Dans la tradition congolaise, le nom et le prénom sont des notions qui au départ n’existent pas en soi. Un individu est nommé selon des critères qui lui sont propres en fonction de sa position au sein de la famille ou du clan, ou en fonction des valeurs qui lui sont prêtées ou encore en fonction des faits attachés à la vie familiale, voire à certains événements qui y sont associés.
C’est donc dire que chaque individu au sein d’une famille était en principe censé porté seul son nom, même si ce dernier pouvait être dupliqué pour des raisons d’assimilation à d’autres membres de la famille.
Ce n’est donc qu’à l’arrivée des Occidentaux qu’une distinction s’est opérée entre le nom et le prénom.
En effet, de par la culture judéo-chrétienne, les Occidentaux à l’instar de ce qui se pratiquait chez eux, ont ordonné dans le chef d’une personne le port, à la fois du nom patronymique et le prénom à l’issue du baptême pour le distinguer, que ce soit individuellement ou par rapport à la famille. Toutefois, malgré cette imposition, le pouvoir colonial a dû se soumettre à quelques concessions. Certaines familles, au lieu de porter une appellation patronymique identique, ont pu opter pour que chaque membre ait un nom qui lui est personnel, différent de celui de son père et des membres de sa fratrie.
En même temps, en dépit du port du prénom chrétien, un postnom est collé au nom pour la préservation de la coutume dans une certaine mesure, généralement en hommage à un ascendant. En réalité sur ce registre, la dénomination est limitée au cercle familial avec son évocation à certaines occasions. Ce n’est qu’à l’époque de l’instauration du recours à l’authenticité prônée par Mobutu que l’utilisation du postnom deviendra obligatoire en lieu et place du prénom chrétien, même si l’habitude de l’utilisation de ce dernier persiste, parfois en catimini. Il faut aussi reconnaître que dans l’entretemps, le port d’un même patronyme au sein d’une famille s’est généralisé.
Dès lors, de manière plus large, outre qu’il différencie un individu, le nom peut également situer une personne dans une aire géographique donnée de telle ou telle province, voire à l’intérieur de celle-ci dans tel ou tel autre recoin. Ainsi, un Congolais moyen sait d’emblée, à partir du nom d’une personne, déterminer son origine (mukongo, swahili, muluba ….) et même être capable de préciser de quel patelin il provient. Et cela peut servir utilement ou non, selon les circonstances ! Même si avec l’augmentation de la fréquence des mariages mixtes, s’installe par la force des choses, la mixité des noms d’aire géographique différente, avec la confusion qui va avec.
Le choix de l’appellation
Le nom patronymique s’impose généralement de lui-même. Il résulte d’une appellation qui retrouve sa source dans l’histoire même de la famille, traditionnellement le nom d’un ascendant direct ou non. Une fois admis le principe à partir de l’époque coloniale ou peu de temps après que tous les membres d’une famille sont censés porter le même nom, celui-ci est légué par l’ascendant génération après génération.
La différence est dès lors plutôt perceptible dans le postnom. Dans la majorité des cas, le postnom est supposé définir l’individu au mieux de sa personnalité. C’est ainsi que l’ensemble des peuples du Congo au travers du nom donné à une personne peuvent sublimer la Nature ( Miezi chez les Bakongos et Nyota en swahili pour étoile, équivalent de Stella ou Estelle en Occident) ou le désir de choyer un enfant comme Mujinga qui signifie la préférée en tshiluba ou l’élever sur un piédestal avec le nom de Ndona (princesse en kikongo) ou exalter l’Amour (Zola en kikongo ou Nanga et Dinanga en tshiluba) ou encore l’espoir ( Luzolo en kikongo) ou d’autres qualités comme la force, la vaillance, la vertu…
Malheureusement, le nom peut également être l’expression de l’histoire des déboires d’une famille comme l’atteste le nom de Mampasi au Kongo Central ou Mateso à l’Est du pays. La prise de conscience de l’impact que peut avoir le nom sur la vie d’une personne a conduit beaucoup de ses porteurs à s’en délester.
Le nom peut aussi se donner pour des raisons d’intérêt : un employé ou un voisin peut ainsi attribuer à un de ses enfants le nom de son patron ou de son chef ou du voisin sous des prétextes d’amitiés ou de sympathie mais qui n’empêche pas de faire jaser l’entourage suspectant des raisons inavouées.
