce conflit. « Ceux qui ont pris le goût dans le maniement d’armes et qui ne seront pas pris en charge correctement par l’État deviendront un danger pour la population sur le plan de la criminalité », estime Isaac Mayenge, un analyste des dynamiques sécuritaires dans la région touchée.

Les Wazalendo veulent-ils se couvrir de leurs crimes passés ?

Avant de s’appeler Wazalendo, ces groupes armés se battaient déjà entre eux, ou contre l’armée régulière pour le contrôle de leur territoire, rappelle le journaliste français Christophe Rigaud. Ce dernier qualifie de « pari hautement risqué » le fait pour le président Félix Tshisekedi d’avoir fait de ces miliciens des supplétifs des FARDC. Pour Ebuteli, les motivations des Wazalendo sont diverses : un sentiment nationaliste, la possibilité d’accéder à des financements et à des postes au sein de l’armée nationale, et éventuellement de garantir l’impunité pour leurs crimes passés.

Certains parmi les leaders des Wazalendo étaient déjà dans le collimateur de la justice. Mais leur comportement « patriotique » dans cette guerre contre le M23 et le Rwanda a fait taire l’envie des poursuites judiciaires. Ce qui peut être perçu comme une façon pour ces seigneurs de guerre de se couvrir de leurs crimes passés. C’est le cas de Janvier Karairi, chef de l’APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain), un groupe armé opérant dans le Nord-Kivu, précisément à Masisi avant sa conquête par le M23. L’APCLS est impliquée dans des crimes et des violations des droits de l’homme, et Janvier Karairi est accusé de contribuer à ces crimes en les planifiant, les dirigeant ou les commettant. Il est même sous sanctions internationales, notamment de l’Union européenne.

Un processus de désarmement souhaité

Après ce conflit, au plan social, le gouvernement devrait sérieusement organiser le processus de désarmement pour tous ces volontaires qui ont pris les armes et qui ne seront pas retenus au sein de la réserve armée. Félix Tshisekedi avait mis en place le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS). Il vise à désarmer, démobiliser et réintégrer les ex-combattants dans la vie civile, tout en soutenant le développement communautaire et la stabilisation du pays. Mais ce programme bat encore de l’aile. Plusieurs ex-combattants désarmés retournent encore dans la brousse. « Nous sommes parfois abandonnés dans des camps sans nourriture ni un travail pour survivre », raconte un ex-démobilisé qui a retrouvé son groupe armé en Ituri.

Avec le phénomène Wazalendo, le programme de démobilisation a pratiquement disparu dans plusieurs coins des provinces du Nord et Sud-Kivu. Mais il est clair que c’est une question qui devra être prise en compte dans un processus de paix, quel qu’il soit. Cette question des Wazalendo fait encore partie de l’équation sécuritaire à résoudre après les accords de paix envisagés avec le Rwanda et le M23.

Heshima

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