Félix Tshisekedi deux ans après, Heshima dresse le bilan
Le 24 janvier 2021, Félix Antoine Tshisekedi a totalisé, jour pour jour, deux ans à la tête de la République démocratique du Congo. Le 13 décembre 2019, le chef de l’Etat congolais avait annoncé que 2020 serait l’année de l’action, durant laquelle tout devrait être mis en œuvre pour rendre irréversible la lancée vers le progrès et l’émergence. Heshima Magazine passe le travail du successeur de Joseph Kabila à la loupe pour en relever les points positifs et négatifs.
Deux ans après, les conditions sociales ne se sont pas améliorées et la situation économique du pays est demeurée terne. « Je ne peux passer sous silence le profond respect que j’ai pour le peuple congolais pour son endurance et sa résilience face à des situations de crises multiformes, qu’il a parfois subies en tant que victime de l’injustice sociale et du déficit de gouvernance », a déclaré le chef de l’Etat, une façon de reconnaitre que la population croupit toujours dans sa pauvreté extrême.
Toutefois, la volonté de bien faire du président de la République transparait à travers des actes posés dans certains domaines où il a su bouger les lignes : la décrispation du climat politique (la libération des centaines de prisonniers politiques dont Franck Diongo, Diomi Ndongala, Eddy Kapend et ses codétenus et le retour des exilés comme Moïse Katumbi), la lutte contre le coronavirus et la relance de la diplomatie. Il y a aussi l’intensification de la lutte contre la corruption. Dans le domaine judiciaire, le procès de Cent-Jours au terme duquel Vital Kamerhe a été condamné à 20 ans des travaux forcés restera gravé dans les annales. La gratuité de l’enseignement, évaluée en 2019 à plus de 2,6 milliards de dollars, reste la plus grande réalisation des deux ans de Félix Tshisekedi.
Même si cela ne contrebalance pas ce qui devait être réalisé par rapport aux promesses faites, le 5ème président du Congo a aussi posé des fondements importants dont probablement les fruits sont à cueillir dans les jours à venir.
Dans le domaine de l’éducation, par exemple, la mise en œuvre effective de la gratuité de l’enseignement de base sur toute l’étendue du territoire national dès la rentrée scolaire 2019- 2020, a permis à plus de 4 millions d’enfants de reprendre le chemin de l’école. Cette mesure, comme l’a dit le chef de l’Etat, a permis la prise en charge, par le Trésor public, des salaires de 230 536 enseignants non payés (NP) ; l’allocation des frais de fonctionnement aux écoles primaires publiques de Kinshasa et de Lubumbashi, jadis non bénéficiaires…
Dans le domaine de la santé
Par rapport au secteur de la santé, si les deux ans passés ont été profondément affectées par la crise sanitaire à coronavirus, le président Tshisekedi a réussi à mettre fin à l’épidémie à virus Ebola qui a sévi à l’Est du pays et dans la province de l’Equateur. Il est aussi parvenu à endiguer l’épidémie de rougeole, et le gouvernement et ses partenaires ont permis de réduire à 40% la mortalité liée au choléra.
Concernant la Covid-19, le chef de l’Etat a fait tout son possible : proclamation de l’état d’urgence sanitaire, mise en place d’un comité chargé de la lutte contre la pandémie et d’une task force présidentielle pour le suivi et l’évaluation de toutes les activités de prévention et de riposte. Le Fonds National de Solidarité contre la Covid-19 a aussi été créé.
Eau et électricité
Au sujet du défi de la desserte en électricité et en eau potable au profit de la population, depuis deux ans, la situation ne s’est pas améliorée. Il l’a lui-même reconnu : « Le triste constat largement partagé aujourd’hui est que cette desserte reste insuffisante et faible ». Néanmoins, Fatshi relève qu’il s’observe un dynamisme dans le domaine de l’amélioration de la production et de la distribution de l’eau potable. Certaines réalisations sont en chantier à Kinshasa et dans d’autres provinces dans le but d’améliorer la desserte. Deux nouvelles usines de production d’eau potable sont en construction pour résorber le déficit : l’usine de Lemba Imbu, d’une capacité de production finale de 220 000 m3/jour, celle de Binza-Ozone, qui produira au finish 300 000 m3/jour. De même, la réhabilitation du captage de N’djili ramènera au réseau kinois 330 000 m3/jour supplémentaires.
