Depuis la résurgence de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), le président ougandais joue le rôle de funambule entre ses relations avec le président congolais Félix Tshisekedi et son soutien tacite aux rebelles. Heshima Magazine explore ce jeu trouble qui embarrasse parfois Kinshasa.
En mai 2021, Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni posent un geste. Les deux gouvernements signent deux accords bilatéraux, notamment pour la construction d’une route d’interconnexion avec un coût estimé à près de 335 millions de dollars américains. C’est le plus grand accord signé publiquement depuis les agressions contre la RDC opérées par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi en août 1998. Kinshasa justifie ces accords par la volonté de deux États de tirer profit de leur proximité géographique pour leurs économies respectives. Il fallait donc l’existence d’un réseau routier transfrontalier convenable.
Mais cette même année, en octobre, le M23 resurgit depuis les collines de Sarambwe, une localité congolaise frontalière de l’Ouganda. La surprise est que la majorité des combattants de la rébellion sont ceux qui s’étaient réfugiés en Ouganda, Sulutani Makenga en tête. Kinshasa en est conscient, mais dissimule son malaise et continue sa collaboration avec Kampala. Par contre, le gouvernement congolais déverse toute sa rage sur Kigali. Et c’est non sans raison. Plus tard, il sera démontré que le Rwanda fournit l’essentiel de l’arsenal militaire aux rebelles, y compris un appui en effectifs.
Museveni, le gardien du clan Hima-Tutsi
Fils d’un riche propriétaire terrien, Yoweri Kaguta Museveni – 78 ans – appartient au groupe des Banyankole, une des ethnies des Himas et Tutsis de la région des Grands Lacs. Les Banyankole Bahima sont établis dans le sud-ouest de l’Ouganda. Museveni, un marxiste au départ de sa rébellion contre le président Tito Lutwa Okello, est devenu au fil des années un leader qui défend les intérêts du clan Hima-Tutsi dans la région des Grands Lacs. C’est ainsi qu’il va soutenir la prise de pouvoir au Rwanda par la rébellion de Paul Kagame composée en majorité des Tutsis. Kampala, Kigali et Bujumbura tenteront d’étendre cette influence Hima-Tutsi en République démocratique du Congo avec l’AFDL de Laurent Désiré Kabila. Très vite, l’influence du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi va s’arrêter avec le départ des militaires rwandais de la RDC décidé par le président Laurent Désiré Kabila. Depuis, ils tenteront d’imposer cette influence à travers des rebellions d’obédience tutsie : le RCD, le CNDP, le M23 I et le M23 II. Souvent, les rebelles du M23 le considèrent comme un Mzee, leader du clan. Il est très écouté par ces différentes factions rebelles qui perturbent la paix dans l’Est de la RDC. « Il y a chez Museveni une vraie ambiguïté vis-à-vis du M23 », un groupe pour lequel il nourrit « une sympathie ethnique, celle du grand groupe Bahima (lié aux Tutsi et auquel il appartient), et pour les opprimés », note un diplomate spécialiste des Grands Lacs.
Pour ce même sentiment ethnique, l’Ouganda se voit obligé d’intervenir en Ituri où la milice CODECO s’en prend aux Hema de la RDC, considérés par l’Ouganda comme faisant partie du clan Hima. L’armée ougandaise (UPDF), qui collabore depuis quatre ans avec les Forces armées de la République du Congo (FARDC) dans le cadre des opérations conjointes contre les terroristes ADF, a élargi son champ d’action contre les rebelles CODECO.
Museveni, le funambule
Malgré son influence sur ces rébellions d’obédience ethnique, Yoweri Museveni joue le funambule entre le M23 et Kinshasa. Dès lors, Félix Tshisekedi peut-il réellement considérer son homologue ougandais comme un allié ? « Kinshasa le sait mais n’a pas l’intention d’ouvrir un autre front contre l’Ouganda », estime un homme politique mieux introduit dans la crise sécuritaire actuelle. Lorsqu’une délégation des officiels congolais s’était rendue en Ouganda pour plaider la situation contre le M23, Yoweri Museveni n’avait qu’une seule réponse à adresser à la RDC : il faudrait discuter avec les rebelles. En 2012, lorsque la même rébellion s’était emparée de la ville de Goma, ils s’étaient retirés de cette ville notamment grâce à un coup de fil de Museveni, d’après le témoignage de Jean-Charles Okoto, ambassadeur de la RDC à Kampala au moment de cette crise. Ce qui démontre l’influence de l’Ouganda sur cette rébellion. Malgré sa collaboration avec Félix Tshisekedi, Museveni continuera de jouer le jeu trouble, offrant une base arrière au M23. Ces rebelles étaient passés par l’Ouganda pour faire tomber la cité de Bunagana le 13 juin 2022. Ce qui démontre l’implication du gouvernement ougandais que Kinshasa refuse toujours de dénoncer publiquement. Les tweets de Muhoozi Kainerugaba, fils de Museveni et chef de l’armée ougandaise, démontrent largement ce soutien ougandais. Il avait annoncé la prise prochaine de la ville de Kisangani par l’armée ougandaise si le M23 ne le faisait pas assez tôt. Une déclaration qu’il avait publiée sur son compte X. « Notre peuple de Kisangani, nous venons vous sauver. L’armée de Dieu arrive », avait-il écrit.
Heshima