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RDC : l’augmentation spectaculaire des émoluments des députés de 2006 à 2023

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Depuis 2006, la République Démocratique du Congo (RDC) vit une escalade sans précédent des émoluments des parlementaires. Tandis que la majorité de la population peine à survivre, les rémunérations des députés et sénateurs connaissent une augmentation exponentielle, alimentant des débats houleux sur les inégalités sociales et la responsabilité des élus. Cette situation, bien au-delà des chiffres, reflète des déséquilibres profonds dans la gestion des ressources publiques et la vocation même de la politique au sein du pays.

2006 : des gros émoluments pour une transition fragile

La transition démocratique amorcée en 2006, après les accords de Sun City (2003), avait pour objectif de stabiliser un pays déchiré par des décennies de guerre. Dans ce contexte, des mesures extraordinaires furent adoptées pour garantir une certaine cohésion entre les différentes forces politiques au sein du Parlement. Ainsi, un député national percevait environ 4 000 USD par mois.

À l’époque, cette somme, bien plus importante que sa valeur actuelle, avait pour objectif d’inciter les élus à soutenir le processus de paix, en leur offrant une forme de récompense ou un « partage du gâteau ». Toutefois, cette décision a engendré un fossé salarial abyssal. Tandis que les parlementaires jouissaient de rémunérations confortables, les fonctionnaires, enseignants, militaires et policiers se débattaient dans une précarité extrême, leurs salaires mensuels se situant autour de 100 USD. Cette inégalité a semé les graines d’un mécontentement social grandissant, qui n’a cessé de croître au fil des années.

2011-2018 : Une ascension continue des rémunérations parlementaires

Entre 2011 et 2018, les émoluments des députés nationaux et sénateurs ont presque doublé. En 2011, un parlementaire touchait déjà un salaire de base de 6 000 USD, augmenté par des primes et indemnités pouvant atteindre un total de 10 000 USD par mois. Ces augmentations se poursuivirent malgré une pauvreté persistante et des revendications sociales toujours croissantes.

En 2018, les députés percevaient environ 12 000 USD mensuels, une rémunération qui dépassait largement celle des parlementaires dans des pays voisins aux économies pourtant plus stables, comme le Kenya, où un député gagnait environ 3 000 USD par mois. Pendant ce temps, le salaire d’un enseignant congolais stagnait entre 80 et 100 USD, et les militaires et policiers nouvelles recrues recevaient en francs congolais une somme représentant moins de 70 USD.

Cette période fut marquée par de nombreuses grèves dans les secteurs de l’éducation et de la santé, dénonçant l’abandon des agents de l’État. Ces mouvements sociaux révélèrent un contraste frappant : un Parlement considéré comme privilégié, face à une population de plus en plus méfiante envers ses dirigeants.

2019-2023 : Une explosion des émoluments sous Tshisekedi

Avec l’élection de Félix Tshisekedi en 2019, l’espoir d’une réforme des finances publiques s’installa. Cependant, ces attentes furent rapidement déçues. Dès 2021, des documents officiels firent état de salaires atteignant 21 000 USD par mois pour les députés nationaux. Ces montants incluaient des indemnités de logement, de transport, de communication et d’autres avantages.

Ces chiffres suscitèrent l’indignation de l’opinion publique, d’autant plus que les enseignants, policiers et agents de l’État continuaient de travailler dans des conditions précaires. À ces écarts s’ajoute une gestion financière opaque, où les budgets alloués aux secteurs sociaux sont souvent détournés pour couvrir les dépenses exorbitantes des institutions parlementaires.

Un engouement pour la politique motivé par l’appât du gain

La hausse constante des émoluments parlementaires a engendré un phénomène inquiétant. De plus en plus de Congolais se lancent en politique non par vocation ou volonté de servir, mais attirés par l’appât du gain.

Les milliers de dollars que perçoivent les députés attirent toutes sortes de personnes, souvent sans vocation ni vision pour la nation. Cette dérive représente un danger pour l’avenir de la RDC. Lorsque l’ambition politique se limite à l’argent, l’État est menacé de désintégration. Cela explique en partie pourquoi le pays peine à vaincre les défis sécuritaires, notamment dans l’Est, malgré des investissements colossaux. Comment la RDC peut-elle espérer prospérer lorsque sa classe politique semble davantage motivée par l’appât du gain que par un réel désir de servir ?