Pour ce qui est du secteur de l’électricité, la réforme dans le cadre de la loi sur la libéralisation est en application. D’après le chef de l’Etat, les financements pour le Projet Grand Inga sont en passe d’être bouclés avec plusieurs développeurs et off-takers (acheteurs). A ce jour, l’Autorité de Régulation du secteur de l’Electricité (ARE) et l’Agence National d’Electrification et des services Energétiques en milieux Rural et Péri-Urbain (ANSER) sont opérationnelles depuis la désignation de leurs animateurs. Du 20 au 22 août 2019, un forum sur l’énergie avait été organisé à Matadi, au Kongo-central.
« Malheureusement, la réalité des faits est que, malgré les efforts que j’ai déployés, les sacrifices que j’ai consentis et les humiliations que j’ai tolérées, cela n’a pas suffi à faire fonctionner harmonieusement cette coalition »
Redynamisation de la diplomatie
On reconnait à Félix Tshisekedi l’amélioration des relations internationales, étant donné que les tensions persistantes entre la RDC et certains de ses voisins, parmi lesquels l’Angola, l’Ouganda et le Rwanda, ont baissé. D’aucuns disent qu’il a sorti le pays de l’isolement. Evidemment, le chef de l’Etat a beaucoup voyagé à travers le monde : les Etats-Unis, le Royaume Uni, le Vatican, l’Allemagne, la France, la Belgique… « Sous notre leadership, la RDC est en train de reprendre progressivement sa place dans le concert des nations. Le 9 février de cette année 2020, en marge de l’ouverture des travaux de la 33e session de l’Assemblée générale de l’Union Africaine, j’ai été élu Premier Vice-Président pour 2020 et Président de cette organisation régionale en 2021 », avait-t-il déclaré. Effectivement, le chef de l’Etat a pris les rênes de l’UA en février 2021.
Situation sécuritaire du pays
Dans le domaine sécuritaire, l’insécurité règne et s’exacerbe particulièrement à l’Est du pays où les tueries continuent, particulièrement au Nord et Sud-Kivu. En quête de la paix, le président Tshisekedi a organisé en visioconférence, le 7 octobre 2020, un mini-Sommet à Goma, au Nord-Kivu, qui avait réuni les Chefs d’Etat de l’Ouganda, du Rwanda et de l’Angola. En cette circonstance, la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs était évaluée, en particulier en RDC et l’Accord-cadre d’Addis-Abeba était remis sur la table.
Selon le chef de l’Etat, les FARDC mènent des opérations de traque et de neutralisation des ennemis. Aussi, affirme-t-il, une réforme des programmes DDR et STAREC est en phase de finalisation en vue d’aboutir à un programme unique et fusionné DDRCS (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion Communautaire et Stabilisation). Toujours en 2020, la RDC a formalisé la reprise de sa coopération militaire avec les USA, en signant un mémorandum d’entente. L’Ecole de guerre qu’il a annoncée, fruit de la coopération avec la France, a ouvert ses portes début 2021, dans le but d’améliorer la formation et la remise à niveau des officiers supérieurs dans tous les domaines. Il est prévu en cette année en cours, la construction de l’Académie de la Police et du Ministère de la Défense, sur financement de l’Union européenne, et la construction de nouvelles infrastructures dans le cadre de la coopération avec la Chine.
Secteurs environnemental et des infrastructures
Parlant l’environnement, le président de la République, face aux défis environnementaux (changement climatique, érosion de la biodiversité et changement d’utilisation des sols et de l’eau) dit avoir mis en œuvre un ambitieux programme intitulé « Jardins scolaires pour un milliard d’arbres » en vue de la reconstitution du couvert forestier du pays. « J’ai instruit la finalisation du tout premier document de politique forestière nationale devant jeter les jalons de la révision du code forestier. Enfin, j’ai créé au sein de la Présidence une Agence de transition écologique et du développement durable… », fait-il savoir. Quant au domaine des infrastructures, outre les sauts-de-mouton construits à Kinshasa et quelques réalisations faites çà et là, rien de grand n’a été fait jusque là.