Cependant les motivations basiques du nom sont généralement liées aux circonstances de venue au monde d’une personne. Il peut s’agir de la position hiérarchique au sein de la famille comme par exemple le nom de Paluku ou encore de Nzanzu attribué au premier garçon né chez les Nandé du Nord-Kivu, les suivants ayant aussi leur propre identification. Il peut être aussi question de sexe où la distinction s’opère entre fille selon l’ordre d’arrivée, de la position de sortie du corps à la naissance, de la période ou des circonstances de la venue au monde…. C’est dire en somme que le nom relève d’une classification bien établie par la nature et la société et s’impose de luimême à son porteur. Dans cette configuration, le nom des jumeaux revêt une importance capitale chez pratiquement tous les peuples du Congo qui leur a donné, à chacun, une identité spécifique : Nsimba et Nzuzi ( Bakongos), l’aîné et le suivant, peu importe le sexe ; Mbuyi et Kanku ( Balubas du Kasaï) ; Nguru et Ndovya ( Nandé) ; Kyungu et Kabange ( Balubakats) ; Mboyo et Boketshu (Mongos) ; Ngoy et Mukonkole (Basongyes), Omba et Shako (Tetelas), Maboso et Mangongo Mbuzas), Cikuru et Cito (Bashis), Kakuru et Katoto (Bahunde), Nguru et Kakuru ( Nande), Embo et Empi (Ambuun), Mbo et Mpia (Basakatas et Sengele), Pi et Mbou (Bambalas)…
Il est à noter que ces appellations valent également pour les triplés ou les quadruplés et autres dont les suivants ont également un nom propre. Ainsi, le troisième né d’un même accouchement est appelé Katumwa (littéralement celui qui bénéficie du privilège de ne pas être commissionné, tellement il est choyé !) chez les Bakongos, Katuma chez les Balubas et Kambungu chez les Bayakas.
Dans l’entretemps, l’enfant qui naît d’un prochain enfantement gémellaire, porte aussi un nom qui le situe de manière particulière dans la fratrie : (N)’Landu (Bakongos), Mfutila (Bayakas), Kabanga (Balubas), Tsita ( Bahunde), Ciza ( Bashi), Kitsa ( Nandes)…
Néanmoins, il convient de préciser que certaines personnes peuvent porter les noms décrits ci-haut sans le mériter par la naissance, mais tout simplement par héritage d’un géniteur ou d’une personne qu’on a voulu honorer. Dans cette configuration familiale inhabituelle, les enfants ne sont pas les seuls à se démarquer par leur désignation. Il en va à l’identique des parents où le parent, fier de son exploit, peut se coller le nom approprié, Shambuyi pour le père et Muambuyi pour la mère des jumeaux chez les Balubas.
Nouvelle culture
Avec l’ouverture au monde, le Congo est toutefois de plus en plus soumis à une nouvelle culture. Celle-ci a tendance à rejeter les noms traditionnels. Bien que rare, ce phénomène peut atteindre le nom de famille d’origine pour diverses raisons, notamment pour échapper à toute la négativité de la spiritualité ancestrale qui lui est rattachée. Pour le restant, la liberté de choix du prénom ou du postnom est plus large.
Pour ce qui concerne le postnom, à moins de maintenir des affinités favorables à l’égard d’un ascendant, la propension à refuser d’hériter d’une désignation pour rendre hommage est systématique. Cette culture fait alors preuve d’une imagination débordante. L’option porte à priori sur des noms chrétiens, non pas ceux traditionnels du calendrier catholique mais par des nouveaux prénoms sous forme de contraction des termes bibliques aux accents parfois carrément détonants comme Glodi (Gloire de Dieu), Plamedi ( Plan merveilleux de Dieu) ou même parfois au goût douteux comme Merdi ( Merveille de Dieu). D’autres encore exigent un diminutif du fait de leur longueur comme ADUP pour Amour du Prochain.
Devant cet acharnement à toujours vouloir plus de chrétienté, dans l’espoir de bénéficier de dividendes divins, certains prénoms sont préférés à d’autres contrairement à toute logique : être appelé Chadrack et nettement plus valorisant que Daniel dont la préséance aux yeux de Dieu lui est pourtant acquise.
Dans cette nouvelle culture, l’inspiration n’a pas de limite. Elle s’exprime aussi par la contraction des prénoms des conjoints donnés à leur enfant, témoignage de l’unicité de leur amour à son summum. Avec parfois le risque que cela tourne court à la suite de la séparation ! Un autre constat porte sur l’adoption comme prénom … du nom d’une personne : régulièrement, des personnes ont comme prénom Reagan, Mitterrand, Giscard, Giresse…. Un peu comme si un jour on apprenait qu’un Français ait pour prénom Tshisekedi !
Noël NTETE