Un nombre croissant de candidats à chaque élection

Les résultats des élections législatives de 2023 témoignent de cet engouement. Le nombre de candidats à la députation nationale a atteint un niveau record, marquant une progression notable par rapport aux scrutins précédents. En 2006, 8 757 candidats s’étaient présentés ; ce chiffre a bondi à 18 386 en 2011, puis a légèrement diminué en 2018 pour atteindre 15 355. Cependant, en 2023, il a explosé à 24 802. Cette augmentation constante reflète une véritable ruée vers des positions perçues comme lucratives, exacerbant le risque d’accueillir des individus non qualifiés ou purement opportunistes dans des fonctions clés.

Les députés provinciaux ne sont pas en reste

Les députés provinciaux ne sont pas en reste. À Kinshasa par exemple, ceux de la législature 2019 – 2023 percevaient environ 10 000 USD par mois hors primes. Ces montants, également jugés exorbitants, sont souvent couverts par des budgets provinciaux déjà insuffisants pour répondre aux besoins des populations locales. Cette tendance renforce la perception d’une classe politique davantage préoccupée par ses intérêts que par ceux de la nation.

Conséquences des disparités salariales

La montée en flèche des émoluments parlementaires, couplée à la stagnation des salaires des agents publics, entraîne plusieurs conséquences. D’une part, elle accentue les inégalités sociales et fragilise la confiance dans les institutions. D’autre part, elle détourne des ressources cruciales des secteurs prioritaires comme l’éducation et la santé.

Une réforme urgente pour sauver la RDC

Pour rétablir un équilibre, une réforme des émoluments des parlementaires s’impose. Il est impératif de réduire ces rémunérations et de les harmoniser avec les réalités économiques du pays. Parallèlement, les salaires des agents publics doivent être revalorisés pour améliorer les conditions de vie et redynamiser les services publics.

La transparence financière est également essentielle : des mécanismes de contrôle rigoureux doivent être mis en place pour garantir une gestion équitable des fonds publics. Enfin, il est crucial d’investir dans des secteurs vitaux, en commençant par l’éducation, la santé et la sécurité, pour restaurer la confiance des citoyens et assurer un développement durable.

Réinventer la politique pour préserver l’unité nationale

L’avenir de la RDC dépend de sa capacité à instaurer une gouvernance centrée sur le bien commun et à mettre fin à la perception de la politique comme une source d’enrichissement personnel. Le pays est à la croisée des chemins. La prochaine législature devra décider si elle est prête à sacrifier des privilèges excessifs pour l’intérêt général ou si elle continuera sur la voie de l’injustice sociale et des inégalités.  Restaurer la vocation et l’intégrité dans la classe politique est essentiel pour éviter que la nation ne s’effondre sous le poids de ses propres dérives, et finisse par disparaître.

Heshima

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RDC : Plusieurs projets prioritaires toujours à la traîne

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Plusieurs projets prioritaires en République démocratique du Congo (RDC) ont du mal à être implémentés. Des initiatives inachevées, des projets parfois mal ficelés et la tendance à continuer de freiner le développement du pays persistent. Pourtant, le gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa avait affiché de grandes ambitions dans un pays confronté à des défis considérables. À ce jour, tout semble tourner au ralenti.

La RDC a lancé plusieurs projets prioritaires pour stimuler son développement socio-économique. Les travaux de modernisation des aéroports, la construction des écoles, des centres de santé et bureaux administratifs dans le cadre du Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) sont en cours. Pourtant, ces projets prioritaires accusent un retard dans leur exécution. Le gouvernement congolais a alloué un financement important de 160 millions de dollars pour relancer les infrastructures. Cela inclut la réhabilitation des voiries à Kinshasa, avec une première tranche de 4,6 millions de dollars pour le marché central, ainsi que le projet Kinshasa Arena (105 millions de dollars) et un centre polyvalent.