La grave crise sécuritaire qui sévit en République démocratique du Congo (RDC) pousse le chef de l’État, Félix Tshisekedi, à opérer de multiples changements, notamment sur le plan sécuritaire. Alors qu’un dialogue se profile à l’horizon avec les rebelles du Mouvement du 23 Mars (M23/AFC), Tshisekedi réorganise son appareil sécuritaire en nommant un nouveau conseiller spécial en matière de sécurité. À ce poste, le professeur Désiré Cashmir Eberande Kolongele succède à un autre universitaire, Jean-Louis Esambo.
Ancien directeur de cabinet intérimaire du chef de l’État et ex-ministre du Numérique, Désiré Cashmir Eberande occupera désormais le poste de conseiller spécial du président en matière de sécurité. L’ordonnance présidentielle le nommant a été lue mercredi 5 février 2025 à la télévision nationale (RTNC). Élu député national dans la circonscription de Bulungu, dans la province du Kwilu, il pilotera le puissant Conseil national de sécurité (CNS), une structure stratégique auparavant dirigée par l’ancien sécurocrate François Beya.
Depuis l’ère de Joseph Kabila, ce poste a vu défiler plusieurs personnalités, telles que Pierre Lumbi, Jean Mbuyu, François Beya, Jean-Louis Esambo, et désormais Désiré Cashmir Eberande. Ce dernier aura la lourde tâche de diriger le Conseil national de sécurité dans un contexte particulièrement critique. Le pays traverse l’une des crises les plus graves de son histoire. Après avoir pris Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, le 27 janvier, les rebelles du M23, soutenus par les troupes rwandaises, ont lancé une nouvelle offensive dans l’Est du pays mercredi 5 février, reprenant leur progression vers Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu. La cité minière de Nyabibwe, située à environ 100 kilomètres de Bukavu, est déjà tombée aux mains des insurgés. Ces derniers visent désormais l’aéroport de Kavumu, avant de tenter d’atteindre Bukavu.
Tshisekedi tient deux fers au feu
Félix Tshisekedi poursuit la réorganisation de l’armée et des autres secteurs de la sécurité, malgré les revers militaires dans l’Est du pays. Parallèlement, le chef de l’État garde deux options ouvertes : l’option militaire et celle du dialogue. Si la première a montré ses limites pour l’instant, la seconde semble être la moins coûteuse en termes de pertes humaines et de préservation des maigres acquis engrangés jusqu’ici. Bien qu’il ait initialement refusé de dialoguer avec les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, Tshisekedi a finalement accepté les pourparlers proposés par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC). Ces discussions, qui s’inscrivent dans le cadre d’un pacte social pour la paix, incluront Corneille Nangaa et d’autres représentants du M23.
Une donne vient compliquer l’équation, c’est que Corneille Nangaa est désormais sous mandat d’arrêt international lancé par la justice militaire. Comment va-t-il apprécier cette situation ? Comment l’ECC et la CENCO vont-elles prendre langue avec un homme recherché ? C’est là où les romains s’empoigneèrent.
Sur le plan régional, Félix Tshisekedi et son homologue rwandais, Paul Kagame, sont attendus samedi 8 février à un sommet conjoint de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), prévu à Dar es Salam, en Tanzanie. Le président du Conseil européen, António Costa, a annoncé avoir eu des échanges avec les deux chefs d’État directement concernés par cette crise. « Il faut trouver une solution durable à long terme pour la stabilité de la région », a-t-il déclaré, exprimant son espoir de voir des « discussions constructives » s’engager à Dar es Salam.
De son côté, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) a salué la tenue de ce sommet conjoint SADC-CAE, prévu les 7 et 8 février. Cette organisation régionale qualifie ces assises d’« occasion cruciale » pour s’attaquer à la crise sécuritaire et humanitaire qui affecte des millions de civils dans la région des Grands Lacs.