À Kinshasa, certains travaux de réhabilitation des routes prennent les allures d’une éternité. Sur des routes secondaires, certains travaux ont pris plus de temps que prévu. Un projet de réhabilitation d’une route secondaire a fait jaser beaucoup de Congolais sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’avenue Kabambare, dans la commune de Lingwala. Ce tronçon, long seulement de 3,2 km, nécessitera deux ans pour l’exécution des travaux. Il y a aussi le projet de construction des rocades dans le sud-ouest de la ville de Kinshasa qui connaît également des retards dus notamment à l’indemnisation des parcelles à exproprier le long de la voie de ces rocades. Pourtant, des fonds étaient déjà prévus pour permettre à ceux qui ont construit le long de cette voie de pouvoir dégager le lieu pour laisser la place à ce projet majeur destiné à désengorger la ville de Kinshasa.

Projets de rénovation des aéroports

La modernisation de l’aéroport international de N’Djili à Kinshasa est un projet stratégique visant à transformer cette infrastructure vieillissante en un hub aéroportuaire moderne, capable de répondre aux normes internationales et de soutenir le développement économique du pays. Mais ce projet tâtonne depuis plusieurs années. Sous Joseph Kabila, la première pierre d’une nouvelle aérogare a été posée, dans le cadre de la modernisation de l’aéroport international de N’Djili-Kinshasa, porte d’entrée dans la troisième mégapole d’Afrique après Le Caire et Lagos.
Évalué à 364,9 millions de dollars pour un contrat de 36 mois, ce projet n’a jamais vu le jour depuis la pose de la première pierre.

En 2024, sous Félix Tshisekedi, le projet a été relancé avec un autre entrepreneur : Milvest. Ce dernier avait même présenté officiellement une maquette pour le nouvel aéroport. Mais sans succès. Devenu ministre de tutelle, Jean-Pierre Bemba va amener un autre entrepreneur en lieu et place de Milvest. « D’ici le premier trimestre de l’année prochaine [2025], les travaux vont commencer à N’Djili. Ce projet est une priorité, et je suis fermement engagé à le faire avancer rapidement », avait déclaré Jean-Pierre Bemba lors d’une interview sur Top Congo FM. Il avait également indiqué que le président Félix Tshisekedi attachait une importance particulière à ce chantier, destiné à moderniser une infrastructure jugée vieillissante et à améliorer les capacités d’accueil de l’aéroport. En mai 2025, un début timide des travaux s’observe sur le site de l’aéroport.

En dehors de l’aéroport de N’Djili à Kinshasa, des aéroports de Kavumu à Bukavu (Sud-Kivu) et de Mbuji-Mayi sont aussi en réhabilitation. Mais la situation de guerre dans le Sud-Kivu avec l’occupation de Bukavu et Kavumu par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) n’a pas permis l’avancement des travaux à Kavumu. À Kisangani, les travaux de l’aéroport de Bangboka ont pris fin et l’infrastructure a été livrée au gouvernement. Quant à la modernisation de l’aéroport de Kolwezi, les travaux sont toujours en cours. À la Loano, à Lubumbashi, Félix Tshisekedi a lancé récemment les travaux de sa modernisation.

PDL-145 Territoires : un projet majeur à l’arrêt

Le Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) en RDC a franchi plusieurs étapes depuis son lancement, avec des résultats tangibles mais aussi des défis persistants. À la fin de 2024, les agences d’exécution ont livré un total de 853 infrastructures, réparties comme suit : 518 écoles, 276 centres de santé, 59 bâtiments administratifs. Ce qui représente environ 44 % des infrastructures achevées sur un objectif de 1 198 écoles, 788 centres de santé et 145 bâtiments administratifs. Le taux d’achèvement global est estimé à 32 %.

Dans les zones où les travaux de construction des bâtiments sont déjà achevés et des infrastructures livrées, c’est un discours de soulagement que l’on peut écouter de la part des bénéficiaires. Ce projet initié par le président de la République, Félix Tshisekedi, est un programme d’investissements publics multisectoriels orienté vers le monde rural. Le PDL 145 Territoires a pour vocation de vaincre la pauvreté et les inégalités territoriales constatées dans le Congo profond. Exécuté par trois agences, à savoir le Bureau central de coordination (BCECO), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Cellule d’exécution des financements en faveur des États fragiles (CFEF), ce projet connaît une réalisation notable dans la section dirigée par la CFEF.

Pour les 43 territoires sur les sept provinces sous la responsabilité de la CFEF, le bilan est satisfaisant malgré les difficultés rencontrées dans l’exécution de ce programme. Dans le cadre de la première composante visant à améliorer l’accès des populations rurales aux infrastructures et services socioéconomiques de base, la CFEF a reçu du gouvernement, depuis février 2022, la responsabilité de construire et équiper 360 écoles primaires, 232 centres de santé et 43 bâtiments administratifs dans les provinces du Kongo Central, du Kwango, du Kwilu, du Mai-Ndombe, de l’Équateur, du Nord et du Sud-Ubangi.

Un ratio encore faible au regard des projets qui restent à accomplir. Actuellement, ce projet majeur est presqu’à l’arrêt. Le BCECO, le PNUD et la CFEF n’ont plus de financement pour l’instant. Les travaux sont quasiment à l’arrêt. Dans le Mai-Ndombe, certaines infrastructures n’ont pas vu le jour. « Rien n’a été fait, personne n’a volé, tout le monde est innocent », se désole le chroniqueur de la télévision Israël Mutombo, revenu de la ville d’Inongo, dans la province du Mai-Ndombe où une école devrait être construite à Selenge mais l’argent aurait disparu.

Port de Banana, la fin des travaux projetée en 2026

Prévue au départ pour 2025, la fin des travaux du port en eau profonde de Banana a été projetée pour 2026. En août 2024, British International Investment (BII) avait annoncé un investissement de 35 millions de dollars en partenariat avec DP World pour développer ce projet. Selon la Première ministre, Judith Suminwa, il est prévu que le port soit opérationnel dès 2026, avec des phases de développement successives. Les premiers navires vont accoster en 2026, ce qui pourrait marquer un tournant historique dans le secteur maritime en RDC.

Le port de Banana, situé sur la côte atlantique du pays, servira de porte d’entrée unique pour toutes les importations et exportations conteneurisées de la RDC. Le projet prévoit un quai de 700 mètres de long, capable d’accueillir les plus grands navires porte-conteneurs. Ce port devrait également créer environ 85 000 emplois. Le projet pourrait aussi générer environ 1,12 milliard de dollars supplémentaires d’échanges commerciaux annuels et augmenter le PIB annuel de la RDC de 0,65 %, selon les projections rapportées par Actualite.cd.

Augmenter la desserte en eau et électricité

En 2024, des projets d’alimentation en eau potable ont permis à près de 1,3 million de personnes en milieu semi-urbain et à plus de 3,1 millions de personnes en milieu urbain d’accéder à des services essentiels. À Kinshasa, la mise en service du module 2 de l’usine de traitement d’eau d’Ozone a étendu l’accès à l’eau potable à 1,8 million de personnes supplémentaires. Ces initiatives témoignent de l’engagement du gouvernement congolais à améliorer les conditions de vie de ses citoyens et à promouvoir un développement durable. Mais il faut reconnaître que ces projets connaissent souvent une lenteur qui ne dit pas son nom. À un tel rythme, le développement du pays pourra prendre tout le temps sans pointer à l’horizon.

Heshima

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Joseph Kabila acculé : levée d’immunité, accusations et énigme du silence

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Depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila s’était réfugié dans une discrétion quasi totale. Mais en 2025, cette réserve est brutalement rompue par des ennuis judiciaires sans précédent. Accusé de soutenir des groupes rebelles, notamment l’AFC incluant le M23, le sénateur à vie a vu son immunité levée par le Sénat le 22 mai 2025. L’ancien président reste étrangement silencieux. Pourtant, plusieurs sources annoncent une prise de parole attendue dans la soirée du 23 mai. Heshima Magazine retrace les contours de ses démêlés judiciaires et s’interroge sur la portée d’un silence devenu central.