La Conférence nationale épiscopale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC) ont entamé des consultations avec la classe politique et la société civile. Après avoir rencontré le président de la République, Félix Tshisekedi, l’opposant Martin Fayulu et le président de l’Assemblée nationale, les prélats n’excluent pas de rencontrer l’AFC/M23 dirigée par Corneille Nangaa. Ce dialogue envisagé portera sur quoi ? C’est la grande question.
Après avoir rencontré le chef de l’État, le président de la CENCO, Monseigneur Fulgence Muteba, a échangé, le 3 février, avec le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe. Ce prélat a présenté à son hôte le plan de sortie de crise intitulé « Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble », préparé par son organisation. Les prélats catholiques et protestants envisagent de faire le tour de la classe politique et de la société civile pour créer une adhésion à ce projet de paix. Ils ont également rencontré, le 4 février, l’opposant Martin Fayulu, président du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECIDé). D’après le révérend Eric Nsenga de l’ECC, ces rencontres préparent un « grand forum » à venir, sans donner plus de détails sur le format de ce forum.
De son côté, le secrétaire général de la CENCO, Mgr Donatien Nshole, n’a pas fait mystère de la démarche de ces deux églises : dialoguer avec les rebelles du M23-AFC. « Nous voulons la paix. Nous voulons une solution alternative à la guerre. La guerre est menée par ceux qui ont pris les armes. Ça n’aurait pas de sens de les mettre à côté et d’espérer trouver la paix sans eux. », a déclaré Donatien Nshole, assurant que l’AFC/M23 sera aussi consultée dans le cadre des consultations menées par l’Église catholique et l’ECC.
Sur quoi portera le dialogue ?
Initier une démarche de paix et de cohésion nationale est une chose, trouver les points de divergence et les résoudre en est une autre. Le dialogue initié par les églises va porter sur quel sujet ? La remise en cause de la légitimité de Félix Tshisekedi ? L’application des accords du 23 mars pour le M23 ? L’amnistie après le massacre de près de 3000 Congolais à Goma ? L’entrée des belligérants dans les institutions, y compris l’armée et la police ? Voilà autant de questions complexes qui risquent de compliquer la démarche des prélats. Corneille Nangaa ainsi que ses partenaires du M23 voudront trouver l’absolution des crimes commis tout au long de leur croisade militaire qui les a conduits jusqu’à Goma. Kinshasa, qui risque d’aller à cette table de discussion en position de faiblesse, n’aura pas assez de marge de manœuvre pour imposer de nouvelles lignes rouges après l’occupation de Goma.
Assemblée nationale obligée de se dédire
L’Assemblée nationale, qui a convoqué une session extraordinaire le 4 février, est obligée de se dédire après avoir interdit au gouvernement, en 2022, de négocier avec le M23. L’Assemblée nationale avait déclaré, à son tour, le M23 comme étant un groupe « terroriste » et que le gouvernement ne devrait pas négocier avec eux. Cette décision est contenue dans une note de recommandation prise en novembre 2022 à l’intention du gouvernement. Avant le début des discussions avec l’AFC/M23, la chambre basse du parlement devrait alors délier les mains du gouvernement pour lui permettre de prendre langue avec ce groupe rebelle. Déjà à l’époque, Moïse Nyarugabo, alors député national, prévenait l’Assemblée nationale du risque d’une telle mesure. « Nous sommes un pays en guerre. On ne peut pas fermer toutes les portes de négociation. Ça ne serait pas sage de fermer les portes qui peuvent servir d’issue à un moment donné », avait-il déclaré après le vote d’adoption de cette recommandation. Aujourd’hui, l’évolution de la crise sécuritaire semble lui donner raison. L’enjeu majeur dans ce volet de discussion, c’est de savoir jusqu’où le gouvernement pourrait fléchir pour satisfaire les revendications de l’AFC/M23.