Les ennuis judiciaires de l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila trouvent leurs racines dans la période trouble qui a suivi son départ du pouvoir en 2019, après 18 ans à la tête de la RDC. Bien que son influence ait perduré à travers le Front Commun pour le Congo (FCC), sa coalition politique majoritaire au Parlement jusqu’en 2020, les soupçons sur ses activités se sont intensifiés avec la dégradation de la situation sécuritaire dans l’Est du pays. Dès 2020, des rumeurs circulaient sur son rôle présumé dans le financement de groupes armés, mais c’est en août 2024 que les accusations prennent une tournure publique et officielle. Lors d’un séjour en Belgique, le 6 août, au cours d’une interview accordée à la radio congolaise Top Congo FM et au média Congo Indépendant, le président Félix Tshisekedi a désigné Joseph Kabila comme le cerveau derrière l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et le Mouvement du 23 mars (M23), groupes responsables d’atrocités dans l’Est du pays. Cette déclaration, relayée par plusieurs médias tant nationaux qu’internationaux, marque le début d’une offensive politique et judiciaire contre l’ancien président. « Nous disposons d’une multitude d’informations et de faits », a déclaré le Vice-premier ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani devant les médias. Ces accusations, bien que dépourvues de détails publics à l’époque, jettent les bases d’une confrontation qui allait bientôt dépasser le cadre des discours.

De la présidence à l’accusation

Le véritable tournant intervient en avril 2025, lorsque le ministre de la Justice, Constant Mutamba, annonce une demande officielle au Sénat pour lever l’immunité de Kabila, en sa qualité de sénateur à vie. Cette démarche, rapportée par de nombreux médias dont Heshima Magazine, repose sur des chefs d’accusation graves : participation à un mouvement insurrectionnel, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et haute trahison. Parallèlement, le gouvernement a ordonné la saisie des actifs de Kabila, y compris des propriétés à Kinshasa et à Lubumbashi. Quant au Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), bastion politique de Joseph Kabila, celui-ci est suspendu depuis le 20 avril 2025, une décision inédite. Le ministre de l’Intérieur a également saisi la Cour constitutionnelle afin d’obtenir la dissolution du PPRD et de trois autres partis d’opposition, accusés de collusion avec des groupes armés. Une mesure que l’analyste politique Marie-Claire Ndaya interprète comme une « sévère mise en garde afin de décourager à l’avenir définitivement toute autre personne ou personnalité de prendre les armes contre la République ». »

Une procédure sous haute tension

Le 22 mai 2025, le Sénat de la RDC, sous la présidence de Jean-Michel Sama Lukonde, a voté la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, ouvrant ainsi la voie à des poursuites judiciaires contre l’ancien président. Cette décision, prise à bulletins secrets par 88 voix pour, 5 contre et 3 abstentions fait suite à la demande du ministre de la Justice, Constant Mutamba, qui accuse Kabila de « participation directe » au groupe armé M23. La commission spéciale du Sénat, composée de 40 membres, s’était prononcée unanimement en faveur de cette mesure, estimant que les faits reprochés ne relèvent pas de sa fonction d’ancien président mais de celle de sénateur à vie. Cette levée d’immunité marque une étape décisive dans la procédure judiciaire engagée contre Kabila, qui pourrait désormais être poursuivi pour des chefs d’accusation incluant la trahison, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Kabila face au gouffre judiciaire

Avec la levée de son immunité, Joseph Kabila se trouve désormais exposé à des poursuites judiciaires qui pourraient avoir des conséquences monumentales. Sur le plan juridique, les accusations de haute trahison et de crimes de guerre sont parmi les plus graves prévues par le Code pénal congolais. La haute trahison, définie comme une atteinte à la sûreté de l’État, peut entraîner la réclusion à perpétuité, compte tenu du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 2003 mais suspendu depuis plus d’une année par Félix Tshisekedi. Les chefs d’accusation liés aux crimes de guerre et contre l’humanité pourraient également attirer l’attention de la Cour pénale internationale (CPI), surtout si des preuves documentent des massacres ou des financements de groupes armés. « Un procès national serait un précédent historique, mais il pourrait aussi exposer la RDC à un examen international », note l’experte en droit international Sophie Laurent, dans une analyse publiée par The Africa Report. Une condamnation priverait Kabila de sa liberté et de ses droits politiques, le reléguant à un statut de paria avec un mandat d’arrêt international à son encontre.

Sur le plan politique, une condamnation marquerait la fin de l’influence de Kabila, qui reste une figure polarisante. Le PPRD, déjà fragilisé par sa suspension, risque la dissolution, ce qui priverait Kabila de son principal parti. « Une telle issue consoliderait le pouvoir de Tshisekedi, mais à quel prix ? », s’interroge le sociologue Gérardin Biamba.

Le mystère du silence de Kabila

Face à cette tempête judiciaire, le silence de Joseph Kabila est assourdissant. Depuis l’annonce de la demande de levée de son immunité en avril 2025, et même après la décision du Sénat le 22 mai 2025, il n’a fait aucune déclaration publique, ni dans les médias, ni officiellement via son parti. Ce mutisme, alors que ses biens sont en passe d’être saisis, que le PPRD est menacé de dissolution, que son immunité est levée et que son avenir est en jeu, intrigue les observateurs et divise les Congolais. « Pourquoi ne se défend-il pas ? » s’interroge Jean-Pierre Mbuyi, chauffeur de taxi à Kinshasa. « S’il était innocent, il parlerait, non ? » Ce silence, dans un contexte aussi explosif, suscite de multiples interprétations, chacune offrant un éclairage sur les intentions possibles de l’ancien président.

Une première hypothèse voit dans ce silence une stratégie calculée. Kabila, connu pour son pragmatisme politique, pourrait éviter de s’exprimer publiquement pour ne pas aggraver sa situation. « Il sait que chaque mot peut être utilisé contre lui », explique l’analyste politique Raoul Ntumba. Ce silence pourrait également masquer des négociations en coulisses avec le gouvernement de Tshisekedi, visant à obtenir un accord pour abandonner les poursuites en échange d’un retrait définitif de la scène politique. Une telle pratique permettrait à Joseph Kabila de préserver une partie de ses intérêts tout en évitant un procès humiliant. « Il joue la montre », estime Marie-Claire Ndaya, politologue. « Kabila a toujours préféré l’ombre à la lumière. »

Une autre lecture, plus accusatrice, interprète ce silence comme un aveu implicite de culpabilité. « Qui ne dit mot consent », murmure-t-on dans certains milieux de Kinshasa. Certains, comme l’activiste des droits humains Marianne Makoloba, y voient une incapacité à contrer des accusations étayées par des preuves solides. « S’il avait des arguments pour se défendre, il les aurait déjà avancés », affirme-t-elle. Pourtant, cette interprétation est contestée par les proches de Kabila. Sous couvert d’anonymat, un haut cadre du PPRD déclare : « Ce silence est un refus de légitimer une chasse aux sorcières. Le président Kabila reste digne face à des accusations fabriquées. »

Une troisième hypothèse suggère que ce silence reflète une crainte ou une perte de contrôle total des événements. Kabila, habitué à manipuler les leviers du pouvoir, pourrait avoir été pris de court par l’ampleur et la rapidité des mesures contre lui. La saisie annoncée de ses biens, la suspension du PPRD, et la levée de son immunité ont pu le désarçonner. « Il n’avait peut-être pas anticipé une offensive aussi agressive », avance l’analyste en sécurité Didier Kalato. Ce silence pourrait alors traduire une difficulté à formuler une réponse cohérente face à un gouvernement déterminé à l’isoler. « Il est possible qu’il se sente acculé », ajoute Kalato, « et qu’il attende un moment opportun pour contre-attaquer. »

Enfin, certains observateurs spéculent que ce silence pourrait être le prélude d’une reddition. Kabila, conscient des risques judiciaires et de la fragilité de sa position, pourrait préparer une sortie discrète, peut-être se retirant définitivement de la vie politique et en s’exilant où il le souhaite. « Il pourrait chercher à protéger sa famille et ses avoirs restants », suggère l’experte en relations internationales Sophie Laurent. Ce scénario, bien que plausible, semble toutefois improbable pour un homme connu pour son obstination et son habileté politique.