La prise de la ville de Goma par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et l’armée rwandaise rend quasi inévitables des discussions politiques entre Kinshasa, Kigali et même avec les rebelles. Une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) pourrait rencontrer le président Félix Tshisekedi, ce lundi 3 février 2025, pour échanger probablement autour de la grave crise sécuritaire qui frappe la République démocratique du Congo (RDC). Est-ce un début de discussion avec l’opposition politique ? Décryptage.
La CENCO pourrait être reçue, ce lundi 3 février, par le président de la République, Félix Tshisekedi. Si la Présidence ne confirme pas la nouvelle, elle ne dément pas non plus l’existence d’une telle rencontre. Monseigneur Fulgence Muteba, évêque du diocèse de Lubumbashi et président de la CENCO, serait déjà à Kinshasa pour ce rendez-vous. Entre Félix Tshisekedi et les évêques catholiques, un seul sujet pourrait dominer la rencontre : la crise sécuritaire qui sévit dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et de l’Ituri. Après la prise de Goma par les rebelles du M23 avec l’armée rwandaise, des discussions politiques semblent devenues inévitables. Pour le secrétaire général de cette organisation, Mgr Donatien Nshole, la CENCO est prête à répondre à l’appel au dialogue, mais il est nécessaire de commencer par une rencontre avec le chef de l’État avant d’entamer les consultations avec le reste de la classe politique et sociale. « À la demande de Félix Tshisekedi de réunir tout le monde pour un dialogue, nous commencerons par le rencontrer afin de lui exposer la quintessence de notre démarche. Ensuite, nous rencontrerons les autres parties prenantes. C’est une réponse à son appel », a déclaré Mgr Nshole. À cette occasion, la CENCO pourrait exprimer son point de vue par rapport à la crise sécuritaire et évoquer d’éventuelles pistes de solution.
Dialoguer avec qui ?
Le gouvernement congolais avait tracé une ligne rouge à ne pas franchir : celle de dialoguer avec les rebelles du M23. Le président Félix Tshisekedi l’a même répété devant les diplomates, en janvier dernier, lors de la cérémonie d’échange des vœux. Devant sa famille politique de l’Union Sacrée de la Nation, il soutenait que même si les rebelles arrivaient devant sa résidence de la Cité de l’Union africaine, il ne négocierait pas avec eux. Mais face à une percée des rebelles dans le Nord-Kivu, notamment avec la prise de Goma et la menace qui pèse sur Bukavu, la donne pourrait bien changer. Les évêques risquent de se voir revêtus d’une mission plus large, celle de consulter toutes les parties : opposition politique, société civile, y compris les belligérants.
L’autre difficulté, c’est celle de voir le M23 accepter cette offre de dialogue. Alors qu’il réclamait des discussions directes avec Kinshasa, ce mouvement rebelle a, depuis un certain temps, changé de cap. Les rebelles affichent pour objectif de continuer leur offensive militaire dans l’Est de la RDC. Ce qui signifie que l’ouverture d’une négociation directe avec le gouvernement congolais, qui était jusqu’ici une exigence phare des rebelles et de leur protecteur rwandais, n’est apparemment plus considérée comme d’actualité. Corneille Nangaa affiche son désir de marcher sur Kinshasa.
Dialogue après un lourd bilan humain à Goma
Les consultations de la CENCO veulent s’ouvrir après que le pays a perdu des centaines de ses fils et filles, tombés essentiellement entre le 28 et le 30 janvier lors des affrontements entre l’armée rwandaise en appui au M23 et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour le contrôle de Goma. Le bilan de ce carnage s’élève jusque-là à 773 morts et 2 880 blessés recensés dans des structures sanitaires, selon le porte-parole du gouvernement. Ces chiffres ont été rendus publics au cours d’un briefing presse co-animé avec le ministre de la Santé, Samuel Roger Kamba. Selon Patrick Muyaya, les corps sont entassés dans les tiroirs des morgues des hôpitaux.
Le ministre de la Communication et des Médias a martelé le fait que ces chiffres représentent le minimum de ce qui s’est passé. « On a enregistré des attaques contre des enfants, des nouveau-nés, la maternité. Les capacités de chirurgie sont réduites et ils reçoivent un nombre plus élevé de malades, sans oublier la coupure d’eau et d’électricité. À côté de cela, la fatigue et le stress dans lequel le personnel médical travaille. Et dans un élan de solidarité, il a été demandé à la population de donner de son sang. Cette campagne de collecte de sang a pour but d’aider ces militaires, des Wazalendo », a-t-il déclaré.
Le pays et sa tradition de dialogue
L’histoire des dialogues politiques en RDC face à la crise sécuritaire ou politique est marquée par une série d’initiatives et de négociations visant à résoudre des conflits internes et à rétablir la paix dans un contexte de violences armées récurrentes. La RDC, avec ses nombreuses régions affectées par des groupes armés, a été le théâtre de multiples dialogues au fil des décennies.
Le dialogue inter-congolais (2002-2003)
Ce dialogue est l’un des plus importants de l’histoire politique récente du pays. Il a été initié après la guerre du Congo (1998-2003) qui a opposé plusieurs factions, soutenues par des puissances étrangères, principalement le Rwanda, l’Ouganda et certaines multinationales. Le dialogue inter-congolais, facilité par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et d’autres partenaires internationaux, a abouti à un accord de partage du pouvoir avec la formule d’un président de la République et de quatre vice-présidents (1+4), qui a formé un gouvernement de transition dirigé par le président Joseph Kabila, de 2003 à 2006.
Les Accords de Lusaka (1999)
Bien que précédant le dialogue inter-congolais, ces accords ont été un autre moment clé de l’histoire de la RDC. En réponse à l’intensification des conflits internes, la RDC a signé les Accords de Lusaka avec plusieurs groupes rebelles, dont le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) dirigé par Azarias Ruberwa, le RCD/KML (Kisangani Mouvement de Libération) d’Antipas Mbusa Nyamwisi et des puissances étrangères impliquées dans le conflit. Ces accords ont cherché à instaurer un cessez-le-feu et ont ouvert la voie à des négociations pour résoudre la crise sécuritaire.
Accords de Nairobi 2013-2014
Face à l’expansion territoriale du groupe rebelle M23 dans l’Est du pays, un nouveau dialogue a été lancé, soutenu par la communauté internationale. Le gouvernement congolais et les rebelles ont négocié à Nairobi, ce qui a permis de mettre fin à la rébellion en 2013, bien que les tensions sécuritaires dans la région soient restées persistantes, marquées par la présence de divers groupes armés. Mais huit ans plus tard, le mouvement a resurgi avec les mêmes parrains.
Le dialogue politique national (2016)
La crise sécuritaire, couplée aux tensions politiques internes concernant la fin du mandat de l’ancien président Joseph Kabila, a conduit à un autre dialogue en 2016. Ce dernier, surnommé « dialogue de la Cité de l’Union africaine » et facilité par l’ancien Premier ministre togolais, Edem Kodjo, visait à résoudre la crise électorale et à trouver un consensus sur la gestion de la transition. Mais l’accord n’avait pas permis de fédérer toute l’opposition. Un autre round a été ouvert, en décembre 2016, sous la médiation de la CENCO. Un accord de transition a été trouvé, permettant de prolonger le mandat de Joseph Kabila jusqu’à l’élection de 2018. La crise sécuritaire, quant à elle, a continué de se renforcer avec les rebelles ADF au Nord-Kivu et en Ituri, mais aussi avec la CODECO. Toutefois, le dialogue a permis de stabiliser la situation politique à court terme.
Les initiatives récentes et le rôle de la MONUSCO
Avec l’intensification des violences dans l’Est de la RDC, des dialogues se poursuivent, mais sont de plus en plus complexes. L’ONU, à travers la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en RDC (MONUSCO), intervient militairement et diplomatiquement pour essayer d’apaiser les tensions. Le gouvernement congolais et les groupes rebelles continuent de participer à des pourparlers de paix, bien que les résultats restent fragiles. Comme c’est le cas avec le processus de Nairobi, qui avait réuni plusieurs groupes armés, notamment le M23. Mais ce dernier avait quitté la table de discussion pour reprendre les armes jusqu’à ce jour.