Un mutisme qui divise et interroge

Quelle que soit son origine, le silence de Kabila a des répercussions profondes. Pour ses partisans, il incarne une forme de résistance passive, un refus de se plier à ce qu’ils perçoivent comme une persécution politique. « Il ne parle pas parce qu’il sait que la vérité finira par éclater », affirme Dodi Bope, membre du PPRD. Pour ses détracteurs, ce mutisme renforce les soupçons, donnant l’impression d’un homme à court d’arguments. « Son silence est un aveux », lance un haut responsable de l’Union sacrée, sous couvert d’anonymat.

Sur le plan politique, ce silence laisse un vide que ses adversaires exploitent. Le gouvernement de Tshisekedi, selon plusieurs analystes politiques, présente les démarches judiciaires comme une quête de justice pour les victimes des conflits dans l’Est. « Personne n’est au-dessus de la loi », déclare l’opérateur économique Babone Marc au micro de Heshima Magazine. Pourtant, ce narratif est contesté par ceux qui craignent une instrumentalisation de la justice. « Si les preuves ne sont pas solides, cela pourrait se retourner contre Tshisekedi », avertit l’avocate Louise Mboyi.

Sur le plan social, le silence de Kabila alimente les divisions. Pour ses partisans, des voix comme celle de Joseph Katshuvi expriment leur frustration : « On accuse Joseph Kabila sans que nous, ses soutiens, n’ayons vu une seule preuve claire. Son silence est une réponse à cette injustice. » D’autres citoyens comme Esther Ngoy, enseignante, y voient une faiblesse : « Il devrait se battre s’il est innocent. Ce silence nous fait douter et ne fait que renforcer les soupçons. »

Le dernier mot du silence

Le silence de Joseph Kabila face à ses ennuis judiciaires est un puzzle complexe, mêlant stratégie, prudence, et peut-être une touche de désarroi. Est-il en train de tisser une toile en coulisses, attendant le moment idéal pour riposter ? Ou ce mutisme cache-t-il une résignation face à un étau qui se resserre inexorablement ? Les démarches judiciaires, de leur genèse en 2024 à leur intensité actuelle en mai 2025, placent Kabila à un tournant crucial. Avec la levée de son immunité le 22 mai 2025, il risque non seulement la prison, mais aussi la perte définitive de son influence. Dans ce climat d’incertitude, son silence reste son arme la plus ambiguë : un défi, une esquive, ou un aveu. Alors que la RDC retient son souffle, l’avenir de Kabila et, avec lui, celui du pays, dépendra de la manière dont ce silence sera brisé, ou s’il perdurera jusqu’à l’oubli.

Heshima Magazine

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RDC : quelle solution face à la spoliation des espaces publics ?

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En République démocratique du Congo (RDC), les espaces publics font souvent l’objet de spoliation. Des sites publics, ronds-points, terrains de football, camps militaires, rien n’est épargné. À Kinshasa, dans la commune de la Gombe, un carrefour serait vendu à un sujet libanais. Ces pratiques ont la peau dure malgré le changement des dirigeants au pays. Ce qui suscite des questions quant à la protection des espaces publics en RDC.

Au croisement des avenues Sénégalaises, Kabasele Tshiamala (ex-Flambeau) et Tabu Ley (ex-Tombalbaye), un carrefour public serait vendu à un sujet libanais. Des bureaux de police, des véhicules abandonnés, quelques kiosques commerciaux, des cabines téléphoniques ont été expulsés. « Nous sommes surpris de voir quelqu’un acheter ce rond-point. On ne sait même pas ce qu’il compte en faire. Nous demandons aux autorités de s’impliquer dans cette situation », a réagi une tenancière de kiosque, sous anonymat. Cette spoliation se fait à l’insu des autorités locales. « J’ai été surprise d’apprendre que cette parcelle a été vendue. Quand quelqu’un achète une parcelle, il doit d’abord commencer par le quartier […] J’ai appris que c’est un sujet libanais qui est l’acquéreur. Je ne sais pas ce qu’il veut en faire », a déclaré Rachel Banyamo, chef du quartier Commerce, dans la commune de la Gombe. Ces cas de spoliation sont légion en République Démocratique du Congo.

Toujours à Kinshasa, un autre espace public a été vendu à un sujet indien. Pourtant, ce site a été longtemps déclaré non aedificandi suite aux collecteurs d’eau et autres tuyaux qui passent en dessous de ce site. Mais ce lieu a été vendu. Il a fallu l’intervention du président de la République en conseil des ministres pour que les spoliateurs arrêtent leurs travaux. Personne n’a été sanctionné pour cet acte de spoliation.

En 2020, plus de 3 500 personnes victimes de démolitions des maisons et spoliations de terres à Mbobero, Mbiza et marrée de Murhundu dans le territoire de Kabare, dans la province du Sud-Kivu, avaient déposé une plainte à la Cour de cassation à Kinshasa et une autre copie réservée au parquet près le tribunal de Grande instance de Kavumu contre le président honoraire Joseph Kabila pour spoliation « destruction méchante, pillage, tortures et crime contre l’humanité ».

Cette plainte a été déposée à la cour de cassation de Kinshasa/Gombe et une autre copie au parquet près le tribunal de grande instance de Kavumu au Sud-Kivu. Selon Jean Chrysostome Kijana, président national de la Nouvelle dynamique de la société civile et vice-président du collectif « Tournons la page », Joseph Kabila s’est illégalement approprié les parcelles de plus de 3 500 personnes, qui étaient devenus sans abris après une « destruction méchante » de leurs habitations.

Lits des rivières et la Baie de Ngaliema spoliés

En dehors des autorités politiques, des citoyens profitent également de la faiblesse de l’État pour s’octroyer des terres parfois dans des zones non aedificandi. C’est le cas des occupants des servitudes ferroviaires le long de la voie ferrée entre la Gare centrale et Kintambo-Magasin, à Kinshasa. D’autres occupent les rives des rivières Makelele, Mapenza, Kalamu, N’djili et Lukuya. Certaines parcelles de constructions sur ces terrains sont en cours de démolition. Mais l’opinion publique dénonce la politique de deux poids deux mesures. Sur la Baie de Ngaliema, située entre le complexe Utex Africa et le chantier naval de Chanimétal, des constructions illégales poussent également dans cette zone non aedificandi. « Sur ce site, il n’y a que des puissants du régime présent et passé qui construisent. Ils se protègent entre eux, personne ne va démolir leurs constructions anarchiques », pointe un riverain qui dit détenir les noms des ministres et autres responsables politiques qui spolient ce site.

Une spoliation qui cause des inondations

Ces constructions anarchiques sont également la cause des inondations qui endeuillent la ville de Kinshasa. Beaucoup de quartiers se sont développés sans respect des normes urbanistiques, souvent dans les lits des rivières ou les zones marécageuses. Les obstructions des exutoires naturels tels que les rivières et leurs lits provoquent ces inondations. Dans la quête de solution à ces problèmes, le Gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba, a reçu, le 21 mai 2025, les conclusions d’une étude conduite par le bureau d’études URBAPLAN, mobilisant ingénieurs, urbanistes, architectes et géographes. Cette mission avait pour objectif d’analyser en profondeur les causes des inondations qui ont récemment frappé la capitale, causant de lourdes pertes humaines et matérielles. D’après ces experts, plusieurs facteurs aggravants sont à la base de ces catastrophes, notamment l’insuffisance du système de drainage, l’accumulation des déchets notamment dans la rivière N’djili et l’occupation anarchique des zones à risque. En réponse, ils proposent un ensemble de mesures correctives structurées autour de trois axes : la réhabilitation des infrastructures de drainage, le renforcement de la collecte des déchets, et la déclaration de certaines zones comme non constructibles.

Autre responsabilité à pointer, c’est la faiblesse de l’État congolais. Des agents de l’État délivrent des titres de propriété à des occupants illégaux. Une faiblesse à corriger si l’on veut mettre un terme à l’anarchie dans ce secteur.

Heshima